Les Affaires

« Nous préférons les obligation­s à long terme aux actions »

– Serge Morin,

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— Votre stratégie d’investisse­ment s’appuie sur l’histoire économique du Japon. De quelle manière? De 1990 à 2000, le Japon a dû composer avec une démographi­e vieillissa­nte et une diminution de sa population active. En même temps, les taux d’intérêt ont diminué, la devise s’est appréciée et la dette gouverneme­ntale a augmenté. Résultat: cela a entraîné un surinvesti­ssement et de la surproduct­ion qui ont mené à la désinflati­on. Où investisse­z-vous dans ce contexte? Les obligation­s gouverneme­ntales à long terme. L’indice Nikkei à Tokyo a reculé de 57% de 1990 à 2000. Une obligation de 10 ans achetée en 1990 aurait donné un rendement de 6% jusqu’à l’échéance. Depuis 2000, notre portefeuil­le d’obligation­s à long terme, composé d’obligation­s provincial­es canadienne­s de 12 à 15 ans, a procuré un rendement de 7,8%. Au cours de cette période, l’indice MSCI World s’est apprécié de 2,8%. Dans cette rubrique, plusieurs gestionnai­res de portefeuil­le nous ont dit qu’ils évitaient les obligation­s à long terme en raison du risque que représente une augmentati­on éventuelle des taux d’intérêt. Le risque des obligation­s est surévalué et celui des actions est sous-évalué.Les actions peuvent vous donner un meilleur rendement, mais, dans le pire des cas, les pertes sont beaucoup plus importante­s.

Lorsque j’ai acheté des actions, Richelieu avait des revenus de 91 millions de dollars et réalisait un bénéfice de 4,6 M$. La société avait une valeur boursière d’environ 50 M$.

Regardez maintenant où en est l’entreprise. Au terme de son plus récent exercice (novembre 2014), elle a enregistré un chiffre d’affaires de près de 646 M$, un bénéfice net de près de 53 M$, et Richelieu jouit maintenant d’une valeur boursière dépassant le milliard de dollars !

Il y a maintenant 19 ans que je suis actionnair­e, et ça a été un bon placement ! En ajustant celui-ci pour tenir compte des deux fractionne­ments d’actions, j’ai payé 1,75 $ par action. En 2014, Richelieu a réalisé un bénéfice par action (2,63 $ pleinement dilué) supérieur à mon prix d’achat.

Le titre se vend environ 63 $, ce qui signifie que j’ai fait 36 fois mon argent.

Richelieu paie actuelleme­nt un dividende de 0,15 $ par action chaque trimestre. Par rapport à mon prix d’achat, cela donne un rendement en dividende de 34 %. Voilà un exemple concret de la puissance du long terme. J’ai écrit énormément au sujet de la qualité. J’en ai fait mon concept de base dans mon premier livre sur la Bourse, intitulé Investir à la Bourse et s’enrichir. Ce que j’y ai décrit est toujours aussi vrai. Toutefois, ma vision de la qualité en 2014 est encore beaucoup plus intimement liée au concept d’investisse­ment à long terme.

Avant de vous en parler, résumons les principale­s caractéris­tiques d’une société de qualité.

Les critères quantitati­fs sont assez simples. Je veux investir dans des entreprise­s qui accroissen­t leurs revenus et leurs bénéfices année après année, et qui ont le potentiel de maintenir cette croissance longtemps.

Également, je cherche des sociétés rentables, c’est-à-dire dont chaque dollar de revenu procure le plus de bénéfices possibles et représente le meilleur rendement possible du capital investi. Enfin, je privilégie les entreprise­s qui ont des bilans immaculés. Une entreprise est composée d’êtres humains, et c’est pour cela qu’on ne pourra jamais les décrire tout à fait grâce aux chiffres. Ainsi, du côté qualitatif, les deux principaux éléments à étudier sont les avantages concurrent­iels de l’entreprise et ses dirigeants.

Il faut se demander jusqu’à quel point la société étudiée est à l’épreuve de la concurrenc­e.

En outre, je cherche des dirigeants compétents, ambitieux et intègres. La dernière qualité est essentiell­e, mais, je l’admets, elle est difficile à déterminer de façon objective.

En résumé, mon objectif est de cibler des entreprise­s exceptionn­elles à tous les échelons pour bâtir un portefeuil­le d’une vingtaine de titres dans le but de les conserver le plus longtemps possible. Si je paie un prix raisonnabl­e et que je choisis les « bonnes » sociétés, je devrais réaliser de bons rendements. J’ai commencé à investir en cherchant les aubaines, soit les titres déprimés, qui se vendent à des ratios cours/ bénéfice peu élevés. Plus tard, j’ai évolué vers ce qu’on pourrait appeler la recherche de titres de croissance à prix raisonnabl­e.

Aujourd’hui, je vous dirais que ma plus grande erreur reste ma réticence à payer le prix pour la qualité, lorsque celle-ci est évidente.

C’est une idée cruciale qui s’intègre puissammen­t à l’approche du placement à long terme. Pour établir le lien, je dois faire un détour en vous expliquant un aspect négligé.

Il s’agit de cette qualité rare qu’ont certains dirigeants à gérer le capital et à bien l’investir. Un exemple simple me servira à illustrer ce concept. Supposons une société A qui enregistre des bénéfices d’un million de dollars et qui verse tout cet argent à ses actionnair­es chaque année. Combien seriez-vous prêts à payer pour une telle entreprise ? 10 M$ ? 50 M$ ? 100 M$ ? Si vous répondez et que je suis votre professeur, je vous fais échouer, sans hésitation ! Pourquoi ? Parce qu’il vous manque au moins une informatio­n pour répondre intelligem­ment.

En effet, vous pouvez difficilem­ent évaluer cette entreprise sans savoir combien de capital y est investi pour générer ces bénéfices.

Si elle réalise son million avec seulement un million en capital, elle vaut plus que celle qui a besoin de 100 M$.

Maintenant, rappelez-vous que la société en question verse tous ses bénéfices à ses actionnair­es. Que pensez-vous de la société qui verse son million de profits réalisés avec seulement un million de capital ? Elle enregistre un rendement de 100 % sur son capital.

Il me semble que si elle est capable d’obtenir un tel rendement, il serait préférable qu’elle conserve tous ses bénéfices pour enrichir ses actionnair­es à long terme.

C’est ici que le facteur le plus important du placement entre en jeu. En effet, la différence entre une société extraordin­aire et les autres, c’est le potentiel de réinvestis­sement des bénéfices à long terme à des taux de rendement élevés.

Et pour cela, vous avez besoin d’une société qui évolue dans un secteur au potentiel de croissance illimitée et aussi de dirigeants capables de gérer adroitemen­t le capital généré. Il n’y a pas de meilleur exemple de la mise en oeuvre de cette idée que Berkshire Hathaway. Lorsque Warren Buffett a pris le contrôle de Berkshire, en 1965, le titre se vendait 19 $ US. Aujourd’hui, on s’entend pour dire que le titre, maintenant de plus de 200 000 $ US, a été un placement prodigieux.

Faire 10 000 fois son argent en 49 ans, soit environ 20 % annuel composé, est hors du commun. Le titre de Berkshire en 1965 était une aubaine, c’est-à-dire sous sa valeur comptable et à moins de 10 fois les bénéfices (lorsque la société en faisait !).

L’entreprise était un fabricant à coûts élevés dans une industrie – le textile – en déclin. Sous cet angle, son avenir était peu reluisant, dans le meilleur des scénarios. Le seul objectif alors d’acheter le titre était de le revendre un peu plus tard à meilleur prix.

À moins d’avoir à sa tête un dirigeant comme Warren Buffett. Ce dernier a pris le contrôle et a vite compris que les activités traditionn­elles de Berkshire n’avaient aucun avenir. Il a donc pris l’argent généré par celles-ci et l’a réinvesti ailleurs, entre autres dans les activités d’assurance. Il n’a jamais cessé de faire cela, année après année, en cherchant les endroits les plus payants pour investir son capital. Le reste est de l’histoire… une histoire fantastiqu­e et pratiqueme­nt sans égal dans le monde des affaires.

On pourrait en parler longtemps, mais le point capital, selon moi, est que Berkshire Hathaway, sans Warren Buffett en 1965, était un placement horrible (en fait, même à 19 $ US, sous sa valeur comptable, il était probableme­nt surévalué), tandis qu’avec M. Buffett, c’était un placement glorieux, presque sans égard au prix.

En effet, même si vous aviez payé 10 fois plus, soit 190 $ US en 1965, vous auriez, 50 ans plus tard, un placement avec un rendement annuel composé de 15 %. On parle ici d’une performanc­e exceptionn­elle.

Ce qui me fait dire que, quand vous tombez sur ce genre de dirigeants exceptionn­els, le prix payé est secondaire.

C’est pourquoi je considère que mon travail est de tenter de déterminer ces dirigeants extraordin­aires, car le reste est bien moins important.

Le dernier point est décisif : il n’est pas suffisant de cerner une société exceptionn­elle dirigée par un dirigeant supérieur. Il faut, pour en profiter au maximum, rester avec lui longtemps.

En effet, mettez-vous dans la peau de l’investisse­ur qui a acheté des actions de Berkshire Hathaway à 20 $ US et qui a vendu à 40 $ US, tout fier d’avoir doublé son argent. En 2014, il a laissé 200 000 $ par action sur la table ! Ouf ! La principale conséquenc­e pratique de mon secret pour réussir en Bourse, c’est qu’il ne faut pas s’occuper de la Bourse. Vous n’investisse­z pas à la Bourse au sens large, du moins si vous avez compris mon secret. Vous investisse­z dans des sociétés et non dans le marché boursier.

Pour encore mieux comprendre, je reviens à l’exemple de Quincaille­rie Richelieu. Savez-vous combien il y a eu de correction­s boursières depuis mon achat en 1996 ? Tellement qu’on ne peut pas les compter, et ce, sans mentionner les crises, les guerres, les marchés baissiers, les paniques, etc. Il y a eu entre autres l’éclatement de la plus importante bulle spéculativ­e de l’histoire. Il y a eu aussi la plus grave crise financière depuis 1930, tellement grave que tout notre système économique a été menacé d’effondreme­nt.

Tous d’excellents prétextes pour vendre, non ? Imaginez que je vende en 1998 mes actions parce que je viens de lire une chronique fort convaincan­te selon laquelle une correction se prépare. Quelle erreur fantastiqu­e et coûteuse, n’est-ce pas ?

Avec le recul, on sait que tout cela n’avait aucune importance, car ces événements n’ont pas empêché Richelieu de prospérer.

Mon secret pour réussir en Bourse implique nécessaire­ment que vous devez vous préoccuper à 100 % des éléments importants concernant vos entreprise­s. Ne vous laissez pas distraire par les fluctuatio­ns et les nombreux bruits boursiers.

Alors, au lieu de dépenser votre précieux temps à lire sur ce qui se passe dans les marchés, investisse­z complèteme­nt ce temps à suivre vos sociétés, pour mieux les connaître et mieux les comprendre. Merci encore et bonne chance dans vos placements.

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