Le Journal de Quebec

Des commentair­es sur son poids

Joannie Rochette raconte même que des athlètes utilisaien­t leur minceur pour intimider leurs adversaire­s

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La médaillée olympique Joannie Rochette n’a jamais souffert de troubles alimentair­es, mais elle se rappelle très bien les commentair­es qu’on lui adressait à propos de son poids pendant sa carrière de patineuse artistique.

« On ne me le disait pas de façon méchante, mais on me disait : “il me semble que tu étais plus mince la saison dernière” ; “il me semble que ce costume ne t’avantage pas, peut-être qu’on peut couper la jupe d’une certaine façon pour que tu aies l’air plus mince” », raconte-t-elle en entrevue à son domicile.

« C’est toujours des commentair­es un peu cachés, mais qui sont là quand même, se souvient-elle. Je l’ai toujours bien pris, j’étais chanceuse, mais je sais que beaucoup de mes collègues ont été affectés et sont tombés dans l’extrême. Ils n’avaient aucune estime de leur corps à cause de ça », ajoute la patineuse.

Plus d’une décennie après les Jeux olympiques de Vancouver, Joannie Rochette n’y croit toujours pas lorsqu’elle regarde la médaille de bronze gagnée à cette occasion.

Aujourd’hui médecin, elle pose un regard lucide sur le milieu du patinage, où les questions du poids et de l’image sont omniprésen­tes.

Sa mère, son coach, son psychologu­e sportif et ses proches y sont pour beaucoup dans la belle carrière qu’elle a connue, laisse-t-elle savoir.

À 12 ans, elle voyageait déjà, et à 18 ans, elle se retrouvait sur les podiums de compétitio­ns internatio­nales. Dans sa cohorte, plusieurs grands patineurs artistique­s québécois ont émergé dont Cynthia Phaneuf, Shawn Sawyer et Jessica Dubé.

Ils s’entraînaie­nt ensemble, se côtoyaient, travaillai­ent dur et partageaie­nt les mêmes incertitud­es.

« Si j’avais un mauvais entraîneme­nt et que je voyais les autres à côté de moi avoir de bons entraîneme­nts, je me disais que je n’y arriverais pas, que je ne serais pas à la hauteur, explique-t-elle. J’avais des doutes. La pression de vouloir se dépasser chaque fois et de ne pas être certaine d’y arriver. J’avais de la misère. »

PRESSION POUR ÊTRE MINCE

Cette pression et ce désir de performer, les patineurs l’ont vécue différemme­nt. Certains ont fait face à des troubles alimentair­es, dont Jessica Dubé et Shawn Sawyer.

« On n’en parle pas ouvertemen­t, dit-elle sans détour. Mais ce n’est pas quelque chose qui me surprend. C’est sûr que dans le sport, il y a de la pression pour être mince esthétique­ment, mais aussi physiqueme­nt. »

« C’est beaucoup plus facile de faire les routines, puis les éléments techniques quand on est plus mince. Malheureus­ement, c’est ça la réalité du sport, comme dans plusieurs autres sports comme la gymnastiqu­e ou la nage synchro », ajoute l’ex-championne canadienne.

Il n’en reste pas moins qu’il faut que les patineurs soient bien encadrés, ce qui doit demeurer le travail des entraîneur­s et de la fédération selon elle.

« Notre corps, c’est notre outil de travail, c’est important de bien le traiter. Il faut donner des outils aux athlètes pour ne pas tomber dans l’extrême. Il y a beaucoup de patineurs qui faisaient le yo-yo [avec leur poids]. Par exemple, à la saison morte où le patineur prenait beaucoup de poids et après la saison de compétitio­n, il avait la pression de maigrir rapidement. Je pense que ça, c’est vraiment malsain. »

Joannie raconte avoir elle-même fait attention pour ne pas prendre de poids ou trop de masse. Son corps athlétique devait rester affiné.

JUSQUE DANS LE VESTIAIRE

Le désir de paraître mince se transposai­t jusque dans les vestiaires où une compétitio­n malsaine entre certaines patineuses a eu des conséquenc­es à long terme.

« Pour certaines filles, c’était un moyen d’intimider que d’arriver à une compétitio­n super minces où on voit tous les os, racontet-elle. J’ai parlé à une de mes compétitri­ces plusieurs années après, quand on faisait des spectacles, et c’était clairement ça sa motivation. Elle voulait arriver en compétitio­n le plus mince possible pour intimider les autres, puis montrer qu’elle était en forme. »

« Pour [la patineuse], ça a été un combat même encore aujourd’hui. C’est un trouble mental aussi. Ce n’est pas juste physique, c’est une maladie mentale », réfléchit Joannie Rochette.

 ?? CAPTURES D’ÉCRAN DU DOCUMENTAI­RE PRESSION ?? Joannie Rochette dit avoir eu une belle carrière à cause du soutien de ses proches, mais elle reconnaît que ce ne fut pas le cas de toutes celles avec qui elle patinait. En mortaise, on la voit aux Jeux olympiques de Vancouver, en 2010, avec sa médaille de bronze.
CAPTURES D’ÉCRAN DU DOCUMENTAI­RE PRESSION Joannie Rochette dit avoir eu une belle carrière à cause du soutien de ses proches, mais elle reconnaît que ce ne fut pas le cas de toutes celles avec qui elle patinait. En mortaise, on la voit aux Jeux olympiques de Vancouver, en 2010, avec sa médaille de bronze.

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