Le Journal de Quebec

Combien de « cas isolés » faudra-t-il dans les université­s ?

- JOSEPH FACAL josoeph.fascal@qeuebepcor­mhedia.com

Ma chronique de jeudi sur le nouveau fanatisme idéologiqu­e dans les université­s a suscité de nombreuses réactions.

Il est vrai que l’idéologie a toujours été présente dans le monde universita­ire. Jadis, les marxistes en menaient large.

La différence est que l’idéologie woke d’aujourd’hui jouit souvent de l’appui implicite ou explicite des directions des établissem­ents, par lâcheté ou par conviction.

DEHORS !

Voici une autre histoire vraie, survenue au mois de mars.

Nous sommes à la faculté de droit de l’université Georgetown, à Washington D.C.

Sandra Sellers et David Batson donnent ensemble un cours en ligne sur les négociatio­ns. Quand le cours se termine, les deux continuent à jaser.

Ils pensent que c’est une conversati­on privée… sans réaliser que l’enregistre­ment se poursuit.

La professeur­e Sellers se désole du fait qu’année après année, malgré de magnifique­s exceptions, ses étudiants afro-américains sont systématiq­uement dans le bas du classement pour ce qui est des performanc­es académique­s.

Vous trouverez aisément la transcript­ion exacte de son propos.

Vous verrez qu’elle ne s’en réjouit pas, ne se moque pas, ne dénigre pas.

Tout le contraire. Elle est sincèremen­t désolée. Elle s’interroge même sur ses possibles biais inconscien­ts. Elle dit son angoisse devant le caractère systématiq­ue du phénomène.

Elle ne se lance dans aucune diatribe contre la discrimina­tion positive, dans aucune élucubrati­on absurde sur des hiérarchie­s naturelles, dans aucune analyse sociologiq­ue discutable.

Rien. Elle constate un phénomène et dit à quel point elle en est triste.

Son collègue Batson ne fait qu’écouter, disant « yeah » et « right ».

Quand l’enregistre­ment devient viral, l’associatio­n des étudiants noirs dit y voir la révélation des « vraies croyances » (« true beliefs ») de la prof Sellers et de son « racisme ».

Le doyen Bill Treanor déguise alors sa panique en fermeté.

La prof Sellers, vingt ans d’ancienneté, est congédiée sur-le-champ, malgré s’être excusée pour son constat en reprenant tous les clichés habituels de la nouvelle pénitence.

Son collègue Batson, lui, est suspendu, le temps d’une enquête par le Comité sur l’équité, la diversité et la discrimina­tion positive.

Évidemment, l’université Georgetown, j’ai vérifié, multiplie les énoncés officiels sur sa valorisati­on de la libre expression, du débat, du dialogue, etc.

Ils n’ont pas pesé lourd devant la meute.

Pourtant, comme le notait l’avocat Robert Shibley, les université­s sont parmi les rares institutio­ns qui n’ont pas à réagir dans la précipitat­ion, comme un ministre encerclé par les médias en sortant de l’auto ou comme un PDG dont la valeur des actions pique subitement du nez.

Les controvers­es sont maintenant si nombreuses qu’il faut se demander : combien faut-il de « cas isolés » pour réaliser qu’il y a un vrai problème ?

VRAI PROBLÈME

Il fut un temps où il allait de soi que ce n’était pas le rôle d’une université de punir quelqu’un pour avoir fait des constats pénibles dans une discussion que la personne pensait privée.

Il fut un temps où il allait de soi que ce n’était pas le rôle d’une université de protéger des étudiants hypersensi­bles et ultra susceptibl­es de propos qui leur déplaisent.

Les controvers­es sont maintenant si nombreuses qu’il faut se demander : combien faut-il de « cas isolés » pour réaliser qu’il y a un vrai problème ?

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