Un discours, un mensonge et une réputation en lambeaux
Deux obsessions tourmentent Washington ces jours-ci : le déclenchement d’une nouvelle guerre froide et la poursuite de la guerre larvée au Congrès. Les deux sont reliées et Colin Powell porte une bonne part du blâme. Eh oui, dix-huit ans plus tard.
La potentielle nouvelle guerre froide, avec la Chine comme opposant cette fois, mérite les sueurs qu’elle génère. Le tir d’un missile hypersonique par Pékin, la construction de centaines de silos à missiles nucléaires dans l’ouest chinois et la promesse réitérée du président Biden jeudi de « venir à la défense de Taïwan si la Chine attaque » suffisent à nous faire des peurs justifiées.
Écartons l’idée d’un remake des quarante-cinq années de tensions entre les États-unis et L’URSS ! J’ai assez donné dans la kremlinologie pendant ma jeunesse universitaire pour savoir que la Chine se montre beaucoup moins opaque et immensément plus volontaire dans ses échanges commerciaux et humains.
Puis, pas sûr que les Américains aient été si surpris par les nouvelles avancées militaires chinoises ! On en échappe très peu avec les satellites et autres capacités d’espionnage d’aujourd’hui. Je me range plutôt derrière l’analyse voulant que, pendant que les États-unis gaspillaient troupes, argent et réputation en Afghanistan et en Irak, les Chinois poursuivaient tranquillement leur bonhomme de chemin.
HOMMAGES ET DÉSHONNEUR
L’amérique s’est vautrée tout au long de la semaine dans les hommages à Colin Powell, ancien chef d’état-major interarmées et ancien secrétaire d’état. Le simple fait qu’il ait été le premier Afro-américain au sommet de la diplomatie du pays valide ces louanges. Pourtant, nous traînons les conséquences de son discours du 5 février 2003 à L’ONU.
Il prétendait disposer de preuves que Saddam Hussein, le dictateur irakien, possédait des armes chimiques et biologiques et développait possiblement un arsenal nucléaire. On a vite su que tout cela était faux, archifaux. Malgré tout, les États-unis ont dilapidé en
Irak 2000 milliards $ et perdu près de 4500 soldats, alors que jusqu’à 200 000 Irakiens étaient tués. Une boucherie ruineuse! Pire encore, dans une vaste perspective géopolitique, les Américains ont sacrifié des années d’efforts et sapé une crédibilité chèrement acquise.
MENTIR D’HIER À AUJOURD’HUI
C’est ce déficit de crédibilité que Donald Trump a fini par exploiter. Il n’a rien inventé, l’ancienne de la télé-réalité : la table avait été mise pour lui. À commencer par des dirigeants politiques qui dupent pour aller en guerre, puis des responsables militaires qui interprètent les faits de manière à légitimer un engagement guerrier sans fin.
Pendant que des centaines de milliards de dollars étaient injectés pour reconstruire l’afghanistan et l’irak, l’arrière-pays américain continuait à rouler sur des routes défoncées et à fréquenter des écoles décrépites. C’est notamment là qu’elle s’est effritée la confiance de très nombreux Américains envers leurs représentants et leurs institutions.
Aujourd’hui, elle s’est métastasée au Congrès, cette guerre où chaque camp refuse d’écouter l’autre, voire le diabolise comme sur un vrai champ de bataille. Je me demande souvent si – sans ce fameux discours de Colin Powell, sans toutes ces faussetés – les Américains oseraient se faire aujourd’hui un peu plus confiance.