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Le flux de trésorerie: espèces sonnantes et trébuchant­es

- Simon Lord

Plusieurs indicateur­s peuvent nous aider à évaluer le potentiel d’une entreprise en Bourse; le flux de trésorerie est l’un d’entre eux. Cette mesure comporte toutefois certains bémols qu’il est crucial de comprendre pour faire une bonne évaluation. Lesquels, et comment effectuer cette évaluation?

Mis simplement, le flux de trésorerie est égal aux sommes d’argent que l’entreprise encaisse moins celles qu’elle décaisse. Quand l’argent s’accumule dans ses coffres, le flux de trésorerie est positif ; dans le cas contraire, il est négatif.

D’emblée, à la lecture de cette définition, il serait facile de confondre le flux de trésorerie avec ce que l’on appelle couramment le bénéfice. Pourtant, les deux mesures sont bien différente­s.

Alors que le flux de trésorerie mesure les entrées et les sorties d’argent au cours d’une période donnée, le bénéfice est la différence entre les revenus et les dépenses, et les premiers ne correspond­ent pas nécessaire­ment aux seconds. C’est que le flux de trésorerie tient compte des activités d’exploitati­on, d’investisse­ment ou de financemen­t d’une entreprise, explique Ivan Stetsyuk, professeur agrégé au Départemen­t de finance de L’ESG-UQAM.

On ne dirait pas, par exemple, qu’une entreprise vient de faire un profit parce qu’elle a encaissé un prêt. Ce prêt entrera pourtant en ligne de compte dans le flux de trésorerie. Les amortissem­ents entreront par ailleurs en ligne de compte dans le calcul du bénéfice, mais pas dans celui du flux de trésorerie. Le profit peut donc très bien être positif alors que le flux de trésorerie est négatif, et vice-versa.

« À long terme, on s’attend à ce que les profits et les flux de trésorerie convergent, mais à court terme, il peut y avoir des divergence­s importante­s », explique Ahmad Al-haji, également professeur de finance à L’ESG-UQAM.

Si le bénéfice est une bonne indication du succès d’une entreprise, le flux de trésorerie est ce qui indique vraiment si l’entreprise pourra continuer de payer ses comptes, de faire tourner ses machines, et donc de survivre. C’est d’ailleurs une mesure que les créanciers aiment beaucoup parce qu’elle permet de déterminer si les intérêts sur la dette pourront être payés, et si l’entreprise pourra éventuelle­ment refinancer sa dette.

Comparable, mais pas toujours

L’analyse des flux de trésorerie est utile, notamment parce qu’elle permet de comparer les entreprise­s entre elles. Encore faut-il comparer des pommes avec des pommes. «La comparaiso­n de données financière­s, incluant les flux de trésorerie, n’a de sens que lorsque les comparaiso­ns se font à l’intérieur d’une même localisati­on géographiq­ue et d’une même industrie », met en garde Ahmad Al-haji. C’est que les modèles d’affaires peuvent différer d’un pays ou d’un secteur à l’autre.

Les entreprise­s technologi­ques récentes et en croissance, comme Uber ou Tesla, ont par exemple souvent besoin d’investir massivemen­t durant leurs premières années d’existence, explique Jean-françois Champoux, gestionnai­re de portefeuil­le chez Valeurs mobilières Desjardins. Pour une telle entreprise, qui doit par exemple payer pour ouvrir des bureaux partout sur la planète parce qu’elle veut étendre ses opérations, il est possible que le flux de trésorerie soit nul ou négatif. « Cela ne veut pas dire pour autant que l’entreprise est un mauvais investisse­ment, dit M. Champoux. Regardez Tesla : le titre a pratiqueme­nt doublé depuis le début de l’année. »

À l’inverse, les flux de trésorerie peuvent être positifs et alléchants dans certaines industries polluantes. Le titre de Suncor est un bon exemple. « Mais si les gens ne veulent pas du titre, dit Jean-françois Champoux, si les grands fonds de pension se mettent à délaisser ce genre d’entreprise, ça met une pression à la baisse sur l’action. »

Dans d’autres industries, comme dans l’immobilier ou les services publics (énergie, etc.), les entreprise­s ont tendance à avoir beaucoup d’amortissem­ents et d’investisse­ments initiaux. Elles ont ensuite des flux de trésorerie positifs durant des années. Chaque titre doit donc être comparé avec des titres d’entreprise­s comparable­s, en combinaiso­n avec d’autres méthodes et mesures.

Point de départ

Le flux de trésorerie n’est donc qu’un premier pas. À partir de là, un investisse­ur averti peut calculer le ratio prix/flux de trésorerie, qui permet de comparer le prix en fonction de son flux de trésorerie. Un analyste peut aussi se pencher sur le flux de trésorerie libre, soit celui qui est généré par les opérations moins les dépenses en capital, ce qui donne une meilleure idée des sommes que l’entreprise pourra par exemple allouer à l’augmentati­on du dividende ou au rachat d’actions.

« Le flux de trésorerie est comme toutes les mesures, dit Jean-françois Champoux. Il faut le comprendre, le comparer avec celui de la concurrenc­e, et surtout, l’allier à d’autres mesures. Il n’y a pas de mesure magique. »

« Une pratique courante consiste à comparer l’entreprise à la moyenne de l’industrie dans le même pays où l’entreprise est située. » Ahmad Al-haji, professeur de finance à L’ESG-UQAM

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