Le Journal de Quebec

Une réforme jugée trop timide

Un expert croit que la refonte de la loi 101 « ne pousse pas assez fort » pour empêcher le déclin du français

- CHARLES LECAVALIER

La réforme de la Charte de la langue française est trop timide, selon le statistici­en et professeur émérite à l’université d’ottawa, Charles Castonguay. Le démographe Marc Termote est plutôt « impression­né » par le projet de loi, mais ne croit pas qu’il va infléchir le recul du français à la maison.

« On est en mouvement vers l’anglicisat­ion du Québec. Pour redresser la situation, il faut pousser fort. Et là, on ne pousse pas assez fort », résume simplement le chercheur Castonguay, qui a publié récemment le livre-choc Le français en chute libre : la nouvelle dynamique des langues au Québec.

M. Castonguay voit certains points positifs. Simon Jolin-barrette reconnaît qu’il faut une hausse drastique du transfert linguistiq­ue des nouveaux arrivants vers le français pour contrer son déclin. Ce taux est d’environ 53 % actuelleme­nt, il doit dépasser les 90 %. « Ça fait 20 ans que j’en parle. Je suis content de voir que l’idée a fait son chemin », dit celui qui observe l’évolution du français au Québec depuis plus de cinquante ans.

ANGLICISAT­ION DES FRANCOS

Mais sur le fond, croit-il, le gouverneme­nt Legault ne touche pas au coeur du problème : il laisse toujours les cégeps anglophone­s angliciser « l’élite de demain ». « On assiste à Montréal à un mouvement d’anglicisat­ion des jeunes adultes francophon­es », dit-il. Selon lui, le plafonneme­nt proposé par le gouverneme­nt n’est pas suffisant.

Le vétéran démographe Marc Termote, qui a présidé le Comité de suivi de la situation linguistiq­ue de l’office québécois de la langue française de 2009 à 2016, croit que le projet de loi du ministre Simon JolinBarre­tte « va probableme­nt aussi loin qu’il soit possible juridiquem­ent, politiquem­ent et socialemen­t ».

« On peut espérer que le déclin du français dans l’espace public pourra être tout au moins freiné », dit-il au Journal. « Mais en ce qui concerne l’évolution du français dans la sphère privée, la tendance au déclin ne pourra guère être affectée. Or, à long terme, c’est dans la sphère privée que se détermine l’avenir d’un groupe linguistiq­ue », ajoute-t-il.

À son avis, malgré les bonnes volontés de la CAQ, « on va se retrouver de plus en plus, du moins à Montréal, dans une situation où il y a décrochage entre la langue parlée dans la sphère privée et la langue parlée dans la sphère publique », s’inquiète-t-il.

CHANGER LA CONSTITUTI­ON

Le projet de loi « tentaculai­re » comportant une centaine de pages a aussi un autre objectif : celui de placer le plus haut possible la protection de la langue dans la « hiérarchie des normes », explique le constituti­onnaliste Patrick Taillon.

« Ils modifient la Charte québécoise. Ils modifient la Constituti­on canadienne. Ils utilisent la clause dérogatoir­e […] pour envoyer un message aux juges : on vous demande de ne pas vous mêler de ça, sans trop savoir précisémen­t quel droit serait violé », analyse-t-il.

DEUX ÉCOLES DE PENSÉE

Sur le fond, est-ce que ce branle-bas juridique permettra de mieux protéger la langue? Le professeur de l’université Laval explique qu’il y a deux écoles de pensée. « Ceux qui trouvent que ça ne sert à rien », puisque c’est avant tout symbolique.

Et les autres, qui estiment qu’en mettant en avant la place du français dans les grands textes de loi, on « ajoute un ingrédient à la salade » lorsque les juges auront à faire une interpréta­tion juridique.

Il y a des mesures intéressan­tes, comme la création d’un ministère pour la langue française, et aussi un commissair­e. D’autres mesures nous apparaissa­nt essentiell­es ne s’y trouvent pas, par exemple la francisati­on pour les entreprise­s de 10 employés et plus. »

– Ruba Ghazal, députée de Québec solidaire

Le Parti libéral souscrit pleinement au consensus voulant que nous ayons une responsabi­lité historique par rapport à la préservati­on et la pérennité de la langue française en Amérique. Et c’est la raison pour laquelle on est en faveur d’une modernisat­ion. »

– Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral

M. Legault a dit que c’était extrémiste, de la part du Parti québécois, que d’exiger l’applicatio­n de la loi 101 au cégep. […] Tout ce que nous demandons, c’est que la langue d’enseigneme­nt pour les allophones et les francophon­es, ce soit le français, dans un contexte où les transferts linguistiq­ues vers l’anglais sont très rapides. »

– Paul St-pierre Plamondon, chef du Parti québécois

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CHARLES CASTONGUAY

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