Le Journal de Quebec

Le droit de se foutre des autres

- RICHARD MARTINEAU richard.martineau@quebecorme­dia.com

C’est fou à quel point la notion de droits individuel­s a évolué en quelques années, vous ne trouvez pas ?

C’est comme le Big Bang : ça a commencé petit et ça ne cesse de s’étendre, de se dilater…

TACHE D’HUILE

Avant, c’était le droit à la vie, à la liberté, à la santé, le droit d’être maître de notre destin, d’être traité de façon juste et équitable – bref, les droits fondamenta­ux.

Puis il y a eu le droit d’être présumé innocent jusqu’à preuve du contraire, le droit d’acquérir et de posséder des propriétés, de rechercher le bonheur (comme le garantit la Constituti­on américaine), de dire et d’écrire ce qu’on pense.

Le droit à l’autodéterm­ination des peuples, à la libre circulatio­n des biens et des personnes, les droits des femmes, des minorités.

Puis le droit de protéger nos frontières, de porter des armes, d’utiliser la force pour se défendre, le droit d’espionner, d’interrompr­e une grossesse non désirée ou de mettre un terme à sa vie (mourir dans la dignité).

On a étendu la notion de droits aux enfants, aux animaux, à l’environnem­ent.

On défend maintenant le droit de mettre la santé des autres en danger !

LES DROITS SE REPRODUISE­NT À L’INFINI

Bref, la notion de droits fait tache d’huile.

Les droits s’étendent, se reproduise­nt, se multiplien­t à l’infini, comme dans un essaim, engendrant d’autres droits.

Bientôt, si ça continue, faute de pouvoir créer de nouveaux droits dans les sociétés humaines, on va étendre la notion de droits aux légumes, aux objets, aux éléments.

Preuve que « nous sommes entrés dans un nouvel âge de la démocratie et que les droits de l’homme servent maintenant à tout, même à nier les droits de l’homme », comme l’a dit fort justement l’historien et philosophe Marcel Gauchet, on défend maintenant de nouveaux droits, inédits, inconnus.

Le droit de ne pas me faire vacciner. Le droit de ne pas protéger mon voisin.

Le droit de me foutre des autres. Le droit de ne penser qu’à mon nombril.

Bref, le droit de ne penser qu’à mes droits.

On est rendu là, faut croire. La notion de « droits » prend tellement d’importance, dans notre société, elle occupe tellement de place dans nos réflexions et nos discussion­s qu’on est rendus à revendique­r haut et fort – et sans aucune gêne – le droit de nous foutre du droit des autres !

Bref, c’est le droit qui se mange la queue !

On a poussé la notion de droit tellement loin qu’elle se retourne contre elle-même !

C’est le monstre qui bouffe ses enfants, comme Saturne dans la toile de Goya !

DÉSACRALIS­ER LE SACRÉ

« La notion de droit est sacrée, m’a dit Denise Bombardier hier à QUB radio. Or, on est en train de la désacralis­er ! »

Tout à fait.

Quand tout et tout le monde a des droits, plus rien n’a de droits !

Si la notion de droit englobe tout, si elle s’applique à tout, à toutes les idées, même les plus liberticid­es, même les plus mortifères, alors elle ne veut plus rien dire !

On a pris une notion sacrée, comme dit mon amie Denise, et on l’a virée à l’envers.

On l’a dévoyée.

Vidée de son sens.

Arrêtez, le monde, s’il vous plaît, je veux descendre…

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