Le Journal de Quebec

Des enfants marqués par la mort

Une fillette de 8 ans a perdu la vie au pensionnat de La Tuque dans les années 1960

- NORA T. LAMONTAGNE

Des survivants du pensionnat de La Tuque, en Mauricie, n’ont rien oublié des insultes, des sévices et de la mort prématurée d’une fillette muette de 8 ans, des décennies après avoir quitté cet établissem­ent de malheur.

« Juliette, c’était notre bébé. On l’habillait, on prenait soin d’elle, on la protégeait… », se rappelle Mary Coon, en repensant à Juliette Rabbitskin, l’une des 38 enfants autochtone­s qui ont officielle­ment perdu la vie dans un pensionnat au Québec.

Les filles partageaie­nt le même dortoir au pensionnat anglican de La Tuque, ouvert en 1963 pour assimiler les enfants cris de Mistassini et de Waswanipi, et administré par l’église anglicane.

C’est là que Juliette Rabbitskin est morte en 1966, vraisembla­blement lors d’une épidémie d’influenza.

Un soir d’avril, voyant l’état de Juliette se détériorer, Mary Coon rapporte avoir alerté les adultes, puis attendu l’ambulance pendant une éternité en serrant sa petite main.

LES PARENTS INFORMÉS PLUS TARD

Quelques jours plus tard, l’adolescent­e de 14 ans était l’une des seules élèves autorisées à assister à son enterremen­t, un épisode qu’elle a relaté au passage de la Commission de vérité et réconcilia­tion.

« Je voulais être sûre qu’elle ait son toutou et son gilet violet troué qu’elle aimait tant, alors je les ai lancés dans la fosse [du cercueil] », raconte-t-elle.

Les parents de Juliette, eux, n’ont pu lui dire adieu, faute d’avoir été avisés à temps.

« Ils ont seulement appris sa mort quand on est arrivés pour les vacances d’été », témoigne Emily Rabbitskin, la soeur de Juliette.

Aujourd’hui, celle qu’on surnommait Jeewah repose au cimetière anglican de La Tuque, mais peut-être plus pour longtemps.

« On veut la ramener à Mistassini. En ce moment, elle est toute seule, loin de tout le monde », affirme sa soeur, qui a entamé des démarches en ce sens avant la pandémie.

HUMILIATIO­NS ET PUNITIONS

Malgré la mort de Juliette, le grand chef de la Nation crie, Abel Bosum, doute qu’une fosse commune semblable à celle de Kamloops soit découverte à La Tuque, entre autres parce que ce pensionnat est parmi les plus récents au pays.

Les autres élèves qui ont survécu à « l’école des Indiens » n’en sont pas sortis indemnes pour autant.

« T’es pas obligé de vivre quelque chose de traumatisa­nt pour être traumatisé… T’as juste besoin d’être témoin », dit au téléphone Mary Coon, 69 ans, la gorge nouée, à Wetomaci.

L’aînée a ainsi vu de ses camarades de classe se faire plonger la tête dans une cuvette de toilette, ou encore se faire fouetter nus à coups de serviette mouillée en guise de punition.

Parler cri était notamment interdit sous peine de devoir manger du savon, un traitement que Mme Coon a trop bien connu.

Contrairem­ent à d’autres, les pensionnai­res de La Tuque étaient éduqués dans des écoles de la région dès la 3e année.

« Les deux premiers mots que j’ai appris en français ont été “sauvage” et “kawish” [termes péjoratifs désignant un Autochtone] », confie le grand chef Bosum, qui y a vécu neuf ans.

La Commission a aussi documenté au moins trois cas d’inconduite sexuelle alléguée au pensionnat de La Tuque.

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1. Mary Coon, qui a vécu neuf ans au pensionnat autochtone de La Tuque, à côté de l’arbre devant chez elle, à Wemotaci, qu’elle a transformé en mémorial pour les 215 enfants du pensionnat de Kamloops. 2. La tombe de Juliette Rabbitskin au cimetière anglican de La Tuque. 3. Le pensionnat en 1972. 4. Aujourd’hui, ce qui reste du pensionnat est
devenu un CPE.
PHOTOS COURTOISIE, AGENCE QMI, ANDRÉANNE LEMIRE ET DIOCÈSE ANGLICAN DE QUÉBEC/FONDS DU DIOCÈSE ANGLICAN DE MOOSONEE 1 3 2 4 1. Mary Coon, qui a vécu neuf ans au pensionnat autochtone de La Tuque, à côté de l’arbre devant chez elle, à Wemotaci, qu’elle a transformé en mémorial pour les 215 enfants du pensionnat de Kamloops. 2. La tombe de Juliette Rabbitskin au cimetière anglican de La Tuque. 3. Le pensionnat en 1972. 4. Aujourd’hui, ce qui reste du pensionnat est devenu un CPE.

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