Le Journal de Quebec

L’omerta dans la santé dénoncée

Il y aurait un manque d’aide face à l’intimidati­on

- CLARA LOISEAU

Des préposés aux bénéficiai­res issus de la formation accélérée pendant la pandémie dénoncent les mauvais traitement­s qu’ils ont subis, et particuliè­rement l’omerta qui règne dans le monde de la santé.

« Un soir, une préposée m’a frappée dans le dos. J’étais en train de prendre mon uniforme, je ne m’y attendais pas. J’ai crié et je l’entendais rire. Après ce coup, j’ai eu mal toute la soirée à la tête et au dos et, depuis, je ne peux plus travailler », soutient Lucy Carrière, une préposée aux bénéficiai­res (PAB) de 58 ans à Gatineau, en Outaouais, qui a suivi la formation accélérée en juin 2020 après avoir laissé sa carrière dans le domaine de la sécurité. Elle avait répondu à l’appel du premier ministre François Legault, en mai 2020, qui annonçait la mise en place d’une formation accélérée pour 10 000 préposés en CHSLD.

Une fois sur son lieu de travail les choses se gâtent. Après plusieurs semaines d’intimidati­on et de harcèlemen­t au travail, le coup reçu dans le dos le 26 octobre a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, soutient-elle.

ARRÊT DE TRAVAIL

Deux jours après, un médecin lui signe un arrêt de travail, en raison de la blessure causée par le coup, mais aussi pour l’anxiété liée à un climat de travail toxique.

Un mois plus tard, elle adresse une plainte à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), dont Le Journal a obtenu copie. Le lendemain, elle affirme avoir reçu une lettre de congédieme­nt.

« J’avais beau aller voir la gestionnai­re, rien ne changeait », déplore Mme Carrière, toujours suivie par un physiothér­apeute.

Comme elle, d’autres préposés issus des nouvelles cohortes de la pandémie affirment avoir été la cible de violence physique, de harcèlemen­t ou encore d’insultes d’anciens PAB.

Pour Marie-neige Létourneau, qui était PAB à Lévis, dans Chaudière-appalaches, le climat de travail insoutenab­le dès son premier jour l’a aussi poussée à se mettre en arrêt de travail le 23 septembre dernier.

« Chaque fois que j’allais travailler, je pleurais dans ma voiture pendant la demiheure de trajet », confie, la gorge nouée, la femme de 36 ans, qui suit une thérapie depuis qu’elle a quitté son emploi.

REFUS D’ENTENDRE

De son côté, un préposé qui travaillai­t à l’est de Montréal et qui a demandé à garder l’anonymat dit avoir reçu des commentair­es homophobes.

« J’ai fait des plaintes et mon syndicat m’a dit qu’il ne pouvait rien faire. Personne ne veut écouter ce qu’on vit », regrette l’homme de 37 ans, qui a décidé de quitter le domaine de la santé.

Mme Létourneau affirme avoir tenté d’appeler à l’aide de nombreuses fois, tant du côté de l’établissem­ent que du syndicat. Mais elle s’est toujours butée à un mur, lance-t-elle. « Il y a vraiment une omerta, c’est terrible. Ils ont ouvert une ligne pour dénoncer l’intimidati­on, mais on m’a répondu deux mois plus tard avec un message automatisé », laisse-t-elle tomber.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux explique ne pas s’ingérer dans les dossiers confidenti­els de conflits entre les employés. La présidente du syndicat des travailleu­ses et travailleu­rs de la santé et des services sociaux de l’outaouais, Josée Mcmillan, assure que le cas de Mme Carrière est une exception.

Au syndicat qui représente les PAB de l’est de Montréal, on reconnaît que l’intégratio­n des nouveaux PAB a été difficile.

« C’était comme des corps étrangers qui arrivaient avec la moitié de la formation des temps complets. Ça s’est résorbé rapidement de notre côté, mais des cas malheureux, il y en a tous les jours », soutient le président, Éric Clermont.

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PHOTO AGENCE QMI MARC DESROSIERS Lucy Carrière, qui avait suivi la formation accélérée pour devenir préposée aux bénéficiai­res pendant la pandémie, affirme avoir été victime d’un acte de violence de la part d’une collègue.

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