Combien de « cas isolés » faudra-t-il dans les universités ?
Ma chronique de jeudi sur le nouveau fanatisme idéologique dans les universités a suscité de nombreuses réactions.
Il est vrai que l’idéologie a toujours été présente dans le monde universitaire. Jadis, les marxistes en menaient large.
La différence est que l’idéologie woke d’aujourd’hui jouit souvent de l’appui implicite ou explicite des directions des établissements, par lâcheté ou par conviction.
DEHORS !
Voici une autre histoire vraie, survenue au mois de mars.
Nous sommes à la faculté de droit de l’université Georgetown, à Washington D.C.
Sandra Sellers et David Batson donnent ensemble un cours en ligne sur les négociations. Quand le cours se termine, les deux continuent à jaser.
Ils pensent que c’est une conversation privée… sans réaliser que l’enregistrement se poursuit.
La professeure Sellers se désole du fait qu’année après année, malgré de magnifiques exceptions, ses étudiants afro-américains sont systématiquement dans le bas du classement pour ce qui est des performances académiques.
Vous trouverez aisément la transcription exacte de son propos.
Vous verrez qu’elle ne s’en réjouit pas, ne se moque pas, ne dénigre pas.
Tout le contraire. Elle est sincèrement désolée. Elle s’interroge même sur ses possibles biais inconscients. Elle dit son angoisse devant le caractère systématique du phénomène.
Elle ne se lance dans aucune diatribe contre la discrimination positive, dans aucune élucubration absurde sur des hiérarchies naturelles, dans aucune analyse sociologique discutable.
Rien. Elle constate un phénomène et dit à quel point elle en est triste.
Son collègue Batson ne fait qu’écouter, disant « yeah » et « right ».
Quand l’enregistrement devient viral, l’association des étudiants noirs dit y voir la révélation des « vraies croyances » (« true beliefs ») de la prof Sellers et de son « racisme ».
Le doyen Bill Treanor déguise alors sa panique en fermeté.
La prof Sellers, vingt ans d’ancienneté, est congédiée sur-le-champ, malgré s’être excusée pour son constat en reprenant tous les clichés habituels de la nouvelle pénitence.
Son collègue Batson, lui, est suspendu, le temps d’une enquête par le Comité sur l’équité, la diversité et la discrimination positive.
Évidemment, l’université Georgetown, j’ai vérifié, multiplie les énoncés officiels sur sa valorisation de la libre expression, du débat, du dialogue, etc.
Ils n’ont pas pesé lourd devant la meute.
Pourtant, comme le notait l’avocat Robert Shibley, les universités sont parmi les rares institutions qui n’ont pas à réagir dans la précipitation, comme un ministre encerclé par les médias en sortant de l’auto ou comme un PDG dont la valeur des actions pique subitement du nez.
Les controverses sont maintenant si nombreuses qu’il faut se demander : combien faut-il de « cas isolés » pour réaliser qu’il y a un vrai problème ?
VRAI PROBLÈME
Il fut un temps où il allait de soi que ce n’était pas le rôle d’une université de punir quelqu’un pour avoir fait des constats pénibles dans une discussion que la personne pensait privée.
Il fut un temps où il allait de soi que ce n’était pas le rôle d’une université de protéger des étudiants hypersensibles et ultra susceptibles de propos qui leur déplaisent.
Les controverses sont maintenant si nombreuses qu’il faut se demander : combien faut-il de « cas isolés » pour réaliser qu’il y a un vrai problème ?