« La partie n’est pas gagnée du tout »
Spécialiste de la lutte antidopage, Christiane Ayotte partage son parcours dans le livre L’incorruptible
Si elle se retrouve parmi les sommités internationales dans la lutte antidopage et a réussi à épingler de grosses pointures en traquant sans relâche les tricheurs depuis des décennies, Christiane Ayotte a livré à ses débuts des batailles internes importantes au sein de L’INRS.
L’auteur Mathieu-robert Sauvé vient de publier L’incorruptible qui relate la vie et la carrière de la directrice du laboratoire de contrôle du dopage au Centre Armand-frappier Santé Biotechnologique de L’INRS.
« Je voulais faire connaître une carrière compliquée de femme qui a géré des affaires compliquées, explique-t-elle. L’INRS en a fait du chemin. Nous sommes loin de l’époque des années 1990. »
« Il y avait des manquements administratifs importants au niveau de la facturation et nous avons porté plainte pour préserver l’intégrité, de poursuivre la professeure Ayotte. Les dirigeants ont alors tenté d’étouffer le problème. Même si c’est difficile, tu dois garder ta droiture. Après ces guerres, on m’a confié la responsabilité du laboratoire, mais le personnel était amputé de moitié et le milieu sportif n’avait plus confiance en nous. Il a fallu remonter la côte. »
Comme stagiaire postdoctorale et associée de recherche, Ayotte ne pesait pas lourd dans la balance.
« J’étais rien, résume-t-elle. Les directeurs ont joué des gros bras et tenté de me faire rentrer dans mon trou. La persévérance a payé, mais je me suis demandé à certains moments pourquoi je m’entêtais. »
En poste comme directrice, Ayotte a rapidement été plongée dans des dossiers importants.
« C’est toujours difficile de se retrouver à défendre tes dossiers devant les tribunaux et je n’avais pas la confiance et l’expérience que j’ai maintenant. On avait détecté des cas positifs parmi les athlètes américains en athlétisme. C’est épeurant au début, mais tu bâtis ta résistance. Mes enfants ont été mon inspiration pour aller de l’avant. »
DRAME FAMILIAL
Pendant ces premiers pas à la tête du laboratoire de L’INRS, Ayotte a vécu un drame épouvantable quand son mari s’est enlevé la vie. Elle parle de cet épisode douloureux pour la première fois après avoir reçu l’aval de ses deux enfants.
« C’est un sujet délicat dont je ne voulais pas parler pour ne pas causer de dommages. Encore aujourd’hui, j’en parle sur la pointe des pieds. »
Après avoir conduit son mari à l’urgence psychiatrique, Ayotte a été forcée de prendre l’avion pour défendre un dossier.
« L’avocat a tenté de me désarçonner en jouant sur ma situation. C’était méchant, mesquin et médiocre. En fin de compte, ils ont perdu. »
CAS BEN JOHNSON
Médaillé d’or aux 100 m des Jeux olympiques de Séoul en 1988 avec un record mondial de 9 s 79, le Canadien Ben Johnson a été dépouillé de son titre pour un contrôle positif au stanozolol.
« Je n’ai jamais vu un scandale de cette ampleur, c’est comme si la 3e Guerre mondiale avait été déclenchée. Il y avait une rumeur que Johnson viendrait à notre labo à son retour au pays pour subir un nouveau test. Les médias internationaux étaient débarqués à Pointe-claire. »
« Son deuxième test positif en 1993 a été un cas pour la crédibilité de notre labo. C’était délicat à l’époque d’identifier la testostérone. S’il y avait eu une erreur, on aurait pu fermer le laboratoire. La mise sur pied de la Commission Dubin a été un électrochoc et les tests ont été renforcis. »
La naissance de l’agence mondiale antidopage en 2000 a été un autre jalon important dans l’amélioration des contrôles.
« Il y a eu des avancées majeures, c’est de plus en plus difficile de se doper, mais la partie n’est pas gagnée du tout. »