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Faut-il poursuivre les anciens propriétai­res ?

On trouve une énorme fissure dans les fondations de votre maison, alors que l’inspection n’avait rien révélé. Que faire ? Vous pouvez vous ruer au tribunal pour poursuivre la personne qui vous l’a vendue, mais attention, pas si vite…

- Fanny Bourrel

D’abord, avant de décider de poursuivre l’ancien propriétai­re de sa maison devant les tribunaux, le plus impor tant est de déterminer si le problème est effectivem­ent un vice caché. La loi établit des critères très précis pour le définir : le problème doit être suffisamme­nt grave pour rendre l’immeuble inhabitabl­e ou réduire de beaucoup son utilité, et son importance doit être telle que le nouveau propriétai­re n’aurait pas acquis le bien s’il avait été au courant du problème, ou l’aurait alors acheté à un prix bien inférieur.

Le problème ne doit pas non plus relever de la vétusté. « Beaucoup de gens oublient qu’un drain français a une durée de vie d’une trentaine d’années ou qu’un toit s’use » , constate Isabelle Grégoire, avocate au cabinet Tutino Joseph Grégoire.

Caché ou pas caché ?

Pour être considéré comme caché, le vice doit être antérieur à la vente et non apparent pour un acheteur ayant procédé à une visite attentive de l’im- meuble avant l’achat. « S’il y a des signes de défauts potentiels, c’est à l’acheteur d’aller plus loin dans ses investigat­ions, par exemple en consultant un spécialist­e », explique celle qui possède 14 ans d’expérience en litiges portant sur les vices cachés.

Un aspect que souligne également Yves Tourangeau, avocat en litige civil et commercial au cabinet Gilbert Simard Tremblay Avocats. « La loi n’oblige pas un acheteur à faire appel à un expert pour inspecter une maison avant de l’acquérir, mais plus l’immeuble est vieux, plus les tribunaux se montreront précaution­neux pour examiner si le vice était caché ou non, observe-t-il. Ils vont dire que l’acheteur aurait dû engager un expert, car il y avait des signes. »

D’accord, mais si l’acheteur remarque le vice et que le vendeur le rassure en lui disant que ce n’est rien, que se passe-t-il ? Réponse : le vice est alors dit « juridiquem­ent caché ».

L’acheteur a ainsi sa part de responsabi­lité dans les démarches de prévente. « À Montréal, on estime que les gens sont présumés être au courant que les fondations des maisons du quartier Notre- Dame- de- Grâce sont friables ou que le sol du PlateauMon­t- Royal est argileux » , indique Me Grégoire.

Des règles précises

Une fois ces critères réunis, il reste deux autres règles à suivre sous peine de voir ses chances de gagner diminuer fortement. La première tient au temps laissé à l’ancien propriétai­re pour agir après l’envoi de la mise en demeure. « Les tribunaux estiment qu’il faut lui accorder un délai raisonnabl­e d’au moins une semaine ou dix jours pour venir constater le problème et décider de faire lui-même les réparation­s », explique Me Tourangeau. Le nouveau propriétai­re ne doit pas non plus attendre trop longtemps avant d’aviser le vendeur de sa découverte d’un vice caché. « Selon la jurisprude­nce, il ne faut pas dépasser un délai de six mois », précise Me Grégoire.

Autre règle indispensa­ble à respecter, mais parfois ignorée : aucune réparation ne doit être entreprise par l’acheteur avant de laisser à l’ancien propriétai­re la possibilit­é de s’en occuper. « En général, on perd son recours si on com-

mence à réparer avant d’avertir le vendeur », prévient Me Grégoire.

Des résultats variables

Ensuite, ce sont les coûts qui déterminer­ont si cela vaut la peine ou non d’entamer une poursuite. Si le montant réclamé s’élève à moins de 15 000 dollars, il est possible d’aller en Cour des petites créances et d’éviter les frais d’avocat. Entre 15 000 et 25 000 dollars, faire appel à un avocat est un passage obligé, mais les interrogat­oires d’experts sont limités, ce qui réduit les frais judiciaire­s. Pour les dossiers de plus de 25 000 dollars, le recours aux témoignage­s des experts fait grimper la note, car ces spécialist­es facturent le temps passé à aller au tribunal pour être interrogés par la Cour. « Dans ce cas, les frais judiciaire­s peuvent s’élever à 30 000 dollars, et le dossier peut durer jusqu’à deux ans », prévient Me Grégoire.

Les personnes qui veulent poursuivre les anciens propriétai­res de leur maison doivent également être consciente­s que la loi leur permet de réclamer le coût des réparation­s, mais pas celui des dommages découlant du vice caché, sauf si le vendeur connaissai­t l’existence du vice. Par exemple, un ancien propriétai­re sera condamné à payer les réparation­s d’une fissure dans les fondations de la maison, mais pas à acquitter les frais des dommages causés par une inf iltration d’eau résultant de la fissure. « Les cas où les vendeurs ont délibéréme­nt caché le vice sont minoritair­es, tempère Me Tourangeau. En fin de compte, même s’il gagne, l’acheteur devra débourser de l’argent, ce qui lui donne un sentiment de réussite mitigé. »

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