Le Journal de Quebec

Le chachat et les pigeons

- THOMA AS MULC CAIR Ex-ministre de l’environnem­ent et ex-chef du NPD thomas.mulcair @quebecorme­dia.com

François Legault doit penser rêver. Justin Trudeau vient de s’exprimer en accord avec sa grande manoeuvre constituti­onnelle. Ainsi, la Constituti­on de Trudeau père aura finalement trouvé grâce aux yeux des nationalis­tes, car au moins, elle peut servir à... modifier la Constituti­on canadienne !

On dit en anglais : « set the cat among the pigeons » pour décrire une situation où on fout le bordel en garrochant un élément intrus et adversaire qui va chambouler une situation qui paraissait jusque-là calme. Ici, le chat est le ministre Simon Jolin-barrette et les pigeons, le cabinet de Justin Trudeau.

TRUDEAU PRIS DE COURT

Dans ce nouveau dossier constituti­onnel, Justin Trudeau semble pris de court. Pourtant, c’était facile à prévoir. François Legault avait mis cartes sur table avant l’élection de 2018 : il voulait plus de pouvoirs en matière d’immigratio­n, de culture et de langue.

Legault n’allait pas attendre la permission. Il vient de décider qu’il ira chercher plus de pouvoirs en changeant lui-même la Constituti­on. Ce faisant, Legault vient de prouver à nouveau qu’il est un fin stratège face à un gouverneme­nt de dilettante­s à Ottawa.

Le Bloc a déjà annoncé son intention de présenter une motion d’opposition pour forcer Trudeau et son caucus à voter en faveur de la loi 96. Ça risque de provoquer des flammèches, car autant des députés anglophone­s du Québec s’inquiètent, avec raison, au chapitre des droits linguistiq­ues, autant des députés de l’ouest canadien lorgnent avec intérêt cette nouvelle possibilit­é de changer la Constituti­on à leur façon.

BOUCHARD A RÉUSSI

Chacun sa Constituti­on, quoi ! Mais, en fait, c’est plus qu’une boutade, car c’est le fondement de l’argumentai­re de la CAQ : une province peut modifier unilatéral­ement la Constituti­on canadienne si c’est pour changer sa propre Constituti­on ; et c’est elle qui décide ce qui est sa propre Constituti­on.

Lorsque Lucien Bouchard a proposé un changement constituti­onnel pour remplacer nos commission­s scolaires protestant­es et catholique­s par des établissem­ents anglophone­s et francophon­es, il a réussi en ayant recours à l’article 43 de la Constituti­on de 1982, qui exige une motion de la Chambre des communes et du Sénat.

Legault prétend qu’il n’a pas besoin de faire ça, car il modifie juste la « Constituti­on du Québec » et donc, il peut utiliser un autre article, l’article 45, et procéder unilatéral­ement.

En fait, changer le nom de la législatur­e du Québec en « Assemblée nationale » ou se débarrasse­r de notre « Sénat », c’est changer la Constituti­on du Québec. S’il s’agit de droits linguistiq­ues, c’est l’article 43 qui doit être suivi, comme Bouchard l’a fait. Mais là où Bouchard avait besoin de la modificati­on, Legault semble vouloir prouver son point, peu importe comment.

LA LANGUE DE LA JUSTICE

C’est effectivem­ent au chapitre de la langue de la justice et des lois que ça va se corser. Tant ici, au Québec, qu’au Manitoba, les lois doivent être votées dans les deux langues, les procédures parlementa­ires sont bilingues et les citoyens ont un droit constituti­onnel d’avoir recours aux tribunaux dans les deux langues.

Une loi s’interprète dans son contexte. La loi 96 continue une guerre larvée entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif sur la langue des tribunaux au Québec.

Jolin-barrette entend utiliser le pouvoir législatif pour se donner raison. Les modificati­ons restreigna­nt la possibilit­é d’utiliser les deux langues, au Code civil et dans d’autres lois, seront aussi sous la loupe et risquent de forcer Trudeau à se raviser... au plus grand plaisir de Legault !

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Trudeau semble piégé par la stratégie de Legault et Jolin-barrette.
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