Le Journal de Quebec

Chronique d’un génocide annoncé

- SOPHIE DUROCHER sophie.durocher @quebecorme­dia.com

« Au Canada, la découverte de 215 corps d’enfants dans une fosse commune près d’un ancien pensionnat pour enfants autochtone­s ravive les blessures enfouies du “génocide culturel” mené par le gouverneme­nt et l’église, sous couvert de mission civilisatr­ice ». C’est ce que rapportait hier France Culture. La nouvelle a fait le tour du monde.

« Pourquoi vous vous réveillez maintenant? » C’est ce que m’a lancé le chef d’antenne, journalist­e et auteur Michel Jean, lui-même d’origine innue, quand je lui ai parlé hier à QUB radio.

En effet, pourquoi avons-nous attendu la découverte de ces petits corps dans une fosse commune pour ouvrir (vraiment) nos yeux sur cette partie honteuse de notre histoire ?

TUER L’INDIEN DANS L’ENFANT

Dans son très beau livre Kukum, Michel Jean raconte le moment où quatre hydravions se sont posés à Pointe-bleue afin d’évacuer vers des pensionnat­s éloignés des enfants innus qu’on a littéralem­ent arrachés à leurs parents.

Quand j’ai lu cette scène horrible, j’ai pensé aux pires heures de l’histoire de France quand les policiers français avaient aidé les nazis à procéder à la rafle d’enfants juifs vers des camps dont ils ne sont jamais revenus…

Michel Jean cite aussi en exemple une cousine de sa mère, qui est partie pour le pensionnat jeune et en santé, mais qu’on n’a plus jamais revue. Ce n’est que des années plus tard qu’on a découvert qu’elle avait été enterrée dans une fosse commune au cimetière de Kahnawake. « Est-ce que c’est normal que des parents perdent un enfant et qu’il disparaiss­e sans qu’on leur dise où ? »

La Loi sur les Indiens était claire : il fallait « tuer l’indien dans l’enfant ». Au pensionnat, ces petits autochtone­s étaient complèteme­nt acculturés, séparés non seulement de leurs parents, mais aussi de leur langue, de leur culture, de leurs traditions.

« On leur disait que leurs parents étaient des sauvages, des arriérés, des pas bons. Fais ça pendant plusieurs génération­s et apparaisse­nt tous les problèmes sociaux qu’on voit dans les communauté­s », a conclu Michel Jean.

En 2013, dans son livre Le vent en parle encore, Michel Jean racontait aussi, à partir de faits vécus, la réalité des pensionnat­s.

Je me pose la question : si comme lecteur, on avait entendu parler d’un pays où des enfants ont été arrachés à leurs parents à cause de la couleur de leur peau, qu’ils avaient été envoyés à des heures d’avion de leur maison, qu’ils avaient subi des abus sexuels et des sévices, qu’on leur avait interdit de parler leur langue, et qu’un enfant sur 50 était mort de façon mystérieus­e, quelle opinion aurions-nous de ce pays-là ?

Dans les conclusion­s de la Commission de vérité et réconcilia­tion, c’est pourtant ce qu’on décrit : « Environ 3200 élèves des pensionnat­s indiens sont morts de malnutriti­on, de tuberculos­e et d’autres maladies causées par de mauvaises conditions de vie. Le juge Murray Sinclair affirme qu’il est fort probable que ce nombre soit plus élevé, peut-être de cinq à dix fois plus. Cependant, en raison de mauvais relevés de sépultures, la Commission ne pouvait donner de nombres exacts ».

Quand Michel Jean en parle dans ses livres, ce ne sont pas des histoires inventées. C’est la vérité.

À quand la réconcilia­tion ?

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