Le Journal de Quebec

« Nous étions comme des animaux »

- FRÉDÉRIC MARCOUX

En se faisant traiter comme une bête, Raoul Vollant s’est fait voler son enfance, comme des milliers d’autres jeunes Autochtone­s qui ont fréquenté le pensionnat de Maliotenam, à l’est de Sept-îles.

« J’ai grandi avec les animaux au Labrador [et] mon père était chasseur-cueilleur, se souvient Raoul Vollant. Du jour au lendemain, je me suis réveillé dans un immense dortoir. On venait de m’arracher à mes parents et je venais de perdre un lien avec la nature. Je m’en souviens encore très bien. J’avais 8 ans ».

10 LONGUES ANNÉES

L’innu de 68 ans a fréquenté le pensionnat pendant un peu moins de 10 ans, dans les années 1960, comme les autres enfants de sa famille. Le bâtiment du pensionnat a été détruit et le site est depuis 1984 l’hôte du festival autochtone Innu Nikamu, cofondé par son frère, le chanteur Florent Vollant ( voir encadré).

Le sexagénair­e se souvient de ce qui se passait dans cet immense édifice, qui pouvait contenir jusqu’à 500 personnes.

« Chaque journée commençait avec une prière. Nous étions comme des animaux. On ne pouvait pas parler notre langue. On circulait toujours en rang et on avait tous notre numéro. J’étais le numéro 11. »

Enfant, il a vécu un véritable calvaire.

« On avait seulement la chance de voir nos parents une fois dans l’année, à l’été. Les jeunes qui venaient de régions plus éloignées ne pouvaient pas sortir pour aller les voir. C’était trop loin. Je n’ai pas eu une enfance normale. C’est inimaginab­le à quel point c’était traumatisa­nt », s’insurge-t-il.

« En plus, j’ai vécu de nombreux abus physiques, psychologi­ques et sexuels. Ça ne s’oublie pas, souffle-t-il. C’est une cassette qui rejoue sans cesse dans ma tête. »

BESOIN DE SAVOIR LA VÉRITÉ

Selon lui, le pensionnat est l’une des raisons d’un mal de vivre encore présent pour plusieurs Innus. « En moins de 20 ans, on a détruit une génération au complet », lance celui qui n’hésite pas à parler de « génocide culturel ».

« Les gens de mon âge, dans ma communauté, qui ont fréquenté le pensionnat, sont presque tous décédés, poursuitil. Plusieurs souffraien­t d’alcoolisme. Les blessures psychologi­ques causées par le pensionnat ont fini par les tuer. »

La découverte de 215 enfants autochtone­s retrouvés enfouis sur le site d’un ancien pensionnat de la Colombie-britanniqu­e a ravivé de mauvais souvenirs chez lui.

Comme d’autres, il s’interroge à savoir si ce qui est arrivé dans l’ouest pourrait s’être produit ici.

« Je veux savoir si des enfants d’ici ont subi le même sort ! Je me souviens qu’un incinérate­ur était présent sur le site pour brûler les déchets […]. Je ne veux rien insinuer, mais il y avait parfois des enfants disparus. À l’époque, c’était tabou. Tout le monde avait peur des curés. Si on enquête, on va peut-être savoir la vérité », laisset-il tomber.

 ?? PHOTOS D’ARCHIVES ET COURTOISIE ?? Le pensionnat Notre-dame de Maliotenam, dans les années 1950. L’immeuble a été rasé. En mortaise, le terrain est l’hôte du festival autochtone Innu Nikamu depuis 1984.
PHOTOS D’ARCHIVES ET COURTOISIE Le pensionnat Notre-dame de Maliotenam, dans les années 1950. L’immeuble a été rasé. En mortaise, le terrain est l’hôte du festival autochtone Innu Nikamu depuis 1984.
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Survivant
RAOUL VOLLANT Survivant

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