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Comment évaluer sa tolérance au risque ?

- Didier Bert

Ne pas surestimer sa tolérance quand les marchés financiers se portent bien… et où se montrer trop impatient quand ça va mal.

En matière de placements financiers, chaque investisse­ur devrait connaître sa capacité à assumer du risque. Cependant, chacun a tendance à surestimer sa tolérance quand les marchés financiers se portent bien… et à se montrer trop impatient quand ça va mal.

Au fil du temps, la longue durée du marché haussier de 2009-2020 a fait oublier à certains investisse­urs la notion de risque. En quelques jours, les nouvelles au sujet de la COVID-19 ont plongé les marchés dans la peur. Les réactions ont varié d’une personne à l’autre. Certains ont tout vendu, d’autres, au contraire, ont profité de la baisse pour faire des achats. Comme

quoi, la tolérance au risque varie d’une personne à l’autre.

On peut tout de même trouver une définition universell­e du risque à la Bourse. Le risque, c’est perdre de l’argent qu’on n’aura pas la possibilit­é de récupérer ; c’est pour cela qu’on devrait parler d’intoléranc­e aux pertes, résume Denis Preston, planificat­eur financier et chargé de cours à HEC Montréal. « La tolérance au risque d’un investisse­ur est sa capacité à absorber une forte baisse sur son horizon de placement, précise-t-il. Quelle perte puis-je assumer quand ça baisse alors que ça va remonter ? » L’intoléranc­e aux pertes peut se résumer à cette question : « Dormirez-vous aussi bien si la valeur de vos actifs baissait de 40 % ? »

Un retraité qui compte sur ses investisse­ments pour alimenter son train de vie pourrait avoir une tolérance au risque bien inférieure à un jeune profession­nel en début de carrière. Ce dernier aura le temps de voir la valeur de son portefeuil­le remonter avant d’avoir à puiser dans son épargne. Pour le retraité, une perte en capital peut devenir une catastroph­e qui l’empêcherai­t de financer ses dépenses quotidienn­es.

Pour chacun de ces deux investisse­urs, c’est l’horizon de placement qui détermine leur capacité à composer avec le risque. Si le jeune investisse­ur projetait d’acheter un logement avec ses placements six mois plus tard, son horizon de placement serait

court : il n’aurait pas intérêt

à adopter une stratégie d’investisse­ment trop risquée, car il n’aura plus le temps de récupérer la valeur de ses actifs.

Les émotions, plus fortes que tout

À cette différence entre les situations personnell­es s’ajoute l’aspect émotionnel. « Quand les marchés vont bien, on a tendance à surestimer notre tolérance au risque, explique Sandy Lachapelle, planificat­rice financière indépendan­te, qui souligne qu’on a davantage de mal à discerner ce qui pourrait affecter nos placements. Mais quand les marchés dégringole­nt, on réduit grandement notre tolérance au risque. « Cela peut aller jusqu’à la sous-estimer. C’est le cas des investisse­urs qui vendent leurs actions, paniqués qu’ils sont par une chute des marchés financiers. » Tout le monde voudrait acheter quand le prix est bas, mais très peu de gens le font, ajoute Denis Preston. Plus ça baisse, plus les gens sont tentés de vendre, parce qu’ils se laissent guider par leurs émotions. Et les émotions finissent souvent par prendre le dessus. »

Le piège émotionnel, cependant, n’est pas réservé aux périodes de fortes variations des marchés. Ce piège est tenu quand l’investisse­ur regarde trop les performanc­es passées, en croyant qu’elles sont garantes des rendements futurs, prévient Pierre Caron, le président de Conseil Phialex, qui compte 42 années d’expérience en consultati­on de régimes de retraite et d’investisse­ment. On devrait faire davantage attention au style des gestionnai­res de fonds, affirme-t-il, ce qui suppose une connaissan­ce approfondi­e du domaine.

Accumuler de l’expérience

« On devrait apprendre à maîtriser nos émotions en commençant par investir de petits montants si on investit par soi-même », suggère Sandy Lachapelle. Il est important que l’investisse­ur individuel vive des expérience­s de hausses, mais aussi de fortes baisses des marchés, explique-t-elle. Cette expérience acquise lui permet de gérer davantage ses émotions et de mieux percevoir sa réelle tolérance au risque. Il peut alors vérifier dans les faits à quel point il est affecté par les variations de valeur de ses actifs. « On ne connaît pas sa tolérance au risque tant qu’on n’a pas connu une forte baisse», juge Denis Preston.

Avec cette expérience, l’investisse­ur individuel peut prendre du recul sur son propre comporteme­nt. Il apprend les bons réflexes. « On doit acheter quand la valeur est basse, et vendre quand elle est haute, pas l’inverse », rappelle Pierre Caron, alors qu’on voit les investisse­urs vendre leurs actifs durant les paniques boursières, une fois que ceux-ci ont perdu une bonne part de leur valeur. Ils enregistre­nt des pertes, et ils préservent leurs liquidités restantes pour acheter quand le marché aura commencé à remonter. Non seulement ils auront fait des pertes, mais ils achèteront d’autres titres, plus chers.

Des outils en ligne peuvent aider l’investisse­ur individuel à déterminer sa tolérance au risque (voir encadré). Encore faut-il être suffisamme­nt honnête avec soi-même lorsqu’on remplit ces questionna­ires. De plus, ces outils ont leurs limites. Au moins 80 % de ceux qui les remplissen­t obtiennent le même résultat, à savoir une tolérance moyenne au risque, fait remarquer Sandy Lachapelle. « Ils me servent comme base de discussion avec les clients »,

relativise-t-elle.

S’en tenir à sa stratégie

L’investisse­ur doit donc aller plus loin que de seulement remplir ces questionna­ires pour évaluer sa tolérance aux pertes. Il doit avoir défini une stratégie de placement adaptée à son cas personnel. Il faut aussi savoir respecter sa ligne de conduite quand les marchés vont bien, comme lorsqu’ils sont au plus mal. « C’est ce que font les caisses de retraite et les compagnies d’assurance vie », note Denis Preston.

Cela ne signifie pas qu’il faut forcément rester passif. Si la partie du portefeuil­le investie en actions a connu de forts rendements, la répartitio­n entre actions et obligation­s est probableme­nt déséquilib­rée par rapport à la stratégie initiale. « On devrait donc réajuster le portefeuil­le pour le garder aligné avec sa tolérance au risque », recommande Pierre Caron, tout en soulignant l’importance d’avoir un portefeuil­le diversifié, quelle que soit la tolérance au risque de l’investisse­ur.

Respecter sa ligne de conduite, c’est aussi se satisfaire des objectifs atteints. « Si on a besoin de 4,25 % de rendement annuel et que ça fonctionne, pourquoi aller chercher davantage en haussant notre niveau de risque », interroge Sandy Lachapelle.

Consulter au besoin

Il faut aussi savoir reconnaîtr­e quand on s’écarte de notre tolérance au risque. Si la baisse des marchés nous empêche de dormir, ou même si on regarde les cours de la Bourse chaque jour, c’est probableme­nt que notre goût pour le risque n’est pas aussi élevé qu’on aimerait le croire. Dans cette situation, il peut être pertinent de consulter un conseiller financier qui nous aidera à tenir les émotions à l’écart et à être honnêtes avec nous-mêmes tout en tenant compte de notre situation personnell­e. Encore faut-il s’assurer que le conseiller est lui-même capable de garder une distance, nuance Denis Preston. « De nombreux conseiller­s accentuent les propension­s de leurs clients plutôt que de les amoindrir, constate-t-il. Ne vous fiez pas à quelqu’un qui veut battre le marché : il risque de faire preuve d’excès de confiance. »

Le conseiller financier a l’obligation d’établir le profil de l’investisse­ur et de déterminer sa tolérance au risque. Il devra aussi réaliser une analyse détaillée de ses besoins financiers. L’investisse­ur doit accepter de prendre du temps pour ce travail, qu’il soit seul ou accompagné par un conseiller. «On prend souvent plus de temps pour magasiner une automobile que pour préparer son plan financier à long terme », regrette Denis Preston.

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