SE VIDENT LE COEUR
Certains patineurs artistiques ont vécu des troubles alimentaires, des dépressions et divers abus
Le patinagei artistiqueii au Canada a besoin d’une refonte et d’un « bon ménage du printemps » pour le bien-être physique et mental de nos sportifs, affirment des athlètes olympiques et spécialistes dans le domaine.
Troubles alimentaires, dépressions, commotions cérébrales pas prises au sérieux, obsession pour la performance et l’apparence.
Dans le cadre du documentaire Pression, diffusé sur Club illico depuis jeudi, sept patineurs artistiques prennent la parole pour raconter comment les standards imposés par le sport les ont poussés à parfois mettre leur santé en jeu.
Ils ont accepté de témoigner afin de faire évoluer ce sport qu’ils ont tant aimé.
« Un bon ménage du printemps, c’est toujours nécessaire, lance l’olympien Shawn Sawyer, aujourd’hui entraîneur. […] On va devoir mettre de la lumière sur des choses moins belles, et quand ces choses-là seront réglées et améliorées, ce sera un sport encore plus extraordinaire. »
SÉQUELLES QUI PERDURENT
Shawn Sawyer, comme plusieurs autres athlètes, a souffert de troubles alimentaires, notamment d’anorexie et de boulimie. Son poids a longtemps été une obsession si bien qu’il ne mangeait rien avant des compétitions internationales et se pesait trois fois par jour ( à lire demain).
Les athlètes qui se sont confiés à notre Bureau d’enquête reviennent sur la période comprise entre 2006 et 2018. Certains vivent toujours avec des séquelles du passé, incluant des commotions cérébrales ou des blessures mal soignées.
Il est rare que des athlètes d’élite parlent ouvertement des troubles qu’ils ont vécus. Ils ont évolué sous les yeux d’organisations sportives, d’entraîneurs et de spécialistes, et la peur de froisser certains d’entre eux est très présente.
Au pays, Patinage Canada est le seul organisme qui supervise les normes du sport, forme et certifie les entraîneurs.
L’organisme a reçu près de 3 millions $ de fonds publics au cours de chacune des deux dernières années, en prévision des Championnats du monde qui devaient avoir lieu à Montréal.
De plus, Patinage Canada a perçu près de 15 M$ en deux ans en frais d’inscription des athlètes et de leurs familles.
SYMPTÔMES POST-TRAUMATIQUES
D’après les confessions obtenues, la plupart des patineurs en sont venus à se convaincre de minimiser leur douleur et leur état, même s’ils étaient parfois blessés gravement.
Une situation que dénonce Sport’aide, qui offre une écoute aux jeunes sportifs, athlètes de haut niveau, organisations, parents et entraîneurs. L’organisme a effectué plus de 700 interventions depuis 2018.
« Selon une étude de l’université de Toronto, les conséquences chez les individus qui ont une expérience sportive négative sont graves : désordre alimentaire, symptômes post-traumatiques, idées suicidaires, dépression, et ça les suit pendant des années », explique Sylvain Croteau, directeur général de Sport’aide.
« Il y a des gens qui nous appellent et ils ont des blessures [psychologiques] qui perdurent depuis plus d’une trentaine d’années », ajoute-t-il.
Pour Joëlle Carpentier, consultante en psychologie sportive à L’UQAM, certains athlètes ont l’impression qu’ils doivent souffrir pour réussir. Une fausse mentalité longtemps véhiculée et qui doit changer, selon elle.
« C’est comme normaliser le fait qu’il faut souffrir pour repousser cette limite-là », explique la spécialiste.
PEU DE RÉPONSES
Patinage Canada a refusé nos demandes d’entrevue, mais a répondu à certaines des questions par courriel.
Concernant les troubles alimentaires, l’organisation affirme avoir mis en place une formation sur l’image corporelle et « travaille avec une équipe de professionnels et d’universitaires pour créer une formation sur les troubles du comportement alimentaire », a répondu la porte-parole Amy Levac.
Plusieurs patineurs ont rapporté avoir horreur de la pesée qui leur était régulièrement imposée, parce que ce moment était source de stress. Impossible de savoir pourquoi ce rituel avait lieu à l’époque.
Patinage Canada affirme ne plus tolérer que les entraîneurs ou le personnel pèsent les athlètes lors des entraînements quotidiens. Seul un professionnel de la santé peut surveiller le poids.
Mais qui vérifie que cette règle est suivie ? L’organisation n’a pas répondu.
Même chose pour les commotions cérébrales. Patinage Canada dit avoir mis en place un protocole détaillé, mais impossible de savoir qui s’assure qu’il est bien respecté.