Desjardins n’a pas écouté la police
Des policiers assurent avoir averti l’institution de ne pas alerter le suspect du vol de données
L’enquête criminelle sur le mégavol de données personnelles de plus de 4 millions de clients de Desjardins pourrait avoir été compromise parce que l’institution bancaire a alerté le principal suspect, même si la police lui avait clairement dit de ne pas le faire.
En mai 2019, la police de Laval, qui avait amorcé l’enquête « Projet Glaive » suite à des signalements de fraude sur son territoire, a servi une sérieuse mise en garde à Desjardins.
L’institution financière avait alors identifié son ex-employé Sébastien Boulanger-dorval comme l’auteur présumé du vol. Elle désirait récupérer l’ordinateur portable du suspect, ce qui aurait pu lui mettre la puce à l’oreille quant au fait qu’il faisait l’objet d’une enquête.
« NE PAS NUIRE À L’ENQUÊTE »
Le sergent-détective Patrick French, de la police de Laval, s’est alors objecté « fortement à toute action que Desjardins pourrait entreprendre, et ce, compte tenu de l’enquête policière en cours », peut-on lire dans une série d’affidavits rendus disponibles hier par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).
« [Le policier] répète à plusieurs reprises qu’aucune démarche à l’égard de cet employé ne doit être conduite sans l’accord explicite d’un représentant du Service de police de
Laval, dans le but de ne pas nuire à l’enquête », selon les dénonciations de sa collègue Marie-line Bélair, elle-même sergente-détective à la police de Laval.
Malgré cette mise en garde, Desjardins a entrepris plusieurs démarches dans les jours suivants, dont la fouille du bureau de Boulanger-dorval, à Lévis, et la saisie de documents sur les lieux.
Les policiers en auraient été avisés a posteriori, lit-on dans les documents dont plusieurs passages ont été caviardés par la Couronne et par Desjardins.
CLIMAT DE MÉFIANCE
Au cours des derniers mois, plusieurs reportages ont fait état de difficultés de collaboration entre la police et Desjardins. En février, notre Bureau d’enquête citait une source bien au fait du dossier, qui déplorait « un fort climat de méfiance entre Desjardins et les policiers qui enquêtent sur le vol massif de données ».
Nous révélions également que la Sûreté du Québec (SQ) avait passé quatre jours cet hiver à perquisitionner les bureaux de Desjardins au centre-ville de Montréal.
Les policiers avaient alors saisi la Cour supérieure de la possibilité que Desjardins refuse de leur remettre certains documents utiles à l’enquête, en invoquant le privilège avocat-client.
Le PDG de Desjardins Guy Cormier s’était alors défendu en assurant avoir demandé à tous ses employés de collaborer avec la police.
En juin 2020, le 98,5 FM et La Presse ont également cité des policiers mécontents, selon qui l’institution financière était davantage intéressée à « protéger son image » qu’à permettre l’arrestation des suspects.