Le français, problème systémique
Vous connaissez la bonne blague ?
Elle va ainsi :
Il y a deux langues officielles au gouvernement fédéral : l’anglais et la traduction de l’anglais.
Comme dans tout bon gag, il y a un brin d’exagération, mais aussi un fond de vérité.
C’est ainsi que le chien de garde des langues officielles publie un rapport annuel dont les conclusions sont chaque année à peu près les mêmes.
On pourrait presque l’écrire d’avance.
Le gouvernement fédéral échoue, systématiquement, à ses obligations linguistiques en vertu de la poussiéreuse Loi sur les langues officielles.
PIRE AVEC LA PANDÉMIE
La pandémie n’a fait qu’exacerber le phénomène, notamment parce que la fonction publique elle-même ne montre pas l’exemple à l’égard de ses propres employés.
Trop de postes affichés bilingues sont attribués à du personnel qui ne l’est pas.
Et des exigences linguistiques sont clairement inférieures à ce que devraient requérir certains postes.
Résultat : le fédéral est incapable de réfléchir dans les deux langues en même temps. C’est la culture de la traduction. Et qui dit traduction, dit retard dans les communications avec les médias, le public.
Pire encore, près de la moitié des fonctionnaires francophones se sentent mal à l’aise d’utiliser leur langue au travail.
« L’usage du français au travail n’est pas encouragé, et ce, un demi-siècle après l’officialisation de la dualité linguistique », constate le commissaire Raymond Théberge dans son rapport annuel déposé hier.
SYSTÉMIQUE
Les accrocs aux obligations linguistiques sont si fréquents à Ottawa que M. Théberge les qualifie de « systémiques ».
Quiconque se frotte régulièrement à l’appareil fédéral le sait déjà.
Demandez à n’importe quel journaliste francophone qui couvre les activités parlementaires fédérales.
Je ne compte plus le nombre de fois où un ministère, un attaché de presse m’a répondu ceci, à une demande d’information :
« Je peux vous fournir la réponse en anglais tout de suite et la traduction en français plus tard. À moins que vous préfériez attendre la version française ? »
Merci, je traduirai moimême.
La pandémie n’a fait qu’exposer les problèmes systémiques du gouvernement fédéral à respecter sa propre loi.
« En temps de crise, la capacité déficiente des institutions fédérales à fournir des services au public dans les deux langues officielles se livre au grand jour », écrit le commissaire dans son rapport de 37 pages.
Autorisation de l’étiquetage en anglais seulement de produits chimiques, envoi d’alertes uniquement en anglais, présence déficiente du français dans les conférences de presse des autorités fédérales ; le commissariat a reçu de nombreuses plaintes liées à la pandémie dans la dernière année.
Plusieurs de ces plaintes font l’objet d’une enquête qui est toujours en cours.
PAS UNE PRIORITÉ
Le gouvernement Trudeau a promis de moderniser la Loi sur les langues officielles en 2018.
Depuis, on attend toujours.
Selon les rumeurs, il déposera un projet de loi dans quelques semaines.
Projet de loi qui mourra au feuilleton si des élections sont déclenchées cet été.
Le gouvernement Trudeau aura le beau jeu de recycler son projet de loi en promesse électorale.
Ainsi va la vie, en politique, lorsqu’il est question de dossiers qui ne sont pas jugés prioritaires.