Après les sévices, la fierté
Un ancien pensionnat est devenu une école où la culture innue est enseignée aux jeunes
Si les autorités espéraient déraciner et assimiler les Autochtones à travers les pensionnats comme celui de PointeBleue, aujourd’hui l’établissement devenu une école secondaire s’efforce plutôt de transmettre leur langue et leur culture aux nouvelles générations.
Le pensionnat situé dans la communauté de Mashteuiatsh, au nord de Roberval, au LacSaint-jean, a été ouvert par l’église catholique en 1960, avant d’être administré par le gouvernement fédéral. Ce n’est que trois décennies plus tard qu’il est passé entre les mains du Conseil de bande.
Depuis 1995, ce même bâtiment accueille les élèves de l’école secondaire Kassinu Mamu, qui signifie « tous ensemble ».
En juin 2015, une première cohorte de 5e secondaire a été diplômée.
En plus du curriculum scolaire habituel, on s’efforce de transmettre la culture des Pekuakamiulnuatsh dans différents cours, comme ceux d’histoire ou d’arts.
« Ce qui me rend fière, c’est d’offrir l’opportunité aux jeunes de la communauté d’en apprendre davantage sur leur langue et leur culture », fait valoir Mélissa Launière, directrice de l’école.
« Il y a des familles qui pratiquent encore certaines coutumes ; par contre, il y en a d’autres où peut-être c’est un peu moins [présent] », poursuit-elle.
Par exemple, on y enseigne le nehlueun qui est la langue locale.
« Malheureusement, à Mashteuiatsh, la langue est de moins en moins parlée, souvent les jeunes dans notre classe ne s’intéressent pas trop au nehlueun », observe Francis Kurtness-bossum, 17 ans, qui aimerait que plus d’heures soient consacrées à son apprentissage.
« Pour moi, c’est quand même important, j’ai plusieurs personnes dans ma famille qui parlent souvent la langue et j’aimerais ça comprendre ce qu’ils disent », explique aussi Dylan Bossum-weizineau, 16 ans, dont les grands-parents parlent la langue, notamment.
Des savoirs traditionnels sont aussi transmis à travers des sorties en nature. Ils y apprennent la chasse, la pêche, la trappe.
« T’es dans le bois, t’es avec tes amis, tu pars à la chasse, pis t’apprends sur ta culture », lance Francis, avec enthousiasme.
« Ces sorties en territoire me permettent de remplir “ma dose” de chasse, dit Dylan en riant. C’est vraiment le fun là-bas, j’aime ça. »
REVIREMENT DE SITUATION
« Le pensionnat va toujours rester en mémoire. Mais c’est important aussi de dire : maintenant nous avons une autre vocation, […] on essaie le plus possible de donner un bagage culturel à nos jeunes », fait valoir Mme Launière.
Selon le chef de l a communauté i nnue, Clifford Moar, dans les années 1990, deux options étaient débattues : démolir le bâtiment au « passé sombre » ou « en faire une école où notre culture, notre langue, notre histoire, notre identité vont être enseignées », explique-t-il.
« Quand les gens ont vécu cette expérience des pensionnats, c’est très difficile. Ils nous apprenaient à ne pas nous aimer, donc l’estime de soi était vraiment mise au plus bas. Notre langue n’était pas bonne, notre culture était mauvaise, nos mets n’étaient pas bons. Il y avait plusieurs espèces d’abaissements de notre mode de vie traditionnel », relate M. Moar, qui a lui-même été dans un pensionnat, à Québec.
« Aujourd’hui, quand on voit que les jeunes sont fiers de leur école, de leur langue, de ce qu’ils apprennent, moi je trouve que c’est une réussite. »
COLÈRE ET TRISTESSE
Plusieurs anciens pensionnaires de PointeBleue ont souffert de mauvais traitements. La tragique découverte à Kamloops a engendré beaucoup de colère et de tristesse chez les survivants, raconte le chef Moar.
Pour l’instant, il n’entend pas demander des fouilles, mais ne ferme pas la porte s’il reçoit des demandes des familles.
« J’espère dans le fond de mon coeur que ce n’est jamais arrivé ici, mais je sais qu’il y a eu quand même des sévices que les enfants ont subis », dit-il.
Selon Mme Launière, ce serait important de faire des fouilles, pour que les familles puissent avoir l’heure juste.
« J’en ai des craintes parce qu’on ne sait jamais ce qu’on peut découvrir », confie-t-elle.