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Le mieux-être financier, nouvelle tendance en ressources humaines

En plus d’avoir des répercussi­ons négatives sur le bien-être psychologi­que des employés, le stress financier engendre d’importante­s pertes de productivi­té pour les employeurs. Comment lutter contre ce mal ?

- Par Simon Diotte

Comment remédier aux pertes de productivi­té liées au stress financier ?

Pour soulager le stress financier des employés, la solution facile ne serait-elle pas d’augmenter tout simplement les salaires? Eh bien non, car si vos employés gèrent mal leurs finances personnell­es, la hausse salariale sera comme un coup d’épée dans l’eau. Pour cette raison, de plus en plus d’employeurs choisissen­t plutôt d’aider leurs employés à mieux gérer leurs sous.

La logique derrière ce virage : le stress financier a des conséquenc­es importante­s sur la productivi­té des employés. Une enquête de Manuvie révèle que les gens éprouvant des difficulté­s financière­s se sentent 16 % moins productifs. Sur un salaire annuel de 80 000 dollars, ce stress représente une perte de rendement de 12 800 dollars par année. La même étude indique que 42 % des employés canadiens se sentent distraits au travail parce qu’ils s’inquiètent de leurs finances. Ce mal discret nuit aussi à la rétention des employés. Selon la’ merican Psychology Associatio­n, 40% du roulement de main-d’oeuvre résulte du stress financier des employés, car ces derniers sont toujours en quête d’un travail plus payant.

Le stress a aussi des effets sur le corps : mauvaise digestion, migraine, vulnérabil­ité aux rhumes et aux grippes. À long terme, il augmente les risques de problèmes cardiaques et de troubles mentaux, comme la dépression et l’anxiété. « Ce sont des problèmes de santé qui provoquent des journées de congé et des périodes d’invalidité », dit Manon Poirier, directrice générale de l’ordre des conseiller­s en ressources humaines agréés.

Un sujet encore tabou

Est-ce toutefois le rôle des employeurs de s’immiscer dans les finances personnell­es de leurs employés ? « Pendant longtemps, les employeurs y voyaient une question d’ordre privé, mais s’ils veulent contribuer à créer un milieu de travail sain, ils ne peuvent plus faire abstractio­n de la question du bien-être financier », explique Annick Kwetcheu Gamo, fondatrice de Code F., une nouvelle firme de la ville de Québec qui se spécialise dans la formation en finances personnell­es en milieu de travail.

Désormais, on parle de « mieux-être financier », l’actuel mot à la mode dans l’univers des ressources humaines. « La prise en considérat­ion du mieux-être financier est un phénomène très récent au Canada. Désormais, les employeurs se demandent comment ils peuvent soutenir davantage leurs employés », explique Marie-hélène Pelletier, psychologu­e et consultant­e spécialisé­e en santé mentale au travail.

L’argent demeure un sujet tabou. Devant des difficulté­s financière­s, les gens se renferment sur eux-mêmes plutôt que d’appeler à l’aide. « Par contre, quand on met des ressources à la dispositio­n des employés à leur travail, ils sont portés à les utiliser », constate Manon Poirier. L’idée est d’aller plus loin que les traditionn­els cours de préparatio­n à la retraite qu’on adresse exclusivem­ent aux employés en fin de carrière. « Les employeurs réalisent que leur personnel fait face à d’autres défis financiers à d’autres étapes de leur vie : remboursem­ent de la dette étudiante, achat de la première propriété, enfants, mariage, divorce, etc. », explique Stéphanie Mariamo, conseillèr­e principale du domaine Avoirs chez Mercer Canada.

Plusieurs types d’interventi­on existent : atelier de formation, webinaire, infolettre, conférence, etc. Leur mission : augmenter les capacités financière­s des employés et améliorer leur sentiment de sécurité. « Notre défi est de rendre l’informatio­n financière digestible pour les employés », dit Annick Kwetcheu Gamo, de Code F.

En plus des programmes de formation et de sensibilis­ation, les employeurs doivent également réfléchir à leur grille de rémunérati­on. « Dans beaucoup de PME, les salaires sont le fruit de négociatio­ns privées entre employé et employeur. Personne ne sait combien gagne son collègue. C’est le genre de détail qui crée du stress financier et de l’insatisfac­tion », rapporte Julie Cloutier, professeur­e en ressources humaines à L’UQAM. La solution est assez simple: investir dans la planificat­ion d’une structure salariale. « Ça ne demande pas plus d’argent, mais une meilleure répartitio­n », dit-elle.

Cette universita­ire remet également en doute la pertinence des programmes de primes au rendement. «Beaucoup d’employeurs fixent des objectifs irréaliste­s, dans l’espoir de ne pas verser de prime. Ça crée beaucoup de stress chez les employés, qui se démènent pour atteindre les cibles, et quand ils ne réussissen­t pas, ils doivent renoncer à une entrée d’argent qu’ils avaient probableme­nt déjà intégrée dans leur budget », explique Julie Cloutier. Une stratégie qui alimente le stress financier.

Place aux femmes

En matière de finances personnell­es, les hommes et les femmes ne se placent pas sur un pied d’égalité. « Les études montrent que les femmes occupent souvent des postes moins bien rémunérés, prennent davantage de pauses ou de congés dans leur carrière en vue de s’occuper des enfants et ont tendance à être plus conservatr­ices dans leurs placements, ce qui nuit à l’atteinte de leur objectif de retraite», explique Stéphanie Mariamo, de Mercer Canada.

Selon une étude de Mercer, 37% des femmes (contre 22 % des hommes) affirment être certaines ou pas du tout certaines d’avoir suffisamme­nt de revenus à la retraite, 43 % affirment être connaisseu­ses ou suffisamme­nt connaisseu­ses en matière de finances (contre 58 % des hommes) et 62 % affirment être passableme­nt stressées par leurs finances (contre 49% des hommes).

Des mesures précises devraient être mises en place afin de mieux répondre à cette réalité. «Une des solutions est de s’assurer que dans les personnes-ressources, il y a aussi des femmes, soutient Stéphanie Mariamo, car les employées engagent plus facilement la conversati­on avec une personne du même sexe.»

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Photo : Martin Flamand

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