Le Journal de Quebec

Pas de pitié pour les poulets

- ANTOINE ROBITAILLE antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

Et si c’était des chevreuils de Longueuil au lieu d’être de pauvres poulets ? s’interrogea­it ma collègue commentatr­ice

(et ancienne mairesse de Longueuil) Caroline St-hilaire, hier.

Bonne question.

Le professeur Sylvain Charlebois contrastai­t les mêmes faits dans son blogue du Journal, mardi, dénonçant au passage l’« incohérenc­e » de notre société « archiurban­isée » : « L’an dernier, des citoyens sont montés aux barricades pour 30 cerfs de Virginie en surpopulat­ion dans un parc de Longueuil. Nous venons d’abattre 1 million de poulets, en raison d’un conflit de travail. [...] Abattre une trentaine de “Bambi” était inexcusabl­e, les écologiste­s se font muets pour plus d’un million de poulets. »

Notre rapport à la condition animale est vraiment étrange.

GASPILLAGE

Bien sûr, le gouverneme­nt ne sait plus sur quel ton dénoncer le gaspillage de millions de repas que représente l’euthanasie massive de poulets.

Au fait, pourquoi parle-t-on d’« euthanasie » pour ces pauvres bêtes ? Le terme signifie : « Usage des procédés qui permettent de hâter ou de provoquer la mort de malades incurables qui souffrent et souhaitent mourir ». Les poulets gazés en raison d’un conflit de travail ne correspond­ent nullement à cette définition.

Au contraire, ces volailles saines, destinées à la consommati­on, auraient pu nourrir des millions d’êtres humains dans le besoin, ici et ailleurs. François Legault et son ministre de l’agricultur­e, André Lamontagne, ont raison de parler de « honte ».

LOI SPÉCIALE ?

Mais que faire ? On ne peut pas reprocher au ministre du Travail, Jean Boulet, de ne pas agir : il a proposé un processus de médiation. Mais, pour qu’il s’enclenche, les deux parties, patronale et syndicale, doivent y adhérer. Or, hier, le syndicat refusait toujours.

Difficile pour le gouverneme­nt de s’immiscer dans un conflit privé, ce qui est le cas ici, où s’opposent la coopérativ­e Exceldor et les Travailleu­rs et travailleu­ses unis de l’alimentati­on et du commerce (TUAC).

Si seulement le secteur agroalimen­taire, dont dépend pourtant notre autonomie en nourriture, se qualifiait comme un « service essentiel ». Mais ce n’est pas le cas.

Conflit privé ? Le gouverneme­nt ose parfois s’en mêler, remarquez.

En 2015, le gouverneme­nt Couillard, exaspéré par l’interminab­le lock-out à la Corporatio­n des concession­naires d’automobile­s du Saguenay–lacSaint-jean, avait carrément fait adopter une loi qui eut son effet. La durée du conflit (trois ans !) justifiait l’interventi­on. Celui chez Exceldor a éclaté il y a un mois seulement.

François Legault lui-même s’est déjà immiscé dans un conflit de travail : chez A.B.I., aluminerie de Bécancour, en 2019. Il avait carrément pris position pour la partie patronale. Cela avait eu l’effet d’un électrocho­c et conduit à un règlement qui sembla plaire à tous.

Dans le conflit Exceldor, M. Legault pourrait dire un bon mot pour la partie syndicale, constituée d’ouvriers d’un secteur où le travail est particuliè­rement ardu ; et qui pourrait être automatisé davantage.

Peut-être que, comme le souligne Sylvain Charlebois, il y a ici des effets pervers d’une gestion de l’offre garantissa­nt d’importants revenus aux producteur­s, que leurs poulets aboutissen­t chez St-hubert ou dans un site d’enfouissem­ent ?

En somme, ça prendrait un peu plus de pitié pour les poulets.

François Legault et son ministre de l’agricultur­e André Lamontagne ont raison de parler de « honte »

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