Les règles de l’art
En 2018, un collectionneur débutant peut-il encore s’enrichir en investissant dans l’art? Ce n’est pas l’objectif, mais c’est possible, répondent les experts. Voici comment.
Peut-on s’enrichir en devenant collectionneur d’oeuvres d’art?
Norbert Langlois était encore aux études lorsqu’il a acheté sa première oeuvre d’art, un téléphone cellulaire en bois sculpté du collectif BGL payé 20dollars. Vingt ans plus tard, l’objet vaut 1 200dollars, tandis que ce créateur de théâtre jeunesse et sa conjointe sont propriétaires d’une collection de quelque 150 pièces acquises en dépit d’un budget modeste. Une dizaine d’entre elles valent à elles seules les sommes déboursées pour toutes les autres, dit-il.
L’entrepreneur de 45 ans, copropriétaire de la Galerie 3 de Québec depuis 2015, n’a pas pour autant l’impression d’être assis sur une petite fortune. Revendre une oeuvre? Ça ne lui a jamais effleuré l’esprit. « J’ai souvent acheté des pièces que je n’avais pas les moyens d’acheter, mais je ne l’ai jamais regretté. Ça peut être un investissement, mais l’objectif ne doit pas être uniquement monétaire. C’est une passion. »
Passion ou pas, Norbert Langlois est loin d’être le seul à craquer pour l’art actuel. Depuis 2000, le marché mondial de l’art contemporain – soit les créations d’artistes nés après 1945 – a crû de 1 400 %, indique le plus récent rapport d’Artprice, une firme française spécialisée dans la cotation des oeuvres artistiques. Il présente même l’art contemporain comme le nouvel eldorado des investisseurs, une « oasis dans le désert » que n’ébranlent ni les crises financières ni les rendements négatifs.
Sans se comparer aux mecques de la vente d’art contemporain telles New York, Londres et Hong Kong, Montréal n’échappe pas à la vague. « C’est LA métropole culturelle du Canada, dit Nikolaos Karathanasis, directeur général de l’Association des galeries d’art contemporain ( AGAC). La qualité de l’offre en arts visuels y est phénoménale. »
Il fait d’ailleurs remarquer que la fréquentation de la foire d’art contemporain Papier, qu’organise l’AGAC chaque mois d’avril depuis 2007, enregistrait l’an passé huit fois plus de visiteurs que lors de sa première édition, tandis que le montant des ventes a plus que quintuplé. Tant et si bien qu’à l’échelle du Québec, « le marché évolue lentement mais sûrement », observe le spécialiste.
L’art et l’argent
L’achat d’oeuvres d’art ne se compare à aucune autre forme d’investissement, sauf peut- être à l’immobilier, avance Paul Maréchal, collectionneur des oeuvres d’Andy Warhol, spécialiste du marché de l’art et chargé de cours au département de l’histoire de l’art de l’UQAM. Comme chaque oeuvre est unique, elle commande un prix qui lui est propre, en vertu de plusieurs paramètres « insaisissables pour le
Dans quel contexte l’oeuvre a-t-elle été créée ? Quel est son prix, et pourquoi ? Où l’artiste a-t-il exposé ? Quelle est sa formation ? Quelle est sa démarche, quels projets a-t-il réalisés ? Comment son travail s’inscrit-il dans le contexte de l’art actuel ? plus complexe d’évaluer l’influence qu’il aura sur sa génération ou sur les suivantes. « Comparer est difficile, car chacun a sa propre démarche, poursuit- il. C’est hyper-subjectif. Je conseille d’y aller avec vos préférences. » Enfin, fixez-vous un budget précis et tenez-vous-y, conseille Nikolaos Karathanasis.
Même s’il croit toujours possible d’accéder au marché de l’art contemporain avec un petit budget – à condition d’y investir du temps –, Paul Maréchal remarque une augmentation du nombre de collectionneurs… et de leurs moyens. « L’art contemporain était moins cher il y a 10 ou 15 ans, alors qu’aujourd’hui, les oeuvres d’artistes québécois en milieu de carrière se vendent entre 30 000 dollars et 200 000 dollars. On parle d’une hypothèque, là ! Ça ne donne pas beaucoup de marge de manoeuvre aux collectionneurs débutants qui ont moins de moyens, mais qui voudraient quand même investir. »
D’autant que l’art n’échappe pas aux effets de mode, affirment les experts. Par exemple, il y a une quinzaine d’années, la production de peintres tels Jacques Hurtubise, Rita Letendre ou Jean McEwen était sous-estimée, illustre le chargé de cours et collectionneur. « En revanche, vers la fin des années 2000, des galeries ont présenté leurs oeuvres et, tout à coup, l’intérêt s’est manifesté. »
Enfin, quelle serait l’erreur classique du collectionneur débutant ? Acheter trop rapidement, selon François Rochon. « Acquérir une oeuvre peut parfois prendre six mois ou un an. Avant de déterminer qu’elle se distinguera, il faut comparer avec le travail que l’artiste a fait avant ou avec d’autres qui présentent une production similaire. Dans l’art contemporain, on compose avec le nouveau. On n’a pas de repères, ça peut être déstabilisant. »