Le Journal de Quebec

UN NON QUI RÉSONNE TOUJOURS

Il y a 30 ans, les Nordiques repêchaien­t Eric Lindros malgré son refus de jouer à Québec

- STÉPHANE CADORETTE

Le 22 juin 1991, à Buffalo, Eric Lindros rejoignait l’état-major des Nordiques sur l’estrade quand l’équipe en a fait le premier choix du repêchage de 1991 malgré son intention de ne pas jouer à Québec. Le malaise, qui se lisait déjà sur tous les visages, est devenu d’autant plus criant lorsque le jeune surdoué a plié le chandail fleurdelis­é pour le ranger sous son bras, sans jamais songer à l’enfiler.

Ce n’était que le début d’une longue saga qui, 30 ans plus tard, soulève toujours les passions des antagonist­es impliqués. Retour dans le temps…

L’affaire Lindros s’avère l’épisode le plus houleux de la trop brève histoire des Nordiques. Pendant de longs mois, le propriétai­re de l’équipe, Marcel Aubut, et le directeur général et entraîneur-chef, Pierre Pagé, ont tenté en vain de convaincre celui qui était perçu comme le prochain joueur vedette de sa génération.

Les discussion­s acrimonieu­ses entre les deux clans ont maintes fois été étalées sur la place publique, signe que toute union potentiell­e entre Lindros et les Nordiques relevait de l’utopie.

À l’époque, l’attaquant format géant, flanqué de ses parents, tirait sur tous les flancs. La petitesse du marché de Québec, la barrière de la langue et plusieurs autres raisons étaient évoquées pour justifier le refus.

En 2016, lorsqu’il a été admis au Temple de la renommée du hockey après une belle carrière qui l’a conduit à Philadelph­ie, New York, Toronto et Dallas, Lindros a toutefois blâmé directemen­t Marcel Aubut dans une tournée médiatique qui a servi de réhabilita­tion auprès des Québécois. Selon lui, le flamboyant avocat à la tête de l’organisati­on était l’unique responsabl­e de son désir d’évoluer ailleurs.

JUSTE UNE EXCUSE

Plusieurs voix discordant­es s’élèvent toutefois contre sa version.

« Blâmer Marcel Aubut, c’est une excuse », tranche Pierre Pagé, dans un échange avec le Journal lors duquel il a indiqué que Québec n’était pas l’unique destinatio­n rayée de la carte.

« Lindros et son agent nous ont dit qu’il ne voulait pas jouer à Los Angeles à cause de (Wayne) Greztky, ni à Philadelph­ie. Il avait un plan et savait où il préférait jouer et bénéficier d’avantages financiers. Il espérait aboutir à Chicago avec l’entraîneur-chef Mike Keenan. Mike et la mère de Lindros étaient des copains de classe. Eric voulait jouer pour Mike, qui l’avait dirigé à la Coupe Canada », assure Pagé.

« Pourqoui Lindros n’aimait pas Gretzky et qu’il ne voulait pas jouer à Los Angeles? Pourquoi Lindros n’aimait pas Marcel Aubut? Pourquoi Lindros nous avait laissé entendre qu’il ne voulait pas aller à Philadelph­ie? S’embarquer dans tout ça, c’est donner du crédit à toutes ses excuses! ».

UNE ORGANISATI­ON PERDANTE

Lindros n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue, estimant sans doute qu’il n’ajouterait rien à ses déclaratio­ns d’il y a cinq ans concernant Marcel Aubut.

Son agent de l’époque, Rick Curran, a eu maille à partir avec son client au bout de quelques années seulement, mais il ne contredit pas aujourd’hui son ancien protégé.

Selon lui, la seule et unique raison qui explique le mépris du clan Lindros à l’endroit d’aubut est que ce dernier aurait déployé toutes les tactiques imaginable­s pour que les Nordiques s’assurent d’accumuler les premiers choix plutôt que de

développer une culture gagnante.

« Ce n’est tellement pas si compliqué que ça en l’air. Eric et ses parents avaient des inquiétude­s à l’idée de jouer pour un individu qu’ils n’avaient pas en haute estime et ils ont pris la décision de ne pas aller là. Ils étaient prêts à patienter pour qu’il évolue avec une franchise en laquelle ils avaient confiance.

« Est-ce que d’autres facteurs comme la taille du marché ont fait partie des discussion­s ? Absolument, mais en fin de compte, ce n’est pas ce qui a influencé la décision. Ils n’avaient pas beaucoup de respect pour Marcel Aubut et ses stratégies pour prioriser les premiers choix. Eric était extrêmemen­t compétitif et il ne pouvait pas tolérer qu’un propriétai­re accepte autant la défaite », fait-il valoir dans une longue entrevue.

De 1987 à 1991, les Nordiques ont repêché à six reprises parmi les 10 premiers choix, dont trois fois au tout premier rang en 1989 (Mats Sundin), 1990 (Owen Nolan) et 1991 (Eric Lindros).

L’ancien directeur des sports du

Journal de Québec, Claude Bédard, était aux premières loges durant tout le mélodrame et refuse obstinémen­t de croire en cette analyse de culture perdante.

« Personne dans le clan Lindros n’a à se sentir coupable ou à s’excuser de quoi que ce soit. La vraie raison de son refus de venir à Québec devrait toutefois être donnée. Après 30 ans, c’est facile de dire que c’est la faute d’aubut, mais c’est la vision d’une personne hypocrite qui s’esquive. Les faits, c’est que la famille Lindros n’a rien voulu savoir de Québec. Son père gouvernait, sa mère gérait et Lindros s’est servi de Québec pour s’en aller dans un gros marché, où il allait décrocher un gros salaire et devenir une grosse vedette pour flatter son gros ego », fustige-t-il.

POURPARLER­S INEXISTANT­S

Malgré une offre mirobolant­e pour l’époque de 50 millions pour 10 ans, le clan Lindros n’a jamais bronché. Ni même passé proche, selon Pierre Pagé.

« La dernière fois que j’ai discuté avec la famille, au Château Bonne Entente, Guy Lafleur était là pour nous aider. Guy a conclu assez rapidement qu’eric ne viendrait pas, sous aucune condition. Une autre fois à Toronto on a vécu le même scénario. Refus complet, pas de place pour la discussion ! Son père et sa mère s’étaient entourés de spécialist­es depuis plusieurs années et ils avaient un plan », raconte-t-il.

Un plan qui n’incluait pas Québec et même 30 ans plus tard, l’amertume demeure vive. En 1992, l’échange de Lindros aux Flyers a amené la manne aux Nordiques et aux amateurs, qui ont toutefois vu leur plaie rouvrir quand le résultat tant attendu aura été deux coupes Stanley… au Colorado.

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lorsque les Nordiques en ont fait le premier choix et il a choisi de ne pas enfiler leur chandail, contrairem­ent à ce que veut la tradition. Lors des négociatio­ns qui n’ont jamais porté fruitavec les Nordiques, plusieurs médias avaient rapporté qu’il avait même refusé un contrat monstre de 10 ans pour
50 millions.
PHOTO D’ARCHIVES Eric Lindros affichait un air glacial lorsque les Nordiques en ont fait le premier choix et il a choisi de ne pas enfiler leur chandail, contrairem­ent à ce que veut la tradition. Lors des négociatio­ns qui n’ont jamais porté fruitavec les Nordiques, plusieurs médias avaient rapporté qu’il avait même refusé un contrat monstre de 10 ans pour 50 millions.

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