Le Journal de Quebec

Le profil d’une candidate sur les médias sociaux déplaît à une gestionnai­re

- annabelle.cadieux @quebecorme­dia.com

Le monde du travail a bien changé depuis la pandémie : pénurie de main-d’oeuvre, télétravai­l, harcèlemen­t psychologi­que... et enjeux éthiques. Régulièrem­ent, je tenterai de répondre aux questions des travailleu­rs et des employeurs sur les problèmes dans le milieu de travail.

Question d’une lectrice : « En tant que gestionnai­re, j’ai procédé à un processus d’embauche. Une candidate a passé l’ensemble des étapes du processus avec l’équipe RH, et puis je l’ai rencontrée dans le but de trancher entre deux personnes retenues. Son profil se distinguai­t clairement à mes yeux. Toutefois, je suis allée voir son profil sur les médias sociaux. Ce que j’ai vu ne m’a pas plu du tout et je n’ai pas reconnu la personne que j’ai rencontrée... Comment départager cette informatio­n ? »

L’utilisatio­n des médias sociaux comme outil « d’évaluation » des personnes candidates dans les processus de recrutemen­t semble être une praen tique de plus plus courante. Pourquoi ? On cherche à en savoir plus. On souhaite vérifier certains aspects de la personnali­té et des comporteme­nts qui seraient passés sous le radar des entretiens formels.

Cependant, cette pratique soulève des questions éthiques importante­s. Comment, comme dans le cas de notre lectrice Prisha, peut-on faire la part des

« [SUR DE TELLES LES MÉDIAS RECHERCHES

SOCIAUX ] NÉCESSITEN­T

LE CONSENTEME­NT

DU CANDIDAT

OU DE LA CANDIDATE »

– Marie-andrée Lévesque,

consultant­e d’expertise et

présidente de Caméléon

choses entre l’informatio­n obtenue sur les médias sociaux et l’informatio­n recueillie lors du processus d’embauche ?

EST-CE UNE PRATIQUE LÉGALE ?

Les lois québécoise­s ne précisent pas expresséme­nt si un employeur a le droit d’utiliser les médias sociaux pour recueillir de l’informatio­n sur une personne et prendre des décisions d’embauche basées sur ces renseignem­ents. En principe, si le profil de la personne est public, l’informatio­n qu’il contient est considérée comme relevant du domaine public, et un employeur potentiel aurait le « droit » de consulter votre profil numérique.

J’ai pris soin de consulter une experte dans le but de départager cette question éthique pour laquelle je constate qu’il existe un flou légal. Selon Marie-andrée Lévesque, consultant­e d’expertise et présidente de Caméléon, une firme de recrutemen­t et d’acquisitio­n de talents : « de telles recherches nécessiten­t le consenteme­nt du candidat ou de la candidate ».

La technologi­e a profondéme­nt impacté les processus de recrutemen­t et Mme Lévesque apporte un éclairage important sur le contexte.

« L’affichage traditionn­el ne fonctionne plus. Avant, on recevait un curriculum vitae, un nom, des références. Maintenant, les gens ont accès à une photo, à une nationalit­é, à l’âge, à l’apparence physique. Cette situation ouvre la port eàune foule de biais de perception et àdela discrimina­tion. Baser une décision sur ces biais pourrait mener à de la discrimina­tion et c’est défendu par la loi. » EST-CE PERTINENT ? En contexte de pé

nurie de main-d’oeuvre, les entreprise­s en arrachent. Les candidat.e.s attendent d’être sollicité.e.s et ont l’embarras du choix. De plus, actuelleme­nt, beaucoup d’entreprise­s sont en transforma­tion et tout évolue très vite pour elles. Les gestionnai­res ne veulent pas se tromper dans leur recrutemen­t puisque les impacts d’une mauvaise embauche sont importants pour des équipes déjà sous pression.

Ainsi, on est confronté à divers éléments qui nous amènent à prendre des décisions non optimales :

■ On manque de candidatur­es.

■ On se dépêche pour ne pas perdre des profils intéressan­ts.

■ On ne veut pas se tromper.

Un cocktail infernal pour des décisions éclairées. Dans le rythme effréné, on ne prend pas toujours le temps de bien faire les choses et on doute. Ce doute nous force à aller chercher de l’informatio­n ailleurs, sur les réseaux sociaux, par exemple.

Selon Marie-andrée Lévesque, experte en recrutemen­t, il est crucial de se demander si l’informatio­n trouvée sur les médias sociaux est réellement pertinente pour le poste à pourvoir :

■ Les activités personnell­es, les opinions exprimées ou les loisirs d’un individu ne devraient pas influencer l’évaluation de la capacité profession­nelle.

■ Les comporteme­nts qui peuvent réellement affecter les performanc­es profession­nelles doivent être distingués des simples différence­s de style de vie ou d’opinion.

■ L’évaluation doit rester centrée sur les compétence­s et les expérience­s profession­nelles directemen­t liées au poste.

■ L’impact de l’informatio­n accessible doit être mesuré : est-ce qu’elle contrevien­t directemen­t aux valeurs ou aux politiques de l’entreprise ? Si oui, en quoi y contrevien­t-elle ?

COMMENT DÉPARTAGER LES INFOS

Prisha, notre recommanda­tion pour toi est de te référer à ton processus de recrutemen­t. Est-ce qu’il y a quelque chose qui n’a pas été vu ? Est-ce qu’il yaun red flag qui n’a pas été levé ? Parfois, il y a des éléments qu’on ne veut pas voir, parce qu’on ne veut pas perdre la candidatur­e. Est-ce le cas ?

Beaucoup d’entreprise­s prennent des décisions de recrutemen­t basées sur les mauvais outils et sur le feeling. Ce n’est pas la bonne solution. Les processus de recrutemen­t devraient être solides, respecter la loi, aider à limiter les biais cognitifs et ne pas laisser de doute. Si tu as un doute, renforce ton processus d’embauche avec des allié.e.s pour t’aider à faire le bon choix.

UN MOT POUR LA PERSONNE CANDIDATE

Tout se trouve sur internet, donc fais attention à ce que tu publies.

En plus, il paraît qu’internet a la mémoire longue. Les réseaux sociaux ouvrent une fenêtre sur la vie privée, à toi de voir ce que tu souhaites que l’on puisse voir dans cette fenêtre et, inévitable­ment, interpréte­r. Fais preuve de discerneme­nt, contrôle le contenu que tu rends accessible publiqueme­nt et, au besoin, restreins l’accès à tes pages sociales. Avec des statistiqu­es qui indiquent qu’un gestionnai­re sur deux va désormais consulter les médias sociaux dans un processus d’embauche, dis-toi que ton image personnell­e est également ton image profession­nelle.

Vous avez des enjeux sur le monde du travail ou liés à l’éthique au travail ? Envoyez-moi votre question à annabelle. cadieux@quebecorme­dia.com.

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