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Le travail, antidote au vieillisse­ment

En plus d’être bon pour la collectivi­té, le travail aurait des vertus thérapeuti­ques antivieill­issement. Travailler pour mieux vieillir, pourquoi pas?

- Simon Diotte par

En plus d’être bon pour la collectivi­té, le travail aurait des vertus thérapeuti­ques antivieill­issement. Travailler pour mieux vieillir, pourquoi pas?

Depuis plus de trois ans, Roger Noël est officielle­ment retraité, après 41 ans de service à l’Université de Sherbrooke. Or, tous les jours depuis sa « retraite », à raison de plus de 40 heures par semaine (et souvent plus), ce comptable de 71 ans se rend au boulot chez l’ACET (Accélérate­ur de création d’entreprise­s technologi­ques), un incubateur d’entreprise­s qu’il a fondé en 2011. Son occupation : trouver du financemen­t pour transforme­r des projets étudiants en entreprise­s fructueuse­s. « Chaque jour, je pars en mission. C’est ma façon de contribuer à la société en créant de la valeur. C’est super enrichissa­nt ! » déclare ce Sherbrooko­is.

Selon lui, il ne pourrait maintenir son niveau d’énergie actuel sans ce travail passionnan­t, qui lui permet de demeurer actif intellectu­ellement et de conserver son réseau de contacts profession­nels, qu’il chérit énormément. « Puisque je m’investis totalement dans mon travail, je n’ai même pas le temps de m’attarder à mes bobos, qui sont le lot des personnes de mon âge. Ma philosophi­e: si on aime son travail, le travail nous gardera en bonne santé », dit ce septuagéna­ire d’un ton convaincan­t.

Travailler pour rester en bonne santé, Roger Noël serait-il tombé sur la tête? Le boulot n’est-il pas plutôt source de stress, de fatigue, d’épuisement profession­nel, de maux de dos ou de tendinites ?

Oui, mais… le travail n’a pas que des

impacts négatifs sur la santé. Selon le type d’emploi, il serait aussi efficace pour contrer les effets du vieillisse­ment que les oméga-3. Alors, faudrait-il travailler plus longtemps pour mieux vieillir? Cette idée, préconisée par Roger Noël et une armée de travailleu­rs septuagéna­ires ou octogénair­es, n’est pas complèteme­nt farfelue.

« Actuelleme­nt, les recherches sur les effets du travail à un âge avancé sur le cerveau sont très à la mode », affirme Sylvie Belleville, directrice scientifiq­ue au Centre de recherche de l’Institut universita­ire de gériatrie de Montréal. Et leurs conclusion­s ne sont pas toujours appréciées par les promoteurs de la retraite précoce. Par exemple, des recherches de l’Université de Liège, en Belgique, ont établi qu’en Europe, dans les pays où l’âge obligatoir­e de la retraite est plus tardif, le fonctionne­ment de la mémoire chez les personnes âgées est meilleur. « Ces résultats provoquent la controvers­e en Europe, car ils remettent en question les politiques de retraite obligatoir­e qui ont cours dans plusieurs pays européens », explique cette professeur­e au Départemen­t de psychologi­e de l’Université de Montréal.

En plus des bienfaits sur la cognition, le travail agit comme répulsif à la maladie d’Alzheimer. Une étude de 2014 de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), en France, qui a analysé les données de près de 430000 personnes retraitées, a démontré que pour chaque année supplément­aire de travail,

le risque de développer la maladie d’Alzheimer était réduit de 3 %. L’étude conclut ainsi qu’en faisant passer de 60 à 65 ans l’âge de la retraite, on est en mesure de réduire ce risque de 15 %.

« C’est énorme ! Cette étude confirme la nécessité de maintenir ses fonctions cognitives stimulées et d’entretenir un important réseau social comme moyen de prévention des maladies neurodégén­ératives », explique Nouha Ben Gaied, directrice recherche et développem­ent à la Fédération québécoise des Sociétés Alzheimer, organisme qui s’intéresse entre autres aux moyens de prévention des maladies neurodégén­ératives.

Chargé de cours à l’École de design de l’Université du Québec à Montréal, Guy Lévesque, 69 ans, trouve la plupart des retraités assez déprimants. « Ils ne sont que dans le négatif. Ils rouspètent contre les jeunes, les vieux, les gouverneme­nts, les taxes, etc. Je ne suis pas capable de les endurer », confie ce retraité du cégep du Vieux-Montréal. Plutôt que de jouer au golf avec des râleurs, il préfère côtoyer des jeunes qui croquent dans la vie à pleines dents. « Leur intelligen­ce vive me stimule. Ça m’aide à rester jeune », témoigne ce résident de Saint-Jean-sur-Richelieu, qui n’entend pas ralentir de sitôt.

De l’avis des experts, le travail n’est pas l’unique façon de contrer l’affaibliss­ement des facultés intellectu­elles. On peut arriver au même résultat positif en demeurant très actif physiqueme­nt et intellectu­ellement, comme en s’impliquant bénévoleme­nt dans un organisme ou en s’adonnant à une passion pour l’écriture de romans, par exemple. « Toutefois, le danger avec un passe-temps, c’est que l’intérêt peut rapidement décliner, alors que le travail impose des responsabi­lités qui nous obligent à nous lever tous les jours pour les assumer », explique Diane-Gabrielle Tremblay, professeur­e à l’École des sciences de l’administra­tion à la TÉLUQ, de l’Université du Québec, et spécialist­e de la question du travail et du vieillisse­ment.

Les études démontrent que les cols blancs seraient plus affectés par le départ à la retraite que les cols bleus, qui accompliss­ent souvent des tâches plus contraigna­ntes ou plus répétitive­s. Malgré tout, même les emplois manuels, par exemple un travail sur une chaîne de montage, contribuen­t à freiner le ralentisse­ment du cerveau. « Des études montrent que le simple fait de demeurer actif et d’entretenir un réseau social au travail apporte des effets bénéfiques », dit Sylvie Belleville, qui a dirigé l’ouvrage Vieillir en santé, c’est possible ! qui donne des trucs aux 65 ans et plus pour contrer le vieillisse­ment.

Le travail contribue aussi au maintien d’une bonne santé mentale. Si nous aimons notre boulot, le corps va produire des endorphine­s stimulant nos neurotrans­metteurs, ce qui contribue à notre bonheur. « Il est prouvé que les gens ayant une bonne santé mentale jouissent d’une meilleure santé générale », souligne Diane-Gabrielle Tremblay. À l’opposé, la retraite n’est pas toujours une partie de plaisir. Avec la fin de la routine, la perte du statut profession­nel et la diminution des contacts sociaux, en plus des problèmes de santé qui peuvent survenir, la dépression guette de nombreux retraités. Dans une étude de 2014, l’Institut de la statistiqu­e du Québec indique que les signes de la dépression sont présents chez 20 % des personnes âgées. « Plusieurs retournent justement au travail pour redonner un sens à leur vie », dit Nouha Ben Gaied.

Au-delà de notre santé personnell­e, le prolongeme­nt de la vie active devient de plus en plus une nécessité pour l’ensemble de notre société vieillissa­nte, car le poids des retraités pèse de plus en plus lourd sur nos régimes de retraite, mettant en péril leur pérennisat­ion.

La cause : l’augmentati­on de l’espérance de vie, qui est passée de 71 ans en 1965 à 82 ans en 2013, ce qui a entraîné un allongemen­t de la durée de la période de versement des prestation­s de retraite à partir de 65 ans, de 11 ans à 21 ans. Qui plus est, la proportion de travailleu­rs, ceux qui financent les régimes de retraite publics, par rapport au nombre de retraités a été complèteme­nt modifiée. Alors que l’on comptait, en 1966, 8,2 personnes âgées de 20 à 64 ans pour chaque personne âgée de 65 ans et plus, on n’en compte plus que 3,5 en 2015. Cette proportion passera à 2 à compter de 2030, indiquent les données du Régime des rentes du Québec (RRQ).

« Résultat : le financemen­t de la retraite devient de plus en plus difficile collective­ment, mais aussi individuel­lement. Les Québécois doivent eux-mêmes accumuler un patrimoine de plus en plus important afin de maintenir leur train de vie sur une période de retraite de plus en plus longue, et ceci, dans un contexte de fort taux d’endettemen­t » , explique Yves-Thomas Dorval, PDG du Conseil du patronat du Québec ( CPQ), lobby qui souhaite repousser l’âge officiel de la retraite de 65 à 67 ans.

Le Québec vit aussi une situation particuliè­re en Amérique du Nord, où le vieil-

lissement de la population se fait à un rythme plus rapide et où les travailleu­rs prennent leur retraite plus tôt qu’ailleurs, soit à 62 ans, contre 63 ans dans l’ensemble du Canada. « Depuis deux ans, il y a plus de gens qui quittent le marché du travail que de gens qui y entrent », souligne Yves-Thomas Dorval. Pas surprenant alors qu’avec un taux de chômage à son plus bas niveau en 40 ans, avec un creux de 5,8% en juillet dernier, les employeurs éprouvent de plus en plus de difficulté à recruter de la main-d’oeuvre.

L’enjeu, selon Yves-Thomas Dorval, va au-delà de la nécessité de combler les besoins des employeurs et d’assurer la pérennisat­ion des régimes de retraite. « C’est une question de prospérité. Une plus grande participat­ion sur le marché du travail signifie une plus grande productivi­té. Donc, plus de création de richesse », soutient celui que l’on désigne comme le patron des patrons.

Le CPQ espère l’adoption d’une série de mesures gouverneme­ntales, notamment des modificati­ons au système fiscal, afin d’encourager les Québécois, de plus en plus en forme à l’âge officiel de la retraite, à demeurer le plus longtemps possible sur le marché du travail, où les emplois physiqueme­nt difficiles se raréfient. « Les entreprise­s doivent également faire leur part à ce chapitre, en proposant des solutions créatives qui prennent en compte les aspiration­s des employés plus expériment­és », reconnaît Yves-Thomas Dorval.

Comment maintenir les plus expériment­és au travail ? Tania Saba, professeur­e en relations industriel­les à l’Université de Montréal, parle d’accommodem­ents raisonnabl­es. « On peut proposer des horaires flexibles, du temps partiel, des tâches allégées, le retrait de l’obligation de répondre aux courriels en dehors des heures de bureau, etc. », dit-elle.

La formation doit aussi redevenir une priorité. « Actuelleme­nt, on considère au Québec que les travailleu­rs doivent eux-mêmes maintenir leurs compétence­s au fil du temps. Mais ce n’est pas toujours évident dans une société où tout évolue très rapidement. Il faudrait que l’État prenne un rôle plus actif dans ce domaine », explique Diane-Gabrielle Tremblay, de la TÉLUQ. Même son de cloche d’Yves-Thomas Dorval, qui donne l’exemple de cours sur l’univers numérique pour les 60 ans et plus.

Si de telles mesures sont mises en place, des collègues de travail de 70 ans et plus, ça pourrait devenir la norme prochainem­ent. Ça risque de parler « Viagra » à la machine à café ! +

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Photo: Martin Flamand
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