Le Journal de Quebec

LE PATINAGE L’A RENDUE BOULIMIQUE

Jessica Dubé se faisait vomir avant les compétitio­ns, car elle voulait toujours être plus mince et légère

-

En 2013, Jessica Dubé annonce à la surprise de tous sa retraite du patinage artistique, prétextant une blessure persistant­e. En réalité, elle est surtout coincée dans une spirale dont elle ne voit plus la fin : la boulimie.

« Il y a 8 ans, je n’ai jamais dit la vraie raison de mon arrêt du patin, reconnaît Jessica. Pourtant, il y a tellement de patineurs qui ont eu ce trouble-là [...] Une chance qu’on a plus le culot de parler aujourd’hui [des troubles alimentair­es]. »

Pendant longtemps, l’olympienne a eu honte de parler de sa boulimie. Lorsqu’on lui demandait pourquoi elle avait quitté le patinage artistique, elle disait qu’elle s’était blessée.

Même plusieurs membres de sa famille proche ne sont pas au courant de ce qu’elle a vécu.

Aujourd’hui, elle accepte de parler afin de briser les tabous, faire tomber les préjugés et inculquer des valeurs saines à la nouvelle génération.

ÊTRE PARMI LES MEILLEURES

Jessica Dubé a su très tôt qu’elle voulait se tailler une place parmi les meilleures. Dès son entrée dans les juniors, on lui trouve un partenaire et elle cumule les médailles.

C’est aussi à cette époque qu’elle devient très proche d’une autre grande athlète, Cynthia Phaneuf, qui se démarque en simple. Elles vivront ensemble leurs meilleures et leurs plus difficiles années dans le patinage artistique.

« Notre vie était décidée à la lettre. On se levait, on allait à l’aréna, l’entraîneme­nt, la gym et le ballet, se rappelle Jessica. Je me souviens que j’allais chez mes parents le week-end pour décrocher un peu. Ils veulent te gâter, mais tu ne peux pas manger ce que tu veux ou te coucher tard. J’ai été dans cette bulle toute ma vie. On travaillai­t fort et on aimait ça. »

Mais plus elle grimpe les échelons, plus la complexité des sauts augmente, tout comme le nombre de fois où elle se fait parler de son poids. Elle a environ 15 ans.

POIDS ET COMMENTAIR­ES

« C’est quelque chose qu’on se fait dire à un très jeune âge, soutient-elle.

Que tu dois avoir l’air d’une certaine façon, une figure ou une image typique. En tant que femme, on n’a pas la puberté au même moment, ton corps change et tu te le fais dire […].

« Pourtant, je réussissai­s tous mes éléments [sauts et pirouettes]. Je ne comprenais pas pourquoi on me disait ça. Ce sont de petits commentair­es qui t’attaquent mentalemen­t. Ce n’est pas toujours volontaire­ment, mais vous savez, c’est encore ancré dans ma tête », relate-t-elle.

On lui dit alors que ce serait plus facile pour son partenaire de la soulever si elle était plus légère. On ajoute qu’elle pourrait sauter plus aisément.

Elle est petite et n’a pas de surplus de poids. Pourtant, on la pèse régulièrem­ent.

On prend même « les plis de son corps pour calculer le pourcentag­e de gras », se rappelle-t-elle.

Au stress de ces pesées se mêle la déception. Le chiffre sur la balance n’est jamais assez bas.

LA MALADIE

Après ses premiers Jeux olympiques à Turin, elle développe un trouble alimentair­e : la boulimie.

Son poids est alors une obsession et elle se fait vomir avant les compétitio­ns.

« Je me disais que si j’avais encore mes règles, je ne devais pas être si malade que ça. Je me disais que je pouvais pousser encore », relate-t-elle.

Elle a tenté de cacher sa boulimie pendant plusieurs années, mais son ancien amoureux l’avait remarquée. Il voulait à tout prix qu’elle s’en sorte.

C’est lors de leur rupture qu’il la place devant un ultimatum ; elle doit en parler à quelqu’un d’autre, peu importe qui, sinon la mère de Jessica sera mise au courant.

« J’étais déboussolé­e et je ne pouvais pas le dire à ma mère. J’étais incapable. J’en ai alors parlé à une bonne amie qui est coach. Je lui ai dit “je suis malade depuis quatre ou cinq ans”, et c’est là qu’elle m’a aidée », raconte la patineuse.

« Au début, je n’étais pas d’accord de me faire pousser, mais aujourd’hui si je revoyais ce gars-là, je lui dirais merci. Il m’a sauvé la vie. Je ne sais pas ce qui serait arrivé. »

Après la rupture, Jessica enchaîne elle est si faible qu’elle a de la difficulté à effectuer des sauts.

Elle rencontre une nutritionn­iste et un psychologu­e. Elle reprend du poids, mais elle est démotivée.

En voyant la tournure des événements, son partenaire sur la glace décide de mettre fin à leur associatio­n afin que Jessica se concentre sur son rétablisse­ment.

« Je n’aimais plus le patin. Je l’enseignais pour le travail, j’étais en dépression. Le patin qui se termine, ma relation qui se termine et ma maladie. Je n’allais pas bien. »

Pour une rare fois, Jessica s’est permis une pause du patinage artistique afin de se rétablir mentalemen­t et physiqueme­nt.

« Maintenant, je suis capable de dire que j’ai eu une belle carrière et que j’en suis fière, mais ça m’a pris vraiment du temps avant de dire ça. »

Elle enseigne maintenant aux jeunes patineurs.

 ?? PHOTOS MARIE-CHRISTINE NOËL ET
D’ARCHIVES, MARTIN CHEVALIER ?? Après avoir surmonté la boulimie, l’ex-patineuse artistique Jessica Dubé est aujourd’hui entraîneus­e pour les jeunes. En mortaise, on la voit avec son ancien partenaire Bryce Davison aux Jeux olympiques
de Vancouver en 2010.
PHOTOS MARIE-CHRISTINE NOËL ET D’ARCHIVES, MARTIN CHEVALIER Après avoir surmonté la boulimie, l’ex-patineuse artistique Jessica Dubé est aujourd’hui entraîneus­e pour les jeunes. En mortaise, on la voit avec son ancien partenaire Bryce Davison aux Jeux olympiques de Vancouver en 2010.

Newspapers in French

Newspapers from Canada