Le Journal de Quebec

Inceste suprême

- ANTOINE ROBITAILLE antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

Les politicien­s libéraux se gargarisen­t souvent avec le principe de séparation des pouvoirs.

Sauf quand ils sont au gouverneme­nt et qu’ils profitent de relations incestueus­es systémique­s entre les pouvoirs.

Je pensais à ça hier matin, en écoutant la conférence de presse du juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner.

Le magistrat rappelait que depuis le 21 janvier, date de la démission de Julie Payette, il joue le rôle de gouverneur général intérimair­e.

À ce titre, souligna-t-il, il s’est trouvé à sanctionne­r, au nom d’elizabeth II, 12 lois et 557 décrets !

Son rôle de substitut au chef d’état l’oblige en plus à aller couper des rubans, remettre des prix, etc. De précieuses heures perdues pour lui, laissa-t-il entendre.

Manière subtile de signifier au gouverneme­nt Trudeau qu’il doit au plus vite nommer un remplaçant à l’astronaute acariâtre.

VIOLATION

Sans compter cet aspect qu’il n’osa soulever : sa situation actuelle, bien que temporaire (et involontai­re de sa part), est une violation claire du principe de séparation des pouvoirs et d’indépendan­ce de la justice.

Depuis janvier, M. Wagner aura multiplié les contacts avec le greffier du Conseil privé, les ministres, le premier ministre.

Il recevra sans doute aussi des contestati­ons de lois et de décrets... qu’il a lui-même signés comme « administra­teur du Canada », remplaçant de la gouverneur­e générale !

C’est M. Wagner aussi qui signera le décret de nomination du nouveau juge de la Cour suprême, annoncée hier par le gouverneme­nt Trudeau, Mahmud Jamal, en remplaceme­nt de Rosalie Abella. Malaise là aussi.

KIRPAN

Au fait, M.jamal a une feuille de route impression­nante. Né au Kenya; grandi en Angleterre; a enseigné à Mcgill et à Osgoode Hall. Il a travaillé dans le grand bureau d’avocats Osler. L’homme est « respecté sur Bay

Street », dixit le Toronto Star.

En 2006, pour l’associatio­n canadienne des libertés civiles, Jamal a plaidé devant le tribunal contre l’interdicti­on du kirpan à l’école (couteau traditionn­el sikh) dans la cause célèbre Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys.

« Multani », c’est une des bougies d’allumage du débat sur les accommodem­ents raisonnabl­es qui déchira le Québec. Bouchard et Taylor, dans leur fameux rapport, soulignère­nt « la colère qu’a soulevée en mars 2006 le jugement de la Cour suprême sur le kirpan ».

En 2019, le gouverneme­nt Trudeau fit passer M. Jamal du statut d’avocat directemen­t à juge à la Cour d’appel de l’ontario. En 2021, sa nomination comme un des « suprêmes » vient y bouleverse­r le ratio des genres (maintenant 6 hommes et 3 femmes), puisqu’il y remplace une femme (le Star le souligne).

Mais pour reprendre l’expression du même journal, il est « la première personne de couleur » à y être nommée. Né musulman ismaélien (branche chiite), Jamal, depuis son mariage, a épousé la foi bahá’íe.

En matinée, le juge en chef Wagner avait d’ailleurs plaidé pour que la « diversité » soit davantage reflétée dans les tribunaux canadiens.

Quelle diversité toutefois ? Telle est ma question. Parions qu’un avocat ontarien d’origine maghrébine, très compétent, mais qui aurait eu le malheur de faire connaître ses opinions prolaïcité, n’aurait aucune chance de devenir juge en notre Dominion.

Au fait, la loi 21 aboutira bientôt en Cour suprême.

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