INCOGNITO ZAMAZON CHEZ
Nos journalists temoignent des conditions de travail
« Havefun »
« Aujourd’hui, c’est le cookies day ! » lance avec un excès d’enthousiasme Jeanine*, employée des ressources humaines.
Ç’a l’air excitant comme ça, mais, en fait, tous les employés ont simplement reçu une portion individuelle de mini Chips Ahoy qui nous a été tendue avec une paire de pinces, pandémie oblige. La devise d’amazon est « Work hard, have fun, make history ». Et l’entreprise prend très au sérieux la seconde partie de son mantra. Chaque semaine, il y a au moins une activité pendant une pause de l’après-midi. Ça peut être un quiz de pop culture où on gagne des chocolats. Ça peut aussi être une journée thématique « habillez-vous en bleu pour le cancer de la prostate et parmi ceux habillés en bleu on fait tirer des prix de 5 $ en argent Amazon. »
Les ressources humaines ont une mission : motiver les troupes. Mais je peux vous garantir qu’entrer au travail au son de Coton ouaté, de Bleu Jeans Bleu, en passant sous une arche de ballon n’a pas rendu le cyberlundi plus facile.
Points perdus pour les retards
Pour s’assurer de la présence des employés, Amazon utilise un système de points d’assiduité. Chaque retard de plus de 5 minutes donne un demi-point. Pour une heure, c’est un point. Et une absence d’une journée sans raison donne deux points. À six points, vous êtes congédié. Chaque mois, les employés à l’assiduité parfaite des entrepôts qui remplissent leurs objectifs de performance ont droit à un bonus. Dans la période d’avant Noël, l’augmentation salariale peut atteindre 16 %.
Je n’ai pas eu le bonus de 12 %. Je suis arrivé en retard de sept minutes un matin. C’est automatique comme ça.
Des gâteaux Vachon aux jouets sexuels
Appareils électroniques, boules d’attelage pour voiture, jouets sexuels; j’ai vu passer de tout pendant mes cinq semaines chez Amazon. On surnomme souvent ce géant, le Everything store et ce n’est pas pour rien. Beaucoup de gens utilisent le site comme épicerie, quincaillerie et pharmacie à la fois. Amazon se vante d’être une porte d’entrée sur le marché international pour les entreprises québécoises. Mais à Lachine, j’ai ramassé très peu de produits d’ici, si ce n’est des noix et grignotines en vrac, quelques gâteaux Vachon et un peu de sirop d’érable. Les produits viennent principalement de grandes marques américaines de jouets, de nourriture et de papeterie. Parmi les centaines de livres que j’ai triés, il y en avait très peu en français.
Une surveillance qui ne semble pas respecter la loi
La surveillance constante par caméra, semblable à celle pratiquée par Amazon, est vue par les tribunaux comme une violation potentielle de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.
« Les tribunaux ont répété à plusieurs reprises qu’épier quelqu’un, c’est-à-dire être constamment à l’affût de ce que fait cette personne, ne serait pas une condition de travail juste et raisonnable, explique l’avocate en droit du travail Isabelle Martin. Un arbitre disait que si la surveillance équivaut à avoir un superviseur qui nous suit toute la journée, ça serait du harcèlement. »
Amazon n’a pas voulu commenter la légalité de sa surveillance. Elle dit vouloir assurer un « certain niveau de sécurité ». « Nous n’utilisons pas les vidéos pour la gestion du rendement », indique l’entreprise dans un message écrit. Me Martin précise que la surveillance peut être justifiée si l’employeur a des « motifs raisonnables » et préexistants.
Rythme infernal, accidents de travail fréquents, congédiements arbitraires… les employés du leader mondial du commerce en ligne Amazon ont souvent dénoncé leurs conditions de travail. L’entreprise du multimilliardaire Jeff Bezos a ouvert ses premiers entrepôts au Québec en juillet 2020. Notre Bureau d’enquête a voulu savoir ce qui s’y passe en travaillant incognito pendant cinq semaines dans celui de l’arrondissement Lachine, à Montréal. Un dossier à lire dans nos pages et à voir dans le documentaire L’envers d’amazon sur Club illico. Voici ce que notre journaliste à constaté.
Un contrat aux clauses douteuses
Le contrat de travail et l’entente de confidentialité que tous les employés d’amazon, à Lachine, ont à signer comprennent plusieurs clauses surprenantes.
Amazon écrit notamment qu’elle peut modifier « unilatéralement » les fonctions de l’employé, le lieu de travail et les avantages sociaux, sans que cela constitue un congédiement déguisé.
« Si l’employeur modifie de façon substantielle et unilatérale les conditions de travail, ç’a été considéré par les tribunaux comme un congédiement déguisé, dit la professeure en relations industrielles à l’université de Montréal et avocate spécialisée en droit du travail, Isabelle Martin. On dirait qu’[amazon] tente de se dégager de cette interprétation, mais ça reste aux tribunaux de décider. »
Me Martin pense qu’un travailleur qui les signe aura « l’impression que ses droits sont limités, peut-être même plus que ce que la loi prévoit ».
À nos questions sur le contrat de travail, Amazon a répondu qu’elle respectait les lois du Québec.