Le Journal de Quebec

Un changement majeur de culture politique

- JOSÉE LEGAULT josee.legault@quebecorme­dia.com

Qu’on ne s’y trompe pas. La « modernisat­ion » de la Loi sur les langues officielle­s présentée par la ministre responsabl­e du dossier, Mélanie Joly, annonce un changement majeur de culture politique au Canada.

Sous Justin Trudeau, le projet de loi C-32 contredit en effet la doctrine même de son père, Pierre Elliott Trudeau, telle qu’inscrite dans la version originelle de la loi adoptée en 1969.

Cette doctrine déclarait les langues française et anglaise « égales » dans les institutio­ns fédérales.

Une illusion mensongère. De toute manière, jamais dans ce pays le français n’aurait un jour le même poids démographi­que et politique que l’anglais. Son déclin s’est même accentué depuis.

L’objectif premier de Trudeau père était toutefois politique. En pleine montée du mouvement souveraini­ste, il voulait surtout convaincre les Québécois de l’inutilité de quitter le Canada. Leur langue, jurait-il, serait dorénavant respectée d’un océan à l’autre. La réalité, on le sait, fut tout autre.

Sous Trudeau fils, nous voilà plongés aux antipodes. Le PDL C-32 reconnaît enfin la réalité. Soit qu’il existe une inégalité profonde de moyens et de pouvoirs entre le français et l’anglais.

RÉVEIL

Pour le français, cela commande nécessaire­ment une protection législativ­e supérieure. Au Québec même, comme au fédéral pour les communauté­s minoritair­es francophon­es.

Dans un pays qui, depuis 52 ans, se berne lui-même du rêve d’une égalité fantasmée des deux langues officielle­s, ce réveil, même tardif, n’est pas un détail.

Même la dernière refonte de la Loi sur les langues officielle­s – pilotée en 1988 par Lucien Bouchard, alors secrétaire d’état sous Brian Mulroney – se basait elle aussi sur le concept factice d’égalité entre le français et l’anglais.

Qui plus est, en reconnaiss­ant le français comme langue officielle du Québec, le PDL C-32 lui confère une territoria­lité politique nouvelle. Il propose d’imposer le bilinguism­e aux juges de la Cour suprême. D’ouvrir la voie à une politique d’immigratio­n francophon­e.

De renforcer les pouvoirs du commissair­e aux langues officielle­s. De protéger le français dans les entreprise­s de compétence fédérale, dont celles qui, au Québec, ne sont pas déjà couvertes par la loi 101.

DIABLE DANS LES DÉTAILS

Sous Justin Trudeau, la nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielle­s reconnaît enfin qu’il existe une inégalité profonde de moyens et de pouvoirs entre le français et l’anglais.

Pour toutes ces raisons, cette réforme pourrait chambarder considérab­lement la culture politique canadienne. On ne saurait donc la réduire à une simple manoeuvre électorali­ste de Justin Trudeau pour « gagner des votes » au Québec. Même si, inévitable­ment, elle l’est en partie.

Une élection fédérale se pointant à l’horizon, le PDL C-32 est condamné pour le moment à mourir au feuilleton. Si les libéraux sont reportés au pouvoir, la ministre Joly s’engage néanmoins à le présenter à nouveau tel quel.

Le diable dans les détails, le vrai, se cachera peut-être ailleurs. Les ressources nécessaire­s pour mieux protéger le français seront-elles ou non au rendez-vous ?

En réaction, le lobby de la minorité anglo-québécoise se dit outré. Le Québec Community Groups Network qualifie le PDL C-32 d’« attaque claire » contre l’égalité des langues officielle­s.

En éditorial, la Montreal Gazette l’accuse de condamner les AngloQuébé­cois au statut de « minorité linguistiq­ue de seconde zone ».

Mardi prochain, je reviendrai donc en détail sur ces réactions, de même que sur l’impact possible de cette nouvelle philosophi­e en matière de langues officielle­s sur la dynamique politique au Québec.

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