Le Journal de Quebec

Un supplice qui dure depuis 16 ans

Coincée en Arabie Saoudite, Nathalie Morin est incapable de revenir au pays avec ses enfants

- NORA T. LAMONTAGNE

La mère de Nathalie Morin, cette Québécoise coincée en Arabie Saoudite avec ses quatre enfants, se démène depuis 16 ans contre la bureaucrat­ie et les aléas de la diplomatie internatio­nale pour rapatrier sa famille, qui vivrait aujourd’hui de la charité.

« Ça fait des années que le gouverneme­nt canadien dit qu’il est prêt à aider Nathalie, mais elle est toujours là-bas. J’ai l’impression qu’ils ne veulent pas qu’elle revienne », s’emporte Johanne Durocher, qui a intenté d’innombrabl­es démarches pour mettre fin au calvaire de sa cadette.

Plusieurs se souviendro­nt de l’histoire de Nathalie Morin, tombée enceinte à 17 ans de Saeed Al Bishi, un Saoudien sans-papiers d’au moins 10 ans son aîné qui prétendait étudier à Montréal.

La jeune femme l’a ensuite suivi jusqu’à Dammam, en Arabie saoudite, où elle s’est rapidement retrouvée soumise aux sautes d’humeur de son mari, mais aussi à des lois archaïques qui l’ont longtemps empêchée de voyager sans sa permission.

Enfermée à double tour à 10 000 kilomètres de chez elle dans un appartemen­t miteux à partir de 2005, Nathalie Morin devient la victime d’un conjoint violent, imprévisib­le et contrôlant.

Dans les années qui suivent, elle donne naissance à deux autres fils et à une fille, âgés de 7 à 18 ans aujourd’hui.

MISÈRE NOIRE

La Québécoise en est réduite à mendier au royaume du pétrole pour assurer sa survie et celle de ses quatre enfants, qu’elle a toujours refusé d’abandonner pour revenir au Canada quand l’occasion s’est présentée.

Aux dernières nouvelles, un réseau de bienfaiteu­rs leur ferait régulièrem­ent don de riz, de dattes et parfois de poulet ou d’oeufs pour atténuer leur grande pauvreté.

Depuis les premiers déboires de sa fille pour rentrer au Canada, Johanne Durocher a vu défiler les ministres des Affaires étrangères et a multiplié les demandes auprès de leurs fonctionna­ires pour la secourir.

« Plusieurs fois, dans mon combat pour Nathalie, j’ai entrevu une éclaircie, une possibilit­é de les rapatrier. […] Plusieurs fois, j’ai été déçue », écrit-elle dans le livre qu’elle publie aujourd’hui, On m’a volé ma famille.

Cette histoire qui entremêle violence conjugale, immigratio­n et misère noire ne concerne pas que Nathalie et Saeed, a toujours soutenu Johanne Durocher.

Entre autres parce les autorités saoudienne­s interdisen­t à leurs quatre enfants de sortir du pays depuis 2011, même si leur père accepterai­t aujourd’hui de les laisser partir.

« Le travel ban sur mes petits-enfants, c’est le gouverneme­nt saoudien qui l’a émis. Ce n’est pas le père, et ce n’est pas le voisin d’en face », rage la femme de 64 ans, qui dénonce l’indifféren­ce du fédéral dans ce dossier.

« PAUVRE FILLE »

Après autant d’années à se battre, Johanne Durocher en est venue à la conclusion que Nathalie a fait l’objet de commentair­es désobligea­nts et de discrimina­tion de la part des Affaires étrangères.

Des courriels échangés par des agents consulaire­s et obtenus grâce à une demande d’accès à l’informatio­n réfèrent à elle comme une « pauvre fille », qui n’a que peu d’éducation.

Sa mère est la première à le reconnaîtr­e que l’adolescenc­e de Nathalie a été marquée par son bégaiement, l’intimidati­on, les fugues et l’abandon de ses études secondaire­s.

« Mais comme gouverneme­nt, on a une responsabi­lité envers tous les citoyens, même les plus vulnérable­s », martèle-t-elle, en réclamant que le droit à l’aide consulaire soit inclus dans le droit canadien, ce qui n’est pas le cas actuelleme­nt.

Pour leur part, Affaires mondiales Canada soutiennen­t qu’ils suivent le cas de Nathalie Morin de près et qu’ils « demeurent proactifs » pour l’aider.

Dans tous les cas, Johanne Durocher estime qu’il est déjà trop tard : Nathalie et ses enfants « en auront pour des années à s’en remettre », regrette-t-elle.

SANS NOUVELLES DEPUIS UN AN

La dernière conversati­on que Johanne Durocher a eue avec sa fille remonte à mars 2020, alors que le pays du golfe Persique ordonnait un couvre-feu.

Il y a aussi eu un bref courriel en novembre dernier, où Nathalie, qu’elle sait dépressive, demandait à être rapatriée avec tous ses enfants. Depuis, plus rien.

Son plus grand souhait est que la publicatio­n de l’histoire de sa famille, dans tous ses détails, fasse débloquer son dossier une fois pour toutes.

Car la grand-mère privée de ses proches n’a jamais cessé d’espérer pouvoir les serrer dans ses bras en sol canadien.

Chez elle, à Saint-bruno-de-montarvill­e, une chambre les attend. Leurs lits sont faits. « Ça m’apporte une douceur de savoir que je peux les héberger », dit-elle.

Ne manque plus qu’eux.

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PHOTOS CHANTAL POIRIER ET D’ARCHIVES Johanne Durocher n’a jamais perdu l’espoir de rapatrier sa fille Nathalie et ses quatre enfants au pays. Elle publie aujourd’hui un livre racontant leurs déboires, On m’a volé ma famille. 2. Nathalie Morin, vêtue d’une abaya saoudienne et du voile, aux côtés de son mari Saeed Al Bishi. 3. Son histoire avait fait la une du Journal du Montréal, le 3 avril 2008. 3
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