Le Journal de Quebec

Peut-on encore célébrer ça ?

- RICHARD MARTINEAU

A-t-on encore le droit de célébrer la fête des Pères en 2021 ?

Serait-ce perçu comme une provocatio­n ?

Un acte réactionna­ire ?

L’ENNEMI PUBLIC NUMÉRO UN

Car s’il y a une figure qui est traînée dans la boue, depuis quelque temps, c’est bien la figure du père.

Le père, c’est l’autorité, la tyrannie, l’oppression.

Il représente tout ce qui est actuelleme­nt perçu comme mauvais.

Nous sommes à l’ère de la mère. La mère enveloppe, dorlote, bichonne, caresse, pouponne, cajole, câline, chouchoute.

La mère est la figure idéale pour les petits lapins. C’est le papier bulle dans lequel ils se roulent.

C’est la doudou avec un grand D, le « safe space » ultime, quand tu entends un mot qui t’offusque et te bouleverse, zoum, tu files sous la jupe de maman, et tout de suite, le monde redevient joli, gentil, douillet.

Comme lorsque tu te lovais dans son ventre et que rien ne pouvait t’atteindre.

Alors que le père est âpre, raboteux, rugueux.

Il te sort de sous la jupe de ta mère et t’oblige à confronter le monde, à confronter tes peurs, à te construire une carapace.

Ouh, quel vilain personnage !

Quel horrible individu !

Et si on redorait l’image du père ?

LE MUR

Tout est maternel, maintenant. L’école materne, l’art materne, la politique materne, les institutio­ns maternent.

« Maman, le monsieur a dit un mot pas gentil !

— Viens ici, mon bébé, viens te coller contre la poitrine de maman, maman va te consoler… »

Comme le chantait Roger Waters dans The Wall : « Hush now baby, baby, don’t you cry

Mama’s gonna make all of your nightmares come true

Mama’s gonna put all of her fears into you

Mama’s gonna keep you right here under her wing

Mama’s gonna keep baby cosy and warm… »

Maman va te protéger du mauvais monde de papa. Viens, bébé, viens t’enrouler dans le papier bulle de maman…

DES VAINCUS

En ce jour de la fête des Pères, j’ai une pensée toute spéciale pour mon ami Guy Corneau, disparu beaucoup trop tôt.

Peu de Québécois ont fait autant pour redorer l’image du père, lui redonner ses lettres de noblesse.

Je me souviens particuliè­rement d’un souper avec Guy et son père, un homme taiseux, comme tous les Québécois de sa génération.

On sentait tout l’amour qui les unissait. Mais aussi toutes les tensions qui, pendant trop longtemps, les ont divisés, et qui bouillaien­t à la surface de leur silence.

« Le masculin, au Québec, est en train de se vider de sa substance, écrivait Guy dans Père manquant, fils manqué. Ici, le déclin de la virilité a été accentué par la conquête de la Nouvelle-france. Cette mainmise a créé chez les pères québécois une dispositio­n à des comporteme­nts de dominés, de vaincus. »

Même dans le Nouveau Testament, le père est absent.

« Joseph verra sa paternité niée et il participer­a très peu à la vie active de son fils. On ne le retrouvera pas au bas de la Croix avec Marie. Les dernières paroles du Christ sur la Croix ne peuvent être plus explicites : “Père, pourquoi m’as-tu abandonné ?” »

Et si, aujourd’hui, on célébrait la figure du père ?

Bonne fête, les papas.

Et merci, papa. Tu étais le meilleur père du monde.

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