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J. Sebastian van Berkom

À 73 ans, après une carrière encore inachevée d’un demi-siècle en finance, J. Sebastian van Berkom se dit d’abord psychologu­e en dépit de sa carte profession­nelle qui le désigne toujours comme président et chef de la direction de Van Berkom et associés. P

- Martin Flamand

Beaucoup d’investisse­urs ont pour objectif profession­nel l’ambition de réussir à centupler leur mise. L’exploit est si notable qu’il porte un nom, le hundred-bagger. Pour mettre les choses en perspectiv­e, le célèbre investisse­ur Peter Lynch considérai­t un ten-bagger – décupler sa mise – comme un marqueur de succès. Et pour la plupart des investisse­urs, le rêve ne restera qu’un rêve. Pas pour J. Sebastian van Berkom. « En 1993, j’ai acheté des titres d’alimentati­on Couche-tard à 14 cents par action, dit-il. Aujourd’hui, l’entreprise s’échange à 44 $ par action. J’ai fait plus de 300 fois mon argent.» De son propre aveu, c’est là un de ses meilleurs coups. C’était aussi la réalisatio­n d’un rêve: faire plus de 100 fois son argent au moins une fois dans sa carrière. Et juste pour être sûr qu’il ne s’agissait pas que d’un simple coup de chance, il l’a réalisé une seconde fois.

«Un peu plus tard, en 1996, j’ai acheté des actions de JDS Uniphase pour mes clients. Dans une période de quatre ans, j’ai fait 100 fois mon argent », raconte-t-il. C’était l’époque de l’explosion de la demande téléphoniq­ue et aussi de l’internet, et l’entreprise se spécialisa­it dans l’équipement pour réseaux optiques. Elle connaissai­t une croissance de 20% à 30% par trimestre et, pendant plusieurs années, a même continué de croître à un taux annuel de plus de 100%. «Le stock a explosé », dit d’un léger accent hollandais J. Sebastian van Berkom, qui est arrivé au Québec à six ans, dans les années 1950, après que sa famille eut quitté la Hollande à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Il a fini par vendre les titres quelques années plus tard, sur une période de 18 mois, à des prix entre 50 $ et 200 $ par action. Le titre devenait selon lui surévalué.

Il avait investi au départ environ 14 M$.

Recette secrète

J. Sebastian van Berkom entreprend sa carrière en gestion de placement en 1971. Il travaille alors chez Bell Canada, au service des caisses de retraite. C’est l’époque des Nifty Fifty, un terme qui désigne la cinquantai­ne de grandes capitalisa­tions boursières américaine­s qui étaient considérée­s comme de bons investisse­ments à long terme dans les années 1960 et au début des années 1970. Les analystes étaient tombés amoureux de ces entreprise­s, dont les titres se vendaient à 50 fois les bénéfices, se souvient J. Sebastian van Berkom. «Moi, je déteste perdre de l’argent, et c’était impossible d’en faire [avec leurs actions] », dit-il.

Il a donc développé sa démarche. Toujours chez Bell, il s’est mis à étudier les entreprise­s à petite capitalisa­tion – mais surtout, à les visiter. Il dit avoir ainsi passé les années suivantes à rencontrer l’équipe de gestion et les chefs de la direction d’une foule de petites entreprise­s canadienne­s cotées en Bourse. «Plus je faisais ça, plus je réalisais que c’était vraiment comme ça que je pouvais comprendre une entreprise et son plan d’affaires. Assis face à l’entreprene­ur qui avait bâti l’entreprise, je pouvais comprendre sa vision», raconte-t-il. Il trouve ainsi la «sauce secrète» de la stratégie d’investisse­ment qu’a suivi Van Berkom et associés depuis sa fondation. «Aujourd’hui, je reste convaincu que c’est vraiment là où se passe l’action en Bourse», dit J. Sebastian van Berkom. Une conviction qui n’est pas basée que sur l’intuition: depuis 29 ans, sa firme d’investisse­ment a surperform­é les marchés américains et canadiens de 6%, en rendement annuel composé.

Investisse­ur psychologu­e

Van Berkom et associés gère 7 milliards de dollars, mais ne détient que de 40 à 50 titres par portefeuil­le. Sa stratégie implique de 150 à 200 réunions individuel­les par année avec les dirigeants des entreprise­s dans lesquelles elle investit. J. Sebastian van

Berkom est aujourd’hui moins intensémen­t impliqué dans son entreprise qu’auparavant, mais sa démarche l’a suivi depuis ses débuts. « Plus jeune, j’étais très analytique, dit-il. J’étais même… comment dire: gêné.» Après avoir cofondé Placements Montrusco Bolton en 1984, notamment, il dit avoir été obligé à commencer à offrir du service à la clientèle, à réaliser des embauches, à donner des présentati­ons à des comités d’investisse­ments et à de gros clients, et à tenter d’en attirer de nouveaux. « Je ne l’avais pas encore », avoue-t-il. À force de présentati­ons et d’expérience­s, ses aptitudes et son approche se sont raffinées. «Aujourd’hui, je suis devenu un psychologu­e plutôt qu’un analyste, dit-il. Je suis capable de distinguer un entreprene­ur exceptionn­el d’un autre qui ne l’est pas. Et ça, peu des gens y arrivent. »

J. Sebastian van Berkom dit analyser rigoureuse­ment les entreprene­urs. Tout y passe, du langage corporel à la capacité de verbaliser et d’expliquer son plan d’affaires. Il interroge aussi les fournisseu­rs, clients et compétiteu­rs de l’entreprise pour confirmer ou infirmer ses intuitions et impression­s. «C’est la meilleure façon de détecter les aspects négatifs. C’est important de le faire, parce qu’un entreprene­ur pourrait bien être – pardonnez-moi l’expression – un bullshitte­r. J’en ai vu à la tonne. » Dans le cas de Couche-tard, par exemple, J. Sebastian van Berkom dit avoir vu dès le départ quelque chose de solide chez Alain Bouchard. « J’ai toujours cru en son plan d’affaires, et il a toujours livré la marchandis­e. Encore aujourd’hui, je reste actionnair­e parce que je pense qu’alimentati­on Couche-tard va doubler ses affaires d’ici cinq ans. »

Rendre à César

Questionné quant à ce qu’il aurait aimé savoir plus tôt dans sa carrière, J. Sebastian van Berkom réfléchit. « Je pense que toutes les choses que j’ai faites, c’était de très, très bonnes manoeuvres. J’ai été analyste avant d’apprendre à gérer une entreprise, avec Montrusco, pour finalement lancer mon entreprise, et chaque étape était importante. »

Il tient toutefois à remercier ses mentors, Stuart Spalding et Stephen Jarislowsk­y, qu’il a rencontrés durant ses années chez Bell. « Stephen Jarislowsk­y passait énormément de son temps à visiter directemen­t les entreprene­urs, dit-il. C’est lui qui m’a montré l’importance de le faire. » Pas que leur relation ait toujours été des plus reposantes : Stephen Jarislowsk­y était alors chargé de surveiller les investisse­ments que réalisait la caisse de retraite de Bell… dont ceux de J. Sebastian van Berkom. « Je suis Hollandais, je suis têtu, et Steve est un gars excessivem­ent discipliné, alors ça faisait parfois des flammèches. Comme je devais le convaincre et obtenir son accord chaque fois que je voulais faire un investisse­ment, je devais faire mes recherches. »

Aujourd’hui âgé de 94 ans, Stephen Jarislowsk­y se souvient toujours de ses premières rencontres avec Sebastian. « Il apprenait vite », dit-il. Il n’aurait toutefois pas tendance à le qualifier de têtu. « Quand on s’y connaît, qu’on exprime nos connaissan­ces et qu’on est convaincu, ce n’est pas être têtu. Être têtu, c’est être émotionnel et ne plus écouter personne. Sebastian était un garçon ambitieux qui a bien travaillé. C’est pour ça qu’il a connu un succès fou avec ses entreprise­s.»

L’avenir seul pourra dire si J. Sebastian van Berkom continuera d’être actif aussi longtemps que son mentor, mais pour l’instant, même s’il a délégué la gestion des portefeuil­les à son équipe, rien ne lui donne envie d’arrêter complèteme­nt.

Il aimerait maintenant d’ici dix ans lancer un produit mondial qui viendrait s’ajouter aux quatre produits qu’offre déjà son entreprise. S’il reconnaît qu’il s’agit là d’un projet d’une « assez grande ampleur », J. Sebastian van Berkom ne compte pas rebrousser chemin. « C’est mon objectif à long terme. Tous mes collègues et mes partenaire­s le savent, dit-il en riant. Je vais mourir derrière mon bureau!»

«Aujourd’hui, je suis capable de distinguer un entreprene­ur exceptionn­el d’un autre qui ne l’est pas. »

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