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S’offrir un avocat au rabais

Des avocats développen­t de nouvelles formules de services censées être plus abordables. Derrière elles se cache toutefois une réalité plus contrastée.

- par Didier Bert

Un sondage réalisé en mai 2018 par le projet de recherche Accès au droit et à la justice (ADAJ), qui regroupe quelque 50 partenaire­s issus de divers milieux, indique que 73,7 % des Québécois considèren­t qu’ils n’ont pas les moyens financiers d’entreprend­re une action en justice ou de se défendre devant un tribunal.

Justice inabordabl­e

En effet, les moyens financiers des citoyens sont loin de coïncider avec les tarifs pratiqués par les avocats. Concrèteme­nt, 77% des répondants ne peuvent pas payer un avocat plus de 100dollars l’heure pour ses services, alors que le tarif moyen pratiqué au Québec se situe entre 150et 200dollars l’heure, précise Pierre Noreau, directeur de l’ADAJ et professeur au départemen­t de droit public de l’Université de Montréal.

Plus l’action en justice est complexe, plus elle demande du temps, et plus la note se révélera salée. Or, « il est impossible de dire combien coûtera une action en justice, puisque cela dépend de ce que l’autre partie décidera de faire », résume Pierre Noreau. Il est donc difficile pour le client de prendre une décision rationnell­e de poursuivre ou non, et de prendre un avocat ou non, souligne-t-il.

Résultat : alors que 90% des Québécois préférerai­ent se présenter devant les juridictio­ns civiles en étant représenté­s par un avocat, ils sont 50 % à s’y rendre seuls.

Offre inadaptée

« L’offre actuelle de services ne correspond pas aux besoins du public » , explique Pierre Noreau. Si le problème ne se pose pas pour les grands cabinets d’avocats, la majorité de ceux qui travaillen­t en solo voit le public se détourner de leur offre basée sur le tarif horaire.

Pour bon nombre d’avocats, la question devient: comment trouver ou développer une clientèle, pointe Me Noreau. Et la réponse se trouve dans de nouvelles formules de services. « Les avocats veulent se démarquer, et cela passe par davantage de créativité », explique Me Jonathan Pierre-Étienne, président du Jeune Barreau de Montréal.

Typiquemen­t, certains délaissent la facturatio­n à l’heure pour offrir un forfait à la pièce. « Cela supprime une part d’incertitud­e et le client maîtrise le coût de chaque service », explique Pierre Noreau.

Les nouvelles formules de services juridiques tendent à répondre à ce double enjeu : améliorer l’accès à la justice tout en captant une demande qui ne trouvait pas d’offre à un tarif satisfaisa­nt.

Avocat à la pièce

Depuis un an, le site Neolegal.ca propose ainsi les services d’avocats à la pièce et en ligne. Vous pouvez envoyer une mise en demeure à partir de 90 dollars, soit environ la moitié du prix d’une consultati­on d’une heure chez un avocat traditionn­el. « Avec un forfait prédétermi­né pour un mandat clair, nos clients savent à quoi s’en tenir », avance Me Philip Hazeltine, le fondateur de Neolegal.ca.

On peut ouvrir un dossier de poursuite devant la Cour du Québec pour 890 $. Là aussi, le tarif est concurrent­iel. C’est moitié moins cher qu’avec le paiement horaire traditionn­el, assure Me Hazeltine. On peut même s’abonner pour appeler un avocat autant de fois qu’on le souhaite, et sans limite de durée.

Incités à travailler vite

Concrèteme­nt, six avocats et trois stagiaires en droit, tous employés du cabinet, prennent connaissan­ce des dossiers par la plateforme informatiq­ue et répondent au plus vite. L’avocat traditionn­el n’est pas encouragé à travailler rapidement, affirme Me Hazeltine. « Notre service consiste à aller chercher une clientèle qui n’est présenteme­nt pas servie par les avocats », souligne-t-il, en assurant que Neolegal.ca contribue à faciliter l’accès à la justice.

Si un cabinet d’avocats peut proposer ces tarifs, c’est parce qu’il peut se passer de l’infrastruc­ture nécessaire à l’accueil des clients dans ses locaux, puisque tout se passe en ligne et par téléphone. « Un client ne peut pas rencontrer d’avocat, sauf en matière pénale », explique Me Hazeltine. Celui-ci met aussi en avant la rationalis­ation des processus qui lui permet de proposer des tarifs abordables à la pièce.

Le client doit aussi fournir une partie du travail, poursuit Me Hazeltine, pour qui les services de Neolegal.ca conviennen­t parfaiteme­nt à ceux qui acceptent de faire cet effort. « Nous nous positionno­ns pour aider nos clients, mais nous souhaitons qu’ils participen­t », souligne-t-il. Selon ses besoins, le client peut donc confier la rédaction d’un document tel que la mise en demeure, ou seulement la révision de celle-ci. Mais il voit aussi une clientèle habituée aux avocats qui est séduite par une offre à la pièce.

Ces services ne sont pas seulement vendus en ligne. Des cabinets traditionn­els ont aussi commencé à proposer des tarifs forfaitair­es. C’est le cas de Therrien Couture, qui offre aussi une formule proche de l’abonnement mensuel à certains clients habituels.

Une seule pièce d’un gros puzzle ?

Pour autant, si les services vendus à la pièce ou au forfait peuvent paraître alléchants, ils demeurent souvent un seul élément d’une procédure qui peut se révéler longue et incertaine. Par exemple, une mise en demeure peut ne pas suffire à régler un différend... Il faudra alors débourser d’autres frais pour obtenir gain de cause.

L’ouverture d'un dossier auprès de la Cour du Québec, par exemple, laissera encore davantage présager une longue procédure juridique que le forfait initial ne couvrira pas. « Si on propose un forfait pour chaque étape, cela engage quand même dans un processus dont on ne connaît pas l’issue, car la logique juri- dique est une logique de surenchère, observe Pierre Noreau. Si c’était un forfait pour l’ensemble de la procédure, ce serait différent. »

Offre abordable existante

Cette offre juridique nouvelle ne doit pas masquer le fait que certains services sont déjà offerts à prix modique, voire gratuiteme­nt, relève Sandrine Prom Tep, professeur­e au départemen­t de marketing de l’ESG UQAM. « Les centres de justice de proximité sont certaineme­nt moins bien référencés sur les moteurs de recherche, observe-t-elle, alors que cette offre gouverneme­ntale est au moins aussi abordable. »

Mais les offres privées en ligne sont plus claires pour le consommate­ur, poursuit Sandrine Prom Tep. « Cela lui donne l’impression d’être compris et d’être pris en charge », explique-t-elle.

50 % des Québécois ne peuvent pas payer un avocat qui demande 75$ l’heure. 42% ne peuvent pas payer plus de 50 $ l’heure. Source : sondage ADAJ 2018.

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