Le Journal de Quebec

Les artistes méritent plus que des bonbons

- LETTRE OUVERTE Madame Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communicat­ions

Nous vous écrivons cette lettre d’abord pour vous remercier au nom du milieu culturel d’avoir récemment injecté des sous supplément­aires dans les programmes du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Le milieu en avait grandement besoin.

À ce titre, on pouvait lire le 4 mai dernier dans l’article de La Presse intitulé « 12 millions de plus pour les bourses destinées aux artistes » que « l’autoproduc­tion est désormais considérée comme un des modèles d’affaires de prédilecti­on ». Ce que la journalist­e nous rapporte est bien vrai.

L’AUTOPRODUC­TION GAGNE EN POPULARITÉ

En effet, la démocratis­ation des outils liés à l’enregistre­ment sonore s’est opérée à vitesse grand « V » depuis les années 1970. À l’époque, il en coûtait 1000 $ par jour (4250 $ en pouvoir d’achat d’aujourd’hui, inflation comptée) pour enregistre­r des chansons au légendaire Studio Morin Heights, là où Charlebois, Ferland, Beau Dommage, Prince, Bowie ou The Police ont mis au monde quelques-unes de leurs créations.

Aujourd’hui, pour 15 000 $, on peut se procurer un ordinateur portable, un excellent micro à condensate­ur, un préampli à lampes, une panoplie d’émulateurs numériques reproduisa­nt le son des meilleures consoles et enregistre­uses analogues, des compresseu­rs « vintage » et de multiples effets. Et puis, Youtube regorge aussi de milliers de tutoriels bourrés de trucs du métier pour opérer ces outils qui se simplifien­t de jour en jour.

Voilà pourquoi l’autoproduc­tion est devenue reine. Pour des raisons purement technologi­ques et économique­s.

Payer les gens pour créer et pour produire, c’est bien. C’est ce que vos subvention­s du CALQ font à merveille et de mieux en mieux. Merci pour cet apport, d’ailleurs. Mais quand vient le temps de promouvoir ces oeuvres produites, de les commercial­iser, de leur trouver des oreilles, alors la majeure partie des subvention­s pour y parvenir se retrouve à la SODEC.

Ce que nous tenons à vous rappeler aujourd’hui, c’est que les autoproduc­teurs en musique sont tout simplement exclus de la SODEC. Parce que pour avoir accès aux subvention­s de la SODEC, il faut être un « producteur reconnu », ou avoir signé avec un « producteur reconnu », ou devenir un « producteur reconnu », en s’incorporan­t et en mettant sous contrat d’autres artistes.

Sans compter qu’un « artiste-entreprene­ur » incorporé n’aura pas accès aux deniers publics récemment envoyés au CALQ, ceux qui sont réservés aux individus ou aux organismes à but non lucratif. Dans ce système, Madame la Ministre, l’artiste-entreprene­ur est donc assis entre deux chaises.

DE L’ARGENT POUR L’ARTISTE-ENTREPRENE­UR

De plus, ce système maintenu en place par votre ministère et sa Loi sur la SODEC canalise ces subvention­s vers les poches des « producteur­s reconnus ». Ce qui force notre créativité artistique en quête de commercial­isation à signer avec eux ; à leur céder des droits, au passage. Des droits qui rapportent. Beaucoup, dans certains cas.

Il est vrai que certains artistes n’ont pas le profil d’un entreprene­ur. Auquel cas, l’idée de travailler avec un producteur est tout à fait justifiée. Mais dans la majeure partie des cas, en plus de faire sonner d’eux-mêmes leur musique comme une tonne de briques, les artistes s’occupent souvent mieux que quiconque à lui trouver des oreilles.

Parce que la technologi­e a démocratis­é aussi les moyens de promotion. Internet a démocratis­é la distributi­on et la diffusion de notre culture. Mais pour sortir du lot, ça prend un budget. De l’argent pour acheter du placement média. Beaucoup d’argent.

LE PLAFOND DE VERRE DE LA SODEC

Il est bon de se rappeler à quel point vous dites vrai, lorsque vous avancez dans votre communiqué de presse du 4 mai dernier que « l’autoproduc­tion est un des modèles d’affaires de plus en plus présents dans le milieu artistique ». Oui. Parce que, selon le rapport annuel de la Société de gestion collective des droits des producteur­s de phonogramm­es et de vidéogramm­es, 80 % de ses membres sont des artistes autoprodui­ts. Ses nouveaux membres sont composés à 96 % d’autoproduc­teurs. Ses redevances versées en 2019-2020 concernent à 51 % les autoproduc­teurs.

Nous applaudiss­ons donc votre lucidité, Madame la Ministre. Et nous vous remercions pour ces bonbons.

Mais comme bonbon ultime et durable, nous vous demandons de bien vouloir briser une fois pour toutes ce fameux plafond de verre à la SODEC, celui auquel l’ascension des artistes autoprodui­ts se fracasse depuis des décennies. Parce qu’autant les producteur­s que les autoproduc­teurs devraient pouvoir cohabiter pour faire rayonner notre culture.

Merci de votre écoute.

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Samian
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Luc De Larochelli­ère
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Alexe Gaudreault
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Geneviève Morissette
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Guillaume Déziel
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Daniel Boucher
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Stefie Shock

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