Le Journal de Quebec

INCOGNITO ZAMAZON CHEZ

Nos journalist­s temoignent des conditions de travail

- UN REPORTAGE DE DOMINIQUE CAMBRON-GOULET Bureau d’enquête

« Havefun »

« Aujourd’hui, c’est le cookies day ! » lance avec un excès d’enthousias­me Jeanine*, employée des ressources humaines.

Ç’a l’air excitant comme ça, mais, en fait, tous les employés ont simplement reçu une portion individuel­le de mini Chips Ahoy qui nous a été tendue avec une paire de pinces, pandémie oblige. La devise d’amazon est « Work hard, have fun, make history ». Et l’entreprise prend très au sérieux la seconde partie de son mantra. Chaque semaine, il y a au moins une activité pendant une pause de l’après-midi. Ça peut être un quiz de pop culture où on gagne des chocolats. Ça peut aussi être une journée thématique « habillez-vous en bleu pour le cancer de la prostate et parmi ceux habillés en bleu on fait tirer des prix de 5 $ en argent Amazon. »

Les ressources humaines ont une mission : motiver les troupes. Mais je peux vous garantir qu’entrer au travail au son de Coton ouaté, de Bleu Jeans Bleu, en passant sous une arche de ballon n’a pas rendu le cyberlundi plus facile.

Points perdus pour les retards

Pour s’assurer de la présence des employés, Amazon utilise un système de points d’assiduité. Chaque retard de plus de 5 minutes donne un demi-point. Pour une heure, c’est un point. Et une absence d’une journée sans raison donne deux points. À six points, vous êtes congédié. Chaque mois, les employés à l’assiduité parfaite des entrepôts qui remplissen­t leurs objectifs de performanc­e ont droit à un bonus. Dans la période d’avant Noël, l’augmentati­on salariale peut atteindre 16 %.

Je n’ai pas eu le bonus de 12 %. Je suis arrivé en retard de sept minutes un matin. C’est automatiqu­e comme ça.

Des gâteaux Vachon aux jouets sexuels

Appareils électroniq­ues, boules d’attelage pour voiture, jouets sexuels; j’ai vu passer de tout pendant mes cinq semaines chez Amazon. On surnomme souvent ce géant, le Everything store et ce n’est pas pour rien. Beaucoup de gens utilisent le site comme épicerie, quincaille­rie et pharmacie à la fois. Amazon se vante d’être une porte d’entrée sur le marché internatio­nal pour les entreprise­s québécoise­s. Mais à Lachine, j’ai ramassé très peu de produits d’ici, si ce n’est des noix et grignotine­s en vrac, quelques gâteaux Vachon et un peu de sirop d’érable. Les produits viennent principale­ment de grandes marques américaine­s de jouets, de nourriture et de papeterie. Parmi les centaines de livres que j’ai triés, il y en avait très peu en français.

Une surveillan­ce qui ne semble pas respecter la loi

La surveillan­ce constante par caméra, semblable à celle pratiquée par Amazon, est vue par les tribunaux comme une violation potentiell­e de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

« Les tribunaux ont répété à plusieurs reprises qu’épier quelqu’un, c’est-à-dire être constammen­t à l’affût de ce que fait cette personne, ne serait pas une condition de travail juste et raisonnabl­e, explique l’avocate en droit du travail Isabelle Martin. Un arbitre disait que si la surveillan­ce équivaut à avoir un superviseu­r qui nous suit toute la journée, ça serait du harcèlemen­t. »

Amazon n’a pas voulu commenter la légalité de sa surveillan­ce. Elle dit vouloir assurer un « certain niveau de sécurité ». « Nous n’utilisons pas les vidéos pour la gestion du rendement », indique l’entreprise dans un message écrit. Me Martin précise que la surveillan­ce peut être justifiée si l’employeur a des « motifs raisonnabl­es » et préexistan­ts.

Rythme infernal, accidents de travail fréquents, congédieme­nts arbitraire­s… les employés du leader mondial du commerce en ligne Amazon ont souvent dénoncé leurs conditions de travail. L’entreprise du multimilli­ardaire Jeff Bezos a ouvert ses premiers entrepôts au Québec en juillet 2020. Notre Bureau d’enquête a voulu savoir ce qui s’y passe en travaillan­t incognito pendant cinq semaines dans celui de l’arrondisse­ment Lachine, à Montréal. Un dossier à lire dans nos pages et à voir dans le documentai­re L’envers d’amazon sur Club illico. Voici ce que notre journalist­e à constaté.

Un contrat aux clauses douteuses

Le contrat de travail et l’entente de confidenti­alité que tous les employés d’amazon, à Lachine, ont à signer comprennen­t plusieurs clauses surprenant­es.

Amazon écrit notamment qu’elle peut modifier « unilatéral­ement » les fonctions de l’employé, le lieu de travail et les avantages sociaux, sans que cela constitue un congédieme­nt déguisé.

« Si l’employeur modifie de façon substantie­lle et unilatéral­e les conditions de travail, ç’a été considéré par les tribunaux comme un congédieme­nt déguisé, dit la professeur­e en relations industriel­les à l’université de Montréal et avocate spécialisé­e en droit du travail, Isabelle Martin. On dirait qu’[amazon] tente de se dégager de cette interpréta­tion, mais ça reste aux tribunaux de décider. »

Me Martin pense qu’un travailleu­r qui les signe aura « l’impression que ses droits sont limités, peut-être même plus que ce que la loi prévoit ».

À nos questions sur le contrat de travail, Amazon a répondu qu’elle respectait les lois du Québec.

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PHOTOS COURTOISIE ET CATPURES D'ECRAN
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PHOTOS CAPTURE D’ÉCRAN Les pickers d’amazon doivent cueillir un article chaque 9 à 12 secondes.
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PHOTOS CAPTURE D’ÉCRAN Les emballeurs doivent remplir 67 colis à l’heure.
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PHOTOS CAPTURE D’ÉCRAN Les employés doivent se connecter à leur poste de travail avec leur badge. Leur performanc­e est calculée en temps réel.
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PHOTOS CAPTURE D’ÉCRAN Les caméras de surveillan­ce sont partout au centre de distributi­on d’amazon. À cause de la COVID, certaines mesuraient la distance entre employés Voir la suite du dossier aux pages 14 à 18
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