Les artistes méritent plus que des bonbons
Nous vous écrivons cette lettre d’abord pour vous remercier au nom du milieu culturel d’avoir récemment injecté des sous supplémentaires dans les programmes du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Le milieu en avait grandement besoin.
À ce titre, on pouvait lire le 4 mai dernier dans l’article de La Presse intitulé « 12 millions de plus pour les bourses destinées aux artistes » que « l’autoproduction est désormais considérée comme un des modèles d’affaires de prédilection ». Ce que la journaliste nous rapporte est bien vrai.
L’AUTOPRODUCTION GAGNE EN POPULARITÉ
En effet, la démocratisation des outils liés à l’enregistrement sonore s’est opérée à vitesse grand « V » depuis les années 1970. À l’époque, il en coûtait 1000 $ par jour (4250 $ en pouvoir d’achat d’aujourd’hui, inflation comptée) pour enregistrer des chansons au légendaire Studio Morin Heights, là où Charlebois, Ferland, Beau Dommage, Prince, Bowie ou The Police ont mis au monde quelques-unes de leurs créations.
Aujourd’hui, pour 15 000 $, on peut se procurer un ordinateur portable, un excellent micro à condensateur, un préampli à lampes, une panoplie d’émulateurs numériques reproduisant le son des meilleures consoles et enregistreuses analogues, des compresseurs « vintage » et de multiples effets. Et puis, Youtube regorge aussi de milliers de tutoriels bourrés de trucs du métier pour opérer ces outils qui se simplifient de jour en jour.
Voilà pourquoi l’autoproduction est devenue reine. Pour des raisons purement technologiques et économiques.
Payer les gens pour créer et pour produire, c’est bien. C’est ce que vos subventions du CALQ font à merveille et de mieux en mieux. Merci pour cet apport, d’ailleurs. Mais quand vient le temps de promouvoir ces oeuvres produites, de les commercialiser, de leur trouver des oreilles, alors la majeure partie des subventions pour y parvenir se retrouve à la SODEC.
Ce que nous tenons à vous rappeler aujourd’hui, c’est que les autoproducteurs en musique sont tout simplement exclus de la SODEC. Parce que pour avoir accès aux subventions de la SODEC, il faut être un « producteur reconnu », ou avoir signé avec un « producteur reconnu », ou devenir un « producteur reconnu », en s’incorporant et en mettant sous contrat d’autres artistes.
Sans compter qu’un « artiste-entrepreneur » incorporé n’aura pas accès aux deniers publics récemment envoyés au CALQ, ceux qui sont réservés aux individus ou aux organismes à but non lucratif. Dans ce système, Madame la Ministre, l’artiste-entrepreneur est donc assis entre deux chaises.
DE L’ARGENT POUR L’ARTISTE-ENTREPRENEUR
De plus, ce système maintenu en place par votre ministère et sa Loi sur la SODEC canalise ces subventions vers les poches des « producteurs reconnus ». Ce qui force notre créativité artistique en quête de commercialisation à signer avec eux ; à leur céder des droits, au passage. Des droits qui rapportent. Beaucoup, dans certains cas.
Il est vrai que certains artistes n’ont pas le profil d’un entrepreneur. Auquel cas, l’idée de travailler avec un producteur est tout à fait justifiée. Mais dans la majeure partie des cas, en plus de faire sonner d’eux-mêmes leur musique comme une tonne de briques, les artistes s’occupent souvent mieux que quiconque à lui trouver des oreilles.
Parce que la technologie a démocratisé aussi les moyens de promotion. Internet a démocratisé la distribution et la diffusion de notre culture. Mais pour sortir du lot, ça prend un budget. De l’argent pour acheter du placement média. Beaucoup d’argent.
LE PLAFOND DE VERRE DE LA SODEC
Il est bon de se rappeler à quel point vous dites vrai, lorsque vous avancez dans votre communiqué de presse du 4 mai dernier que « l’autoproduction est un des modèles d’affaires de plus en plus présents dans le milieu artistique ». Oui. Parce que, selon le rapport annuel de la Société de gestion collective des droits des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, 80 % de ses membres sont des artistes autoproduits. Ses nouveaux membres sont composés à 96 % d’autoproducteurs. Ses redevances versées en 2019-2020 concernent à 51 % les autoproducteurs.
Nous applaudissons donc votre lucidité, Madame la Ministre. Et nous vous remercions pour ces bonbons.
Mais comme bonbon ultime et durable, nous vous demandons de bien vouloir briser une fois pour toutes ce fameux plafond de verre à la SODEC, celui auquel l’ascension des artistes autoproduits se fracasse depuis des décennies. Parce qu’autant les producteurs que les autoproducteurs devraient pouvoir cohabiter pour faire rayonner notre culture.
Merci de votre écoute.