De graves séquelles à cause des commotions
Julianne Séguin dépend de ses parents pour faire des tâches simples
Trois ans après avoir arrêté la compétition, la vie de Julianne Séguin est encore hypothéquée à cause des commotions cérébrales. À 24 ans, elle dépend de ses parents pour faire son lavage, le ménage, et préparer les repas.
Nausées, étourdissements, vision trouble, difficulté à se concentrer, hypersensibilité à la lumière : aujourd’hui, elle vit avec de graves séquelles.
Originaires de la Rive-sud de Montréal, la patineuse et son partenaire, Charlie Bilodeau, étaient en 2018 les étoiles montantes de l’équipe canadienne de patinage artistique.
Cinq mois après les Jeux olympiques de Pyeongchang, où ils terminent neuvièmes, Charlie annonce la fin de son partenariat avec Julianne. De l’extérieur, tout avait pourtant l’air parfait. Mais en privé, les deux patineurs étaient au bout du rouleau.
Un an avant les Jeux en Corée du Sud, Julianne a subi trois commotions cérébrales. Et elles n’ont pas été prises au sérieux, affirme-t-elle.
« L’année avant les Jeux, j’étais un robot, dit-elle sans détour. [Il y avait les commotions] et Charlie a été opéré au genou. Moi, j’avais des symptômes qui revenaient parce que les entraînements étaient intenses », se souvient la jeune femme.
« Tu deviens une machine. Ton objectif de vie, c’est les Jeux olympiques. Tu te dis que peu importe le sacrifice que je dois faire, je vais le faire. En fait, ce n’était plus important de savoir si ça me tentait ou pas. Je me disais : “fais-le, sinon tu vas le regretter”. Tu t’oublies. Tu te fais une prison pour être sûr de performer. Ça crée un déséquilibre. Ce n’est pas sain. » De son propre aveu, elle aurait dû écouter davantage les professionnels de la santé. Mais elle devait à tout prix « retourner sur la glace, parce qu’il n’y avait pas une minute à perdre » pour se rendre aux Jeux olympiques.
NE PAS DÉCEVOIR
Pourtant, à cette époque, Patinage Canada était doté d’un protocole pour contrôler le retour sur la glace des patineurs.
Julianne affirme ne pas l’avoir suivi dès sa première commotion. Même chose pour les deux suivantes.
« Il fallait attendre 72 heures. Ça, je l’ai respecté, mais après ça, on a recommencé l’entraînement à haute intensité », relate-t-elle.
Julianne ne s’en cache pas, elle voulait retourner sur la patinoire. Elle ressentait une pression énorme pour patiner, pour réussir.
Elle ne voulait pas décevoir sa
famille, ses entraîneurs et son partenaire qui attendait qu’elle se rétablisse.
PRÉSERVER SON IMAGE FIABLE
En 2017, trois jours avant de partir pour une compétition à Moscou, Julianne reçoit un violent coup de coude au cou d’une autre patineuse et tombe sur la glace.
Elle est étourdie et ses nausées sont de plus en plus intenses. Son équipe et elle décident de se rendre tout de même en Russie.
« C’était trop dernière minute pour annuler. Tu te demandes ce que va dire Skate Canada et Patinage Québec. Tu veux garder ton image constante et fiable. C’est important, tu ne veux pas un X sur ton dossier », explique-t-elle.
Julianne traîne avec elle une tonne de médicaments. Le trajet en avion est difficile et semble interminable.
À l’arrivée à l’aréna, les lumières l’aveuglent.
« On a failli ne pas y aller, se rappelle Charlie. On se demandait si on poussait trop. J’avais mon mot à dire... oui et non. À travers tout ça, c’est l’équipe qui décide. »
À l’entraînement, Julianne pratique un premier triple [trois tours dans les airs] et chute violemment.
« J’avais l’impression d’être croche (à 45 degrés dans les airs) et je suis tombée tellement fort. Je me souviens juste de mon entraîneur qui me dit : “non t’es correcte”. C’était une réaction inhabituelle de mon entraîneur, et moi j’étais tellement mélangée sur la glace » explique Julianne.
« [Durant la performance], j’avais des haut-le-coeur toutes les deux ou trois secondes, je voulais juste que ça se termine. »
UN SOURIRE DE SOUFFRANCE
Julianne sourit comme elle a toujours appris à le faire, « mais c’est un sourire de souffrance », lance-t-elle lorsqu’elle regarde sa performance. Ils terminent au 5e rang, ce jour-là.
Au retour, Julianne est épuisée.
« Je suis revenue quasiment en burn-out. Je me disais que je tirais la plug et qu’on ne se rendrait pas aux J.O. Je n’étais plus là. »
Elle trouve le courage de continuer. Ils sont alors sélectionnés pour les Jeux olympiques.
« On était au top, mais on était plus épuisés que jamais. On essayait de tout faire. De mettre toutes nos énergies dans le patin. On ne prenait pas trop de congé », explique Charlie.
« J’étais fier de ce que j’accomplissais, poursuit-il, mais j’avais de la misère à dire que j’étais un athlète, un patineur artistique. Je n’ai jamais été capable d’assumer pleinement ce que je faisais à temps plein et je ne sais pas pourquoi. Ça m’a fait un choc aux Jeux olympiques. »
Au retour des Jeux, exténué, le couple doit rapidement revenir à l’entraînement et se préparer pour un autre cycle de quatre ans. Julianne est toujours affligée par les séquelles des commotions cérébrales. L’équipe lui fait alors savoir qu’elle doit retrouver une forme physique exemplaire et perdre du poids.
TENSION
Mais Charlie n’est pas d’accord avec ces demandes. La situation est tendue.
« J’ai eu une prise de conscience. Je n’étais plus bien dans l’environnement d’entraînement, dans la dynamique. Ça nous avait épuisés. Alors je me suis dit : si j’ai l’énergie pour continuer, je vais changer tout ça, mais il y avait quelque chose de plus profond encore », affirme Charlie.
En juillet 2018, le patineur décide de mettre fin à son partenariat avec Julianne et leur entraîneuse.
IL CONTINUE
Pour Julianne, c’est la fin du patinage en couple. Mais pas pour Charlie, qui se tourne alors vers une autre partenaire en 2019, avant d’annoncer sa retraite un an plus tard.
« On a tellement été entraînés à mettre le doute, les incertitudes et les questionnements de côté. Mais il faut écouter ce qui émane de ça. Quand je me suis rembarqué avec une autre partenaire, j’avais des doutes, mais je n’allais pas au fond [des doutes] parce que j’étais habitué. Puis, quand j’allais à l’entraînement, il y avait un point où j’étais pu capable. […] J’ai alors frappé un mur. »
Au moment de leur séparation, Julianne ne savait pas que Charlie lui avait peutêtre sauvé la vie. Il a pris la décision qu’elle n’aurait jamais réussi à prendre, celle de se retirer pour se soigner.
« Je suis sortie de cette situation malsaine grâce à lui, dit Julianne avec du recul. Toute l’ambiance était pu bonne. Je n’avais pas la force de m’en sortir. Il l’a fait pour son bien à lui, mais aussi pour moi. […] Il était temps de changer. Ça n’aurait pas fonctionné un autre 4 ans dans la même bulle ».