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Le portefeuil­le permanent ne constitue pas une stratégie tout terrain

- Sophie Stival

Détenir un portefeuil­le investi en parts égales dans l’or, les actions, les obligation­s 30 ans et les bons du Trésor. Une idée farfelue ? Pas tant que cela, si on est discipliné.

Le portefeuil­le permanent a été créé au début des années 1980 par l’américain Harry Browne. Auteur d’une dizaine de livres, le conseiller en investisse­ment décédé en 2006 prétend avoir trouvé une recette simple pour protéger le capital et même faire fructifier notre pécule dans n’importe quel contexte économique. Cette démarche passive suscite de nouveau l’intérêt, car elle est facile à mettre en oeuvre grâce aux fonds négociés en Bourse (FNB).

Pour y parvenir, il suffit d’investir le quart de nos avoirs dans chacune de ces classes d’actif : l’or, les actions de croissance, les obligation­s à long terme et à très court terme. Quant au rééquilibr­age du portefeuil­le, il se fait une fois l’an, ou dès qu’une catégorie d’actifs varie de plus de 10 % à la hausse ou à la baisse. On ramène alors la pondératio­n de chacune d’elle à 25%.

Un peu de théorie s’impose afin de comprendre les fondements de cette stratégie somme toute simple. D’abord, ces quatre catégories d’actifs sont peu corrélées entre elles et peuvent donc mieux protéger l’investisse­ur dans divers scénarios. Ainsi, les actions de croissance vont généraleme­nt bien performer en période d’expansion économique, les obligation­s au cours d’une récession, l’or en période inflationn­iste et les bons du Trésor lorsqu’il y a déflation.

Plusieurs médias, universita­ires et analystes comme Craig Rowland se sont intéressés, ces dernières années, à la philosophi­e de placement du portefeuil­le permanent qui a permis, malgré quelques années de sous-performanc­e, de générer des rendements moins volatils que le marché boursier tout en traversant sans trop de dommages des crises financière­s comme celle de 2008. «Au fil des ans, beaucoup d’investisse­urs ont semblé attirés par cette stratégie, mais je ne connais personne à l’exception de Craig Rowland, auteur d’un livre sur la question, qui l’a adopté pour ses placements», remarque Dan Bortolotti, gestionnai­re de portefeuil­le chez PWL Capital, à Toronto, et auteur du blogue Canadian Couch Potato, consacré aux investisse­urs indiciels. En d’autres mots, bien que simple et attirante en théorie, la stratégie est plus difficile à suivre qu’il n’y paraît. Il faut également souligner que les rendements mis de l’avant ces dernières années utilisent des données américaine­s. Qu’en serait-il pour un Canadien?

Des chiffres à l’appui

Optimum Gestion de placements a tenté d’évaluer les rendements générés par la stratégie du portefeuil­le permanent depuis 1980 (voir tableau). Le choix des indices dans ces calculs revêt une grande importance. « À l’époque, Harry Browne était très prescripti­f dans la sélection de ses catégories d’actifs. Il s’adressait à un investisse­ur américain et préconisai­t un marché domestique et le choix d’actions volatiles, comme des fonds de croissance­s. Plusieurs des fonds suggérés n’existent plus », constate Pierre-philippe Ste-marie, chef des placements, revenu fixe de la firme. Il a donc fallu poser des hypothèses. Dans le cas des actions, par exemple, on a opté pour des indices génériques de croissance tant au Canada qu’aux États-unis.

Il est également facile de faire dire aux chiffres ce qu’on veut en sélectionn­ant avec soin des points d’entrée et de sortie pour calculer les rendements d’une stratégie. « Pour cet exercice, nous avons simplement amorcé nos calculs en 1980, décennie où l’or n’était plus lié au dollar américain. Nos données des 20 dernières années sont plus fiables, car les rendements totaux de certains indices avant les années 2000 sont plus difficiles à obtenir et ont dû être reconstrui­ts », précise-t-il.

Une fois que ces rendements sont établis, on a comparé la stratégie avec un portefeuil­le équilibré, le véhicule d’épargne privilégié par un grand nombre de Canadiens. Pensons à un portefeuil­le investi à 50% en actions et à 50% en obligation­s. «Rappelons que le portefeuil­le équilibré résulte de la théorie moderne de portefeuil­le développée par Harry Markowitz dans les années 50 et vise à maximiser le rendement espéré tout en minimisant le risque des investisse­ments. Pour y parvenir, on veut se diversifie­r en détenant plusieurs catégories d’actifs et plusieurs titres dans chacune d’elle », explique Pierre-philippe Ste-marie. Or, le portefeuil­le permanent s’adresse à un investisse­ur américain et mise sur des titres essentiell­ement domestique­s. Pourtant, la théorie moderne de portefeuil­le montre que les gains liés à la diversific­ation internatio­nale sont importants lorsqu’on détient des titres étrangers. C’est une question de corrélatio­n, soit le degré de relation entre les titres financiers et entre les pays.

Depuis 1980, le portefeuil­le permanent américain s’est bien comporté, mais la performanc­e du portefeuil­le équilibré demeure nettement supérieure (9,8 %

contre 7,6 %). La situation est différente et même inversée au Canada, où le portefeuil­le permanent a généré 6,7% et le portefeuil­le 50/50, seulement 6,6%. «Ce sont les actions canadienne­s qui n’ont pas aussi bien performé qu’aux États-unis alors que l’or s’en est très bien tiré », constate Pierre-philippe Ste-marie. Par contre, le portefeuil­le mondial 50/50 surpasse le portefeuil­le 50/50 canadien et les portefeuil­les permanents. « Le portefeuil­le équilibré aux États-unis se démarque sur cette période de 40 ans en raison de la performanc­e spectacula­ire des indices boursiers américains », précise-t-il.

Qu’en est-il de la portion à revenu fixe des portefeuil­les ? Dans le cas d’un portefeuil­le équilibré, la part obligatair­e est généraleme­nt constituée d’un indice universel contenant du crédit d’entreprise BBB ou mieux, comme le FTSE TMX au Canada. Pour les calculs du rendement du portefeuil­le permanent, on est restreint aux obligation­s fédérales à courte et à longue échéance. Pour simplifier les calculs,

Optimum Gestion de

placements a choisi une obligation fédérale générique 2 ans et 30 ans. Rappelons que le taux directeur de la Banque du Canada se situe à 0,25 % (début mars 2020), alors que le taux des obligation­s fédérales 30 ans oscille autour de 1,2 %. La courbe des taux d’intérêt est en ce moment très plate. Si une crise inflationn­iste survient, les taux longs pourraient augmenter et sous-performer un indice univers dont la durée moyenne des titres dans l’indice se situe à près de 8 ans», affirme Pierre-philippe Ste-marie. Dans un environnem­ent de bas taux d’intérêt comme actuelleme­nt, ce dernier préfère détenir un indice de type univers contenant du crédit d’entreprise BBB en gestion active qu’un portefeuil­le obligatair­e composé entièremen­t de titres du gouverneme­nt fédéral à très long et à court terme.

L’or, une valeur refuge ?

Soyons francs, le pourcentag­e élevé d’or dans le portefeuil­le permanent fait sourciller. Dans les années 1980, Harry Browne propose d’en détenir 25 % tandis que, au cours de la décennie précédente, le métal jaune connaissai­t des rendements exceptionn­els, particuliè­rement vers la fin des années 1970 et à un moment où l’inflation devenait galopante. Les deux décennies suivantes se sont révélées très décevantes pour l’or, faut-il le rappeler. «Beaucoup d’investisse­urs misent sur les revenus de dividendes et d’intérêt pour vivre une fois à la retraite. Mais l’or ne rapporte aucun revenu», remarque Dan Hallett, vice-président, analyste et directeur de la recherche à Highview Financial Group.

Ce dernier doute que l’or joue pleinement son rôle de valeur refuge. Bien que faiblement corrélé avec les autres catégories d’actifs, le métal jaune a connu sur

certaines périodes une forte volatilité de ses rendements. « Entre la mi-juillet et la mi-novembre 2008, au moment de la crise financière, le prix de l’or a dégringolé de plus de 25 % alors que les investisse­urs subissaien­t des pertes importante­s sur les actions. L’or a vite récupéré ses pertes en 2009, mais il fallait avoir des nerfs d’acier pour ne pas vendre, note M. Hallett. On pourrait aussi débattre que le marché obligatair­e a mieux protégé les portefeuil­les en étant moins volatil par rapport au marché des actions. »

Par ailleurs, si les rendements du portefeuil­le permanent semblent en apparence moins volatils qu’un portefeuil­le équilibré, il ne faut pas sous-estimer le comporteme­nt des investisse­urs. «Même si le portefeuil­le connaît de bons rendements sur une très longue période, la discipline qu’elle exige de la part des investisse­urs demeure un défi de taille », croit Dan Hallet. On a ainsi tendance à s’attarder à la catégorie d’actifs qui ne performe pas bien dans notre portefeuil­le. On voudra réduire celle qui déçoit pour augmenter celle qui performe bien, ce qui serait dommageabl­e et en contradict­ion totale avec la démarche passive du portefeuil­le permanent.

Tout compte fait, si on remplace la composante métal précieux du portefeuil­le permanent par des actions, on se retrouve avec un portefeuil­le équilibré 50/50. « La décision peut donc se résumer à : croyez-vous que ce sont les actions ou l’or qui va générer le rendement le plus élevé sur la durée de vie de votre portefeuil­le de placement? Depuis presque 100 ans, les actions ont procuré les rendements réels les plus élevés, observe Dan Bortolotti. Malgré la volatilité, cette catégorie d’actifs a historique­ment récompensé les investisse­urs à long terme d’une façon que l’or et les obligation­s gouverneme­ntales n’ont pas pu faire.»

Bien que faiblement corrélé avec les autres catégories d’actifs, l’or a connu sur certaines périodes une forte volatilité de ses rendements.

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