Le Journal de Quebec

Deux semaines de grande épopée

- RÉJEAN TREMBLAY rejean.tremblay@quebecorme­dia.com

Deux semaines. En deux petites semaines, cet assemblage de joueurs est devenu une équipe. En deux semaines, ils sont passés de parias et de ratés à héros.

En deux semaines, le Canadien a gagné le respect des amateurs et des médias d’un bout à l’autre du pays et attire maintenant l’attention aux États-unis où on se demande à Vegas et au Colorado quelle tempête hivernale déferlera sur leurs favoris.

Deux semaines. Après la troisième défaite contre les Maple Leafs, tous les médias, moi le premier, procédions à l’autopsie du CH. Et la colère qui grondait chez les fans et qui était maintenant palpable aurait forcé Geoff Molson à agir.

DES EMPLOIS SAUVÉS

On ne peut voir comment Marc Bergevin, le nouveau premier ministre du Canada, du Québec et maire de Montréal, aurait pu garder son emploi.

Il va sans dire que Dominique Ducharme, entraîneur par intérim, aurait fait ses valises et nettoyé son petit bureau. Et quand aurait-il eu la chance de retrouver un banc de la Ligue nationale ?

On aurait pu enfin se débarrasse­r de Trevor Timmins, de ses erreurs catastroph­iques et de son mépris pour tout ce qui parle français dans le hockey.

Mais la cascade des emplois perdus ne se serait pas arrêtée là. Combien de recruteurs auraient été remplacés ? Est-ce que Martin Lapointe, responsabl­e du développem­ent des joueurs, aurait survécu au coup de balai ?

Si on ajoute les adjoints de Ducharme, le seul qui aurait été assuré de son emploi aurait été Paul Wilson.

Une demi-douzaine, peut-être plus, de vies auraient été chamboulée­s. Et deux petites semaines plus tard, ils sont tous des génies.

C’est extraordin­aire ce que la victoire peut apporter. Extraordin­aire aussi comment cette équipe est enfin devenue une équipe. Comment toutes les décisions de Marc Bergevin qui semblaient être des pétards mouillés sont devenues des décisions de grand directeur général en deux semaines.

Des années de misère balayées par deux semaines de succès. Au bon moment, dans les bonnes circonstan­ces.

DU JAMAIS-VU

Des revirement­s de situation, j’en ai vu en 50 ans de carrière. Mais pareil contraste entre les nouilles qu’on voyait après quatre matchs contre Toronto et le beau groupe d’hommes qui se battent pour chaque centimètre de glace qu’on connaît et qu’on admire deux semaines plus tard, je n’ai jamais été témoin de ça !

Mes confrères et savants analystes parlent de l’émergence soudaine des jeunes. De la fusion entre les vétérans qui semblaient usés et finis et les jeunes trop timides pour s’exprimer. Et de l’entrée en scène du Carey Price qu’on soupçonnai­t d’être un grand gardien…

Mais nous savons tous que c’est dans la tête que ça se passe. Que ça commence. Certaines décisions de Bergevin ont payé 24 heures avant la date de péremption. Eric Staal et Corey Perry ont parlé au bon moment. Carey Price s’est retrouvé dans ses grosses jambières quand il le fallait. Et le comporteme­nt et les messages de Dominique Ducharme ont été entendus juste avant la catastroph­e.

Et deux semaines plus tard, on a tout oublié. L’amour fait des miracles.

TOUTE UNE ÉPOPÉE

Quand même, le CH vit toute une épopée. Vos joueurs favoris n’ont pas connu de grands frissons et de grands plaisirs depuis plusieurs années. La victoire de charité contre les Penguins dans la bulle de Toronto ne se compare pas à l’éliminatio­n des Maple Leafs et des Jets de Winnipeg.

Et en gagnant, les gars des Glorieux découvrent l’énorme plaisir de la victoire au plus haut niveau du sport. Tous ces joueurs ont été des gagnants dans leur carrière, sinon ils n’auraient même pas été repêchés. Mais la sensation d’euphorie que procure un but à la Tyler Toffoli en prolongati­on, il n’y a pas d’argent au monde qui peut la donner. Le psychiatre Yves Quennevill­e expliquait d’ailleurs il y a quelques années que c’est la recherche de cette sensation de plaisir anticipée qui pousse les joueurs à se défoncer jusqu’à la blessure ou l’épuisement. Ils savent dans leurs fibres que le plaisir sera immense. Qu’il va noyer toutes les difficulté­s et les souffrance­s rencontrée­s.

Comment se sentent, pensez-vous, les Toffoli, Suzuki, Weber, Price, Anderson ou Philipp Danault ? Ils ont déjà vibré de plaisir après Toronto, ils ont capoté contre Winnipeg et là, ils « savent » ce qui les attend s’ils continuent à gagner. Un plaisir digne du plus grand orgasme de leur vie. La totale. Une joie qui va les baigner comme une source fraîche.

C’est Yvon Lambert, quatre coupes Stanley, deux coupes Calder, une coupe Turner qui raconte le mieux le bonheur qui envahit tout l’être quand on gagne la finale : « Quand y a 800 000 personnes dans une parade, pis qu’on est 25 joueurs dans les véhicules, c’est tellement puissant que faut avoir été là pour le comprendre. C’est comme une femme qui porte son bébé pendant neuf mois et qui accouche et donne la vie à l’enfant ; on a beau être à côté, on a beau se forcer, y a juste elle qui peut saisir tout ce qu’elle vit avec son bébé, l’union intime », de dire Lambert.

Qu’on gagne au plus vite… que les gars aient enfin leur buzz…

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PHOTO MARTIN CHEVALIER En deux semaines, le Canadien est devenu une grande équipe.
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