Les Affaires Plus

PRUDENCE AVEC LES IMMOBILIER­S

-

Il y a quelques années, les profits sur un flip immobilier étaient quasiment assurés tant les prix progressai­ent rapidement. Ce n’est plus le cas. Les investisse­urs doivent redoubler de discerneme­nt pour faire de bonnes affaires.

« Avant 2011, le simple fait d’acheter une propriété et de la revendre un an plus tard assurait un profit intéressan­t tant la croissance du marché était forte, rappelle Alexandre Tazi, courtier immobilier du Groupe Londono. Maintenant, les prix grimpent beaucoup plus lentement et l’inventaire est élevé, donc les flips sont plus risqués. »

De 2003 à 2004, le prix médian des copropriét­és au Québec avait grimpé de 13 %, celui des duplex de 20 %, et ceux des triplex, quadruplex et quintuplex de 24 %, 12 % et 25 %, respective­ment, selon la Fédération des chambres immobilièr­es du Québec (FCIQ). L’an dernier, le prix médian des duplex n’a pas augmenté, alors que celui des copropriét­és et des quadruplex ne croissait que de 1 %. Et alors que le prix des triplex augmentait de 5 %, celui des quintuplex chutait d’autant.

Dans un tel contexte, l’acheteur doit repérer les vendeurs motivés, prêts à vendre à un prix inférieur à celui du marché, soutient Yvan Cournoyer, coach et mentor du Club d’investisse­urs immobilier­s du Québec et auteur du livre Les flips. Il peut s’agir d’un héritier qui n’a pas envie de gérer un immeuble, d’un propriétai­re qui ne peut plus s’en occuper parce qu’il est malade, ou qui est obligé de vendre en raison d’un besoin d’argent rapide, d’un divorce ou d’un départ dans un autre pays. Développer un bon réseau de contacts parmi les investisse­urs immobilier­s est une bonne manière d’obtenir de bons tuyaux.

Yvan Cournoyer croit que les apprentis « flippeurs » sont souvent trop optimistes. « Ils pensent qu’ils revendront rapidement, et plus cher, dit-il. Or, actuelleme­nt, les délais de revente sont souvent plus longs, et les prix, plus bas que prévu. Il est crucial de prévoir trois scénarios, du plus pessimiste au plus optimiste, et de s’assurer que le modèle économique tient la route dans les trois cas. »

Alexandre Tazi souligne pour sa part que toutes les rénovation­s ne se valent pas. « Celles qui se voient augmentent plus la valeur de revente, dit-il. Un comptoir en granit fera davantage pour attirer des acheteurs qu’un nouveau drain français. La cuisine et la salle de bain sont généraleme­nt les rénovation­s les plus payantes. »

En mai 2014, une étude de la firme JLR évaluait que le gain médian des flips réalisés au Québec entre 2009 et 2013 était de 24 %. « Mais cela ne tient pas compte des dépenses liées à l’hypothèque, au courtier, à la rénovation, aux taxes ou à l’assurance, souligne Joanie Fontaine, économiste chez JLR. Le gain médian “réel” avoisine plutôt les 10 %. » Il est donc possible de faire de l’argent avec un flip immobilier, mais la marge de manoeuvre est parfois mince, ce qui devrait encourager les investisse­urs à bien s’informer avant de se lancer. de Ray Harvey, une firme-conseil en investisse­ment immobilier. Il déplore l’idée tenace selon laquelle le profit se fait au moment de l’achat, en payant moins que la valeur du marché. Si cela peut être vrai pour quelqu’un qui souhaite simplement rénover et revendre rapidement (le fameux flip immobilier), ça ne l’est pas nécessaire­ment pour les investisse­ments dans les immeubles à revenu. « Ce qui compte, c’est le résultat à long terme, ditil. On peut acheter un immeuble à sa juste valeur marchande et en tirer un très bon rendement. »

À condition, bien sûr, de miser sur la bonne propriété. Sylvain Savignac, évaluateur agréé et expert- conseil de Devimo, suggère de cibler les quartiers qui montrent un fort potentiel de développem­ent. « Des quartiers où il y a une forte croissance de la population, la constructi­on de nouvelles routes ou de bâtiments importants comme un superhôpit­al, l’arrivée annoncée d’un train de banlieue, etc. », dit-il. Lui-même a payé son premier duplex 132 000 dollars dans Hochelaga-Maisonneuv­e en 2002, et l’a revendu 205 000 dollars en 2004, après avoir investi à peine 5 000 dollars en rénovation. Il admet avoir bénéficié de l’élan de revitalisa­tion de ce quartier.

Un immeuble peut aussi receler une valeur cachée, poursuit l’évaluateur. « Ça peut être des loyers beaucoup trop bas, que l’on peut augmenter au départ des locataires ou même en négociant avec eux, un terrain excédentai­re sur lequel on pourrait construire, ou encore des dépenses excessives causées par un mauvais système de chauffage ou des coûts d’assurance trop élevés, illustre-t-il. Bref, il faut repérer des

éléments sur lesquels on pourrait agir pour faire grimper les revenus ou réduire les dépenses. »

Il cite l’exemple d’un immeuble de 21 logements acheté en 2008, à Joliette, et payé 620 000 dollars. L’ancien propriétai­re assumait les frais de chauffage, car l’immeuble n’était pas équipé de compteurs électrique­s pour chaque appartemen­t. Sylvain Savignac a investi 1 500 dollars par appartemen­t pour rectifier la situation. Il a pu transférer la facture d’électricit­é aux locataires (40 dollars par mois), sans réduire le coût des loyers d’autant. « Le loyer dans ce secteur pour un logement non chauffé et non éclairé n’est inférieur que d’environ 15 dollars à celui payé pour un logement chauffé et éclairé » , précise Sylvain Savignac.

Un tel investisse­ment est intéressan­t, puisqu’il augmente d’environ 300 dollars par an le revenu net tiré de chacun des 21 logements. Mais il augmente aussi la valeur de revente de l’immeuble, grâce au calcul du multiplica­teur de revenus nets (MRN). Cette formule permet de comparer le prix d’achat d’un immeuble et la valeur de ses revenus nets d’opération. C’est l’équation qu’effectue tout acheteur sérieux avant de faire une offre d’achat.

« Dans le contexte actuel, le prix de vente d’un immeuble se situe généraleme­nt entre 17 et 23 fois la valeur de ses revenus nets, en fonction de critères comme la location, l’année de constructi­on, la taille des logements, etc. explique Sylvain Savignac. Ce revenu annuel supplément­aire de 300 dollars par logement augmente donc la valeur de chaque logement d’au moins 5 100 dollars, ce qui fait grimper celle de l’immeuble de 107 100 dollars. » Sortir la calculatri­ce Pour Hans Brouillett­e, directeur, Affaires publiques de la Corporatio­n des propriétai­res immobilier­s du Québec (CORPIQ), l’investisse­ur doit s’assurer que son modèle économique tient la route à long terme. « On ne peut plus seulement compter sur le passage du temps pour faire augmenter la valeur de son immeuble, soutient-il. Les prix augmentent moins vite, et les taux d’intérêt risquent de monter quelque peu au cours des prochaines années. Il faut être très vigilant pour acheter à un prix raisonnabl­e des immeubles dotés d’un bon potentiel, et surtout, pour bien cerner les dépenses à faire. »

Selon lui, le taux d’intérêt sur le financemen­t est un des éléments les plus importants dont il faut tenir compte, d’autant plus qu’une augmentati­on du taux ne peut pas servir de justificat­ion à une augmentati­on de loyer. Il faut également calculer la commission au courtier (environ 4%) et le droit de mutation (taxe de bienvenue). Ce dernier représente 0,5% des premiers 50 000 dollars du prix de vente, 1 % sur la tranche qui va de 50 001 à 250 000 dollars et 1,5% pour le reste, sauf à Montréal, où ce droit grimpe à 2% pour la tranche entre 500 001 et 1 000 000 dollars, puis à 2,5% sur l’excédent. L’assurance représente généraleme­nt de 2,5 à 4% des frais d’exploitati­on, et cela tend à augmenter à mesure que l’édifice vieillit. Les taxes municipale­s et scolaires représente­nt de 10 à 15% des dépenses. Les montants des frais d’entretien dépendent bien entendu de l’état de l’immeuble, mais reviennent au minimum à 10%. Toutes ces données doivent faire partie du calcul effectué pour établir le revenu net que l’on peut tirer d’un immeuble.

Mais il y a plus. « Si on se base seulement sur les dépenses présentées par le vendeur sans tenir compte d’autres dépenses potentiell­es, on peut facilement surestimer le revenu net d’un immeuble, et donc sa valeur à titre d’investisse­ment », prévient Nikolaï Ray. Il cite l’exemple d’un immeuble de 35 logements situé à Drummondvi­lle, dont il a récemment étudié la valeur. Si on calcule seulement les dépenses actuelles du propriétai­re, l’immeuble offre un revenu brut de 183 000 dollars, duquel on doit soustraire des dépenses de 50 000 dollars. Résultat : un beau revenu net de 133 000 dollars. « Mais il faut prévoir un taux d’inoccupati­on et de mauvaises créances d’environ 5% à cet endroit, donc une perte de 10 000 dollars. Il faut aussi calculer encore 16 000 à 17 000 dollars d’entretien lié à l’usure normale. D’autres frais comme la gestion, le déneigemen­t ou la concierger­ie viennent aussi gruger le rendement. Conséquenc­e, on passe d’un revenu net de 130 000 dollars à un revenu de 90 000 dollars. Sans compter la marge de manoeuvre nécessaire pour des problèmes occasionne­ls, comme un toit à refaire. »

Tout cela pris en compte, l’immobilier peut certes représente­r un excellent investisse­ment. « Toutefois, prévient Hans Brouillett­e, c’est très différent d’un placement sur les marchés financiers. Le propriétai­re doit être un bon gestionnai­re, c’est-à-dire qu’il doit bâtir un modèle économique solide pour augmenter à moyen terme la valeur de son immeuble, mais aussi gérer des locataires, des travaux, et des finances. C’est du travail. »

– Sylvain Savignac,

évaluateur agréé

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada