Français : un appel à la solidarité
Le débat sur la place du français au Québec reprendra aujourd’hui avec la présentation par le gouvernement Legault de son plan prétendument « costaud ».
Question existentielle s’il en est. Et très ancienne.
Au Salon bleu de l’assemblée nationale, le tableau de Charles Huot surplombant le trône du président s’intitule précisément Le débat sur les langues.
Il présente une scène de 1793 se déroulant dans le nouveau parlement du Bas-canada.
On vient, l’année précédente, d’élire les premiers députés.
Ils se chamaillent pour savoir si les échanges se feront en anglais ou en français.
Une chaise renversée marque bien l’intensité des échanges.
L’intensité, c’est précisément ce qui manquait depuis quelques années au Québec, lorsqu’on abordait ce sujet.
Dans l’après-référendum de 1995, les nationalistes semblèrent épuisés, tétanisés.
Saisis par une sorte de mauvaise conscience (entre autres après les propos sur les « votes ethniques » de Parizeau), la plupart d’entre eux, ainsi que les gouvernements Bouchard et Landry, voulurent éviter la question.
APATHIE
Certes, au début du présent siècle, il y eut la commission Larose (les États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec).
Elle déboucha en 2002 sur l’adoption de la loi 104 visant à colmater la brèche des « écoles passerelles » dans la Charte de la langue française.
En son article 1, la loi 104 imposait à l’état de communiquer « uniquement » en français avec « les autres gouvernements » et « les personnes morales établies au Québec ».
Or, ce n’est que la semaine dernière que l’actuel gouvernement annonça qu’il appliquerait finalement cet article, en 2022 !
Rien de mieux pour illustrer 20 ans d’apathie. Que seul le gouvernement Marois, en 2013, tenta de secouer avec son projet de loi 14, qui se buta à l’opposition féroce des caquistes Éric Caire et Nathalie Roy.
AVEUGLEMENT VOLONTAIRE
Les ères Charest et Couillard, au plan linguistique, furent celles du
« tout va bien, madame la marquise ». Un je-m’en-foutisme triste et coupable. Les intérêts des prétendues minorités anglophones passaient avant tout.
La « paix linguistique » devait être préservée à tout prix.
L’aveuglement volontaire régnait. En 2008, France Boucher, alors présidente de l’office québécois de la langue française (OQLF), déposa en vrac des tonnes de statistiques sur la situation du français, déclarant : « Ce n’est pas à l’office de se substituer à qui que ce soit pour porter un jugement » !
Pendant ce temps, l’anglicisation progressa partout. Dans les commerces.
Mais surtout dans nos écoles, où les enfants furent plongés dès le plus jeune âge dans le numérique et les médias sociaux, ces classes d’immersion anglophones virtuelles, permanentes et planétaires.
L’anglais n’est pas un « ennemi ». Le bilinguisme – voire le « polyglottisme » – personnel, c’est fabuleux. Mais collectivement, publiquement, nous devons défendre et promouvoir le français dans ce coin de continent. Comme l’écrivait Will Kymlicka, penseur canadien du multiculturalisme : « Toute langue non utilisée publiquement s’en trouvera si marginalisée qu’elle ne survivra probablement qu’au sein d’une petite élite. »
Bien des Québécois anglophones le comprennent d’ailleurs, et ont, en proportions impressionnantes, appris le français depuis des décennies.
Leur solidarité, dans la nouvelle donne linguistique numérique évoquée plus haut, serait plus que bienvenue.