Le profil d’une candidate sur les médias sociaux déplaît à une gestionnaire
Le monde du travail a bien changé depuis la pandémie : pénurie de main-d’oeuvre, télétravail, harcèlement psychologique... et enjeux éthiques. Régulièrement, je tenterai de répondre aux questions des travailleurs et des employeurs sur les problèmes dans le milieu de travail.
Question d’une lectrice : « En tant que gestionnaire, j’ai procédé à un processus d’embauche. Une candidate a passé l’ensemble des étapes du processus avec l’équipe RH, et puis je l’ai rencontrée dans le but de trancher entre deux personnes retenues. Son profil se distinguait clairement à mes yeux. Toutefois, je suis allée voir son profil sur les médias sociaux. Ce que j’ai vu ne m’a pas plu du tout et je n’ai pas reconnu la personne que j’ai rencontrée... Comment départager cette information ? »
L’utilisation des médias sociaux comme outil « d’évaluation » des personnes candidates dans les processus de recrutement semble être une praen tique de plus plus courante. Pourquoi ? On cherche à en savoir plus. On souhaite vérifier certains aspects de la personnalité et des comportements qui seraient passés sous le radar des entretiens formels.
Cependant, cette pratique soulève des questions éthiques importantes. Comment, comme dans le cas de notre lectrice Prisha, peut-on faire la part des
« [SUR DE TELLES LES MÉDIAS RECHERCHES
SOCIAUX ] NÉCESSITENT
LE CONSENTEMENT
DU CANDIDAT
OU DE LA CANDIDATE »
– Marie-andrée Lévesque,
consultante d’expertise et
présidente de Caméléon
choses entre l’information obtenue sur les médias sociaux et l’information recueillie lors du processus d’embauche ?
EST-CE UNE PRATIQUE LÉGALE ?
Les lois québécoises ne précisent pas expressément si un employeur a le droit d’utiliser les médias sociaux pour recueillir de l’information sur une personne et prendre des décisions d’embauche basées sur ces renseignements. En principe, si le profil de la personne est public, l’information qu’il contient est considérée comme relevant du domaine public, et un employeur potentiel aurait le « droit » de consulter votre profil numérique.
J’ai pris soin de consulter une experte dans le but de départager cette question éthique pour laquelle je constate qu’il existe un flou légal. Selon Marie-andrée Lévesque, consultante d’expertise et présidente de Caméléon, une firme de recrutement et d’acquisition de talents : « de telles recherches nécessitent le consentement du candidat ou de la candidate ».
La technologie a profondément impacté les processus de recrutement et Mme Lévesque apporte un éclairage important sur le contexte.
« L’affichage traditionnel ne fonctionne plus. Avant, on recevait un curriculum vitae, un nom, des références. Maintenant, les gens ont accès à une photo, à une nationalité, à l’âge, à l’apparence physique. Cette situation ouvre la port eàune foule de biais de perception et àdela discrimination. Baser une décision sur ces biais pourrait mener à de la discrimination et c’est défendu par la loi. » EST-CE PERTINENT ? En contexte de pé
nurie de main-d’oeuvre, les entreprises en arrachent. Les candidat.e.s attendent d’être sollicité.e.s et ont l’embarras du choix. De plus, actuellement, beaucoup d’entreprises sont en transformation et tout évolue très vite pour elles. Les gestionnaires ne veulent pas se tromper dans leur recrutement puisque les impacts d’une mauvaise embauche sont importants pour des équipes déjà sous pression.
Ainsi, on est confronté à divers éléments qui nous amènent à prendre des décisions non optimales :
■ On manque de candidatures.
■ On se dépêche pour ne pas perdre des profils intéressants.
■ On ne veut pas se tromper.
Un cocktail infernal pour des décisions éclairées. Dans le rythme effréné, on ne prend pas toujours le temps de bien faire les choses et on doute. Ce doute nous force à aller chercher de l’information ailleurs, sur les réseaux sociaux, par exemple.
Selon Marie-andrée Lévesque, experte en recrutement, il est crucial de se demander si l’information trouvée sur les médias sociaux est réellement pertinente pour le poste à pourvoir :
■ Les activités personnelles, les opinions exprimées ou les loisirs d’un individu ne devraient pas influencer l’évaluation de la capacité professionnelle.
■ Les comportements qui peuvent réellement affecter les performances professionnelles doivent être distingués des simples différences de style de vie ou d’opinion.
■ L’évaluation doit rester centrée sur les compétences et les expériences professionnelles directement liées au poste.
■ L’impact de l’information accessible doit être mesuré : est-ce qu’elle contrevient directement aux valeurs ou aux politiques de l’entreprise ? Si oui, en quoi y contrevient-elle ?
COMMENT DÉPARTAGER LES INFOS
Prisha, notre recommandation pour toi est de te référer à ton processus de recrutement. Est-ce qu’il y a quelque chose qui n’a pas été vu ? Est-ce qu’il yaun red flag qui n’a pas été levé ? Parfois, il y a des éléments qu’on ne veut pas voir, parce qu’on ne veut pas perdre la candidature. Est-ce le cas ?
Beaucoup d’entreprises prennent des décisions de recrutement basées sur les mauvais outils et sur le feeling. Ce n’est pas la bonne solution. Les processus de recrutement devraient être solides, respecter la loi, aider à limiter les biais cognitifs et ne pas laisser de doute. Si tu as un doute, renforce ton processus d’embauche avec des allié.e.s pour t’aider à faire le bon choix.
UN MOT POUR LA PERSONNE CANDIDATE
Tout se trouve sur internet, donc fais attention à ce que tu publies.
En plus, il paraît qu’internet a la mémoire longue. Les réseaux sociaux ouvrent une fenêtre sur la vie privée, à toi de voir ce que tu souhaites que l’on puisse voir dans cette fenêtre et, inévitablement, interpréter. Fais preuve de discernement, contrôle le contenu que tu rends accessible publiquement et, au besoin, restreins l’accès à tes pages sociales. Avec des statistiques qui indiquent qu’un gestionnaire sur deux va désormais consulter les médias sociaux dans un processus d’embauche, dis-toi que ton image personnelle est également ton image professionnelle.
Vous avez des enjeux sur le monde du travail ou liés à l’éthique au travail ? Envoyez-moi votre question à annabelle. cadieux@quebecormedia.com.