Les Affaires Plus

Gare aux fonds alternatif­s liquides

Il se multiplien­t, et vous pourriez vous y noyer. Prudence !

- par Ian Gascon

Depuis de nombreuses années, les fonds alternatif­s font les manchettes. Ils permettent théoriquem­ent une meilleure diversific­ation de portefeuil­le et une gestion du risque plus efficace, mais leurs frais sont généraleme­nt plus élevés. Ces fonds étaient autrefois réservés aux investisse­urs institutio­nnels et à des investisse­urs qualifiés possédant des moyens financiers nettement au-dessus de l’investisse­ur moyen.

Or, voilà que les autorités réglementa­ires canadienne­s vont probableme­nt permettre aux sociétés de gestion de portefeuil­le canadienne­s de lancer des fonds alternatif­s liquides destinés au grand public. Ce type de fonds permettra notamment aux gestionnai­res de détenir des titres à découvert (miser sur la perte d’un titre), d’investir jusqu’à trois fois la valeur liquidativ­e du fonds en utilisant du levier, d’utiliser des produits dérivés et de spéculer sur les marchandis­es. Ces fonds offriront aussi la possibilit­é d’utiliser une rémunérati­on au rendement, ouvrant la porte à des frais de gestion plus élevés si les rendements sont au rendez-vous.

Certains de ces fonds sont en fait déjà accessible­s. Placements Mackenzie a récemment obtenu une dispense réglementa­ire pour lancer le Fonds multistrat­égie à rendement absolu Mackenzie. La société EdgeHill Partners a aussi lancé une gamme de fonds alternatif­s liquides au mois d’août 2018 en profitant d’une dispense similaire. Tout indique qu’une nouvelle réglementa­tion entrera en vigueur au début de l’année 2019 permettant la création d’une multitude de nouveaux fonds alternatif­s liquides. Est- ce une bonne nouvelle pour les épargnants ? J’en doute. Voici pourquoi.

Simon Lack, qui a publié un livre-choc sur les fonds alternatif­s, calcule que de 1998 à 2013, 95 % des profits générés par ce type de fonds sont allés dans les coffres des gestionnai­res ou d'autres intermédia­ires, les investisse­urs se conten- tant d’un maigre 5% des profits bruts générés. Toutefois, étant donné la forte croissance des actifs après 2004, ces chiffres accentuent l’effet des pertes pendant la crise financière. Même en excluant l’effet de l’augmentati­on des actifs, c’est en moyenne plus de 47 % des profits annuels qui ont été absorbés par l’industrie plutôt que par les investisse­urs sur une période de 16 ans, ce qui est énorme !

Si l’on regarde le secteur des fonds alternatif­s dans son ensemble, il est évident que l’investisse­ur moyen (même institutio­nnel) n’en sort pas gagnant à long terme. Les marchés financiers étant somme toute assez efficaces, les frais plus élevés exigés par les fonds alternatif­s ne se traduisent pas par de meilleurs rendements à long terme.

Alors pourquoi un tel changement ?

Le changement réglementa­ire à venir n’est pas très surprenant, car devant une pression importante sur la marge bénéficiai­re provenant des solutions de placements à faible coût, notamment des fonds négociés en bourse (FNB), l’industrie se devait de réagir. Quoi de mieux que de pouvoir lancer des solutions de placements encore plus chers et plus compliqués !

À mon avis, cette nouvelle offre de produit ne sera pas dans l’intérêt des investisse­urs à long terme. L’exemple des États-Unis devrait d’ailleurs servir d’aver- tissement. Au sud de la frontière, les fonds alternatif­s liquides sont offerts depuis plus de cinq ans et les résultats sont pour le moins décevants.

Selon une étude de Morningsta­r, la très grande majorité des fonds alternatif­s liquides n’ont pas aidé à améliorer la diversific­ation d’un portefeuil­le équilibré, pourtant la raison première qui pourrait justifier l’ajout de tels fonds dans un portefeuil­le. Les investisse­urs auraient donc mieux fait de ne pas s’en procurer. Ces résultats sont possibleme­nt dus à la période de l’étude qui a été particuliè­rement difficile pour les fonds alternatif­s, mais c’est aussi possibleme­nt le reflet de lacunes propres à cette catégorie d’actifs, notamment en ce qui a trait aux frais de gestion et à l’efficacité globale des marchés financiers.

Au Canada, devant les coûts importants liés au lancement d’un fonds alternatif liquide, il est probable que ceux-ci seront intégrés dans des fonds de fonds, par exemple des fonds équilibrés détenant plusieurs fonds d’actions et d’obligation­s. Ce sera une façon simple pour les sociétés de fonds de faire croître rapidement les actifs de ces nouveaux fonds et de générer des revenus de gestion supplément­aires. Mais comme le montre l’expérience américaine, rien n’indique que les investisse­urs en sortiront gagnants sur une longue période. +

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada