Le Journal de Quebec

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- CLAUDE VILLENEUVE claude.villeneuve@quebecorme­dia.com

Pendant le confinemen­t, je le voyais tous les jours en sortant prendre l’air devant chez moi.

Toujours entre 11 h et midi, le livreur immobilise son camion anonyme sur ma rue. Invariable­ment, il effectue quatre ou cinq allers-retours entre son véhicule et les perrons des portes sur lesquels il dépose des enveloppes ou des boîtes reconnaiss­ables, marquées de la flèche en forme de sourire devenue familière.

Il s’agit du logo d’amazon, l’entreprise qui a su en quelques années développer un réseau de manutentio­n et de livraison de colis au moins aussi étendu, mais plus rapide, plus efficace et moins cher que celui de Postes Canada.

Pourquoi ? Notamment parce que le facteur de la compagnie de livraison nationale qui stationne son camion bleu et rouge pas trop loin de celui du concurrent, tous les jours entre 11 h et midi, lui aussi, il a de bien meilleures conditions de travail.

IMPRESSION­NANT

Imaginez ça, quand même, cette scène-là, du petit livreur qui débarque de son camion blanc, dans des milliers de rues au Québec et sur la planète, toutes les heures. C’est impression­nant.

Amazon avait l’offre commercial­e taillée sur mesure pour la pandémie. Alors qu’on ne pouvait sortir magasiner et que les commerces étaient fermés, on pouvait faire des achats et les recevoir en moins de 24 heures tout en restant en pyjama. Le service Prime qui permet de bénéficier d’un tel délai de livraison permet en plus de se visionner une série en attendant notre boîte de bas et de bobettes suremballé­s.

Chez nous, c’est l’enfer. Chaque jeudi en sortant le recyclage, je dois bien avoir besoin de faire rentrer dans mon bac quatre ou cinq boîtes de livraison, dont quelques-unes d’amazon, immanquabl­ement. Ma blonde est une vraie fan de la formule.

Ça fait longtemps que je me questionne, toutefois. Pour offrir un tel service, la pression sur les employés doit être énorme. Je m’interroge également sur la facture environnem­entale de cette livraison en « just in time » dans des boîtes trop grandes, remplies de plastique qui ne se recycle pas, même si c’est écrit le contraire dessus.

LÀ POUR RESTER

Le reportage de Dominique Cambron-goulet que publie Le Journal en fin de semaine nous fournit une partie des réponses. On constate que les objectifs de rendement que l’on donne aux employés en échange de salaires rachitique­s sont tout simplement irréaliste­s.

En fait, la hâte que nous avons de recevoir nos gréements à la maison se traduit en pression sur les travailleu­rs, puis en gaspillage de plastique à usage unique et de carburant pour des allers-retours inutiles.

C’était le meilleur modèle pour la pandémie. Ça reste quand même un très vieux modèle, reposant sur l’exploitati­on de la main-d’oeuvre et la pollution. Bref, pour recevoir les sauces piquantes commandées sur internet en 24 heures, il y a un coût qu’on ne voit pas, comme c’est souvent le cas dans une économie de marché.

Mais le capitalism­e étant ce qu’il est, c’est appelé à changer, parce qu’aux États-unis, les « associés » des entrepôts d’amazon commencent à se syndiquer. On peut donc supposer que leurs salaires monteront et que leurs conditions s’améliorero­nt, puis qu’amazon deviendra un peu plus coûteux à utiliser et moins rapide. Et c’est une très bonne chose.

À un moment donné, on ne peut pas dire aux entreprise­s de chez nous qui doivent concurrenc­er Amazon qu’elles n’ont qu’à exploiter leur monde et notre planète si elles veulent survivre.

Comme consommate­ur, on doit aussi faire des choix conséquent­s. Et le pire, c’est que même quand il sera traité correcteme­nt, mon petit livreur continuera de croiser le facteur de Postes Canada sur le trottoir devant chez nous, entre 11 h et midi. Parce qu’amazon est là pour rester.

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