Le Journal de Quebec

La fierté suspecte

- ANTOINE ROBITAILLE

Remplacer le cours Éthique et culture religieuse (ECR) par un autre « axé sur la culture et la citoyennet­é québécoise », comme l’a annoncé François Legault mardi, devrait, selon certains, nous terrifier.

Oui, puisque le premier ministre a précisé que ce changement se ferait dans le but de « transmettr­e un sentiment de fierté, de citoyennet­é partagée ». Afin de favoriser la « cohésion sociale ».

Face au nationalis­me, il faut certes toujours cultiver notre « esprit critique » – un des objectifs D’ECR, justement.

Mais plusieurs contempteu­rs du nationalis­me voient dans toutes ses expression­s une sorte d’idéologie quasi nazie. (Alors qu’étrangemen­t, ils célèbrent tout désir de « cohésion nationale » d’autres minorités.)

Certes, la vice-première ministre Geneviève Guilbault n’a pas aidé la cause du gouverneme­nt en disant que le nouveau cours allait « avoir une petite saveur chauvine », jeudi.

PAS DES ÎLES

Mais s’il y a une chose que nous a apprise la pandémie, c’est bien que nous ne sommes pas des îles, nous les individus. Et pour bien fonctionne­r collective­ment, le sentiment d’être dans le même bateau est essentiel.

Bien sûr, lorsqu’ils viennent de grandes nations conquérant­es, les appels à la fierté, les accès de nationalis­me, doivent susciter la méfiance. « Si je vivais en France ou en Grande-bretagne, a déjà déclaré le sociologue québécois Fernand Dumont, je ne serais pas nationalis­te. Mais ici, je le suis par nécessité, devant la fragilité de ma société en Amérique du Nord. Je récuse la prétention qu’on ne puisse être nationalis­te et humaniste. »

« BONS QUÉBÉCOIS »

La volonté de remplacer ECR par un cours de Culture et citoyennet­é québécoise (CCQ) ne devrait pas nous effrayer, au contraire.

Après près de 15 ans d’implantati­on, ECR aurait de toute manière eu besoin d’être revu. Il a connu des débuts chaotiques, coïncidant avec le renouveau pédagogiqu­e où les compétence­s chassaient les connaissan­ces. Il a privilégié des images extrêmes des religions et il occultait l’athéisme. Nulle surprise qu’il fut contesté de toutes parts. Parions toutefois que, depuis, il avait sans doute été amélioré.

Reste qu’ils sont curieux, les apôtres de l’esprit critique et du dialogue qui ont immédiatem­ent conclu que le gouverneme­nt avait un dessein maléfique de « former de bons Québécois » (préfère-t-on en former des « mauvais » ?), d’« endoctrine­r » nos jeunes.

NOUVELLES SUPERSTITI­ONS

Au reste, l’esprit « réellement courageux est celui qui brave les tyrannies jeunes comme le matin et les superstiti­ons fraîches comme les premières fleurs » (Chesterton).

Or aujourd’hui, les médias sociaux, le web en sont le terreau. Sans compter que dans ces endroits virtuels, hors sol, on parle bien peu du Québec, de son passé, de ses mérites. Un cours qui aurait comme fonction de mieux faire connaître le système démocratiq­ue du Québec, tout en développan­t l’esprit critique, serait sûrement bienvenu. Et pourrait, oui, être source de fierté civique.

Demain, de toute manière, le ministre Jean-françois Roberge, en compagnie entre autres de Pierre Curzi (un des premiers critiques D’ECR en 2009), précisera que le nouveau cours CCQ n’est pas finalisé, malgré la consultati­on lancée en 2019 et interrompu­e par la pandémie. Dans les prochaines semaines, des chercheurs rédigeront des contenus afin que des projets pilotes soient lancés en 2022 ; pour une implantati­on complète en 2023.

Attendons donc avant de crier à l’« endoctrine­ment ».

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