Les Affaires

Quand le transport collectif carbure à la valeur foncière

- François Normand Le modèle de Hong Kong D’autres sources d’inspiratio­n

La Caisse de dépôt et placement du Québec prévoit réaliser d’ici 2020 deux projets de transport collectif majeurs à Montréal : un système léger sur rail (SLR) sur le nouveau pont Champlain et un train qui reliera le centre-ville de Montréal à l’aéroport Montréal-Trudeau.

Pour financer ces projets, elle compte faire appel en partie à la captation de la plus-value foncière. Elle aurait tout intérêt à s’inspirer de villes telles que Hong Kong, Copenhague et Londres, ditVincent Joli-Coeur, vice-président du conseil, Marchés financiers, à la Banque Nationale. Ces villes pratiquent la captation de la plus-value foncière des terrains et des immeubles situés à proximité d’une infrastruc­ture de transport en commun achalandée.

En octobre, la Nationale a publié un rapport – réalisé avec George Hazel, un expert internatio­nal dans le domaine du transport collectif – sur le potentiel de ce mode de financemen­t. Hong Kong est un modèle assez unique dans le monde, souligne Vincent Joli-Coeur. La MTR – l’équivalent de la Société de transport de Montréal – réussit à autofinanc­er 100% de ses 70 stations de métro (Montréal en compte 68). Ainsi, chaque fois qu’une station est construite, le financemen­t est assuré par le secteur privé, qui se finance à son tour grâce à l’autorisati­on de construire des immeubles en copropriét­é. « Il va sans dire que la densité démographi­que de Hong Kong pèse beaucoup dans la balance », dit Vincent Joli-Coeur.

En effet, Hong Kong compte 7,1 millions d’habitants et la densité démographi­que peut dépasser 50000 habitants au km2 dans un district comme Kwun Tong. Pour sa part, la région administra­tive de Montréal compte 1,9 million de personnes et a une densité de 3 992 habitants au km2. « Autofinanc­er les projets à 100% à Montréal serait impossible, dit-il. Mais on peut imaginer par exemple des projets autofinanc­és à 10, à 30 ou à 35%. » La constructi­on du Crossrail de Londres est une autre source d’inspiratio­n pour Montréal. Le privé finance environ le tiers du projet évalué à 14,8 milliards de livres sterling (28,1 G$ CA).

Ce projet de constructi­on – le plus important au plan de l’investisse­ment en Europe à l’heure actuelle – prévoit une nouvelle ligne de métro de 100 km et de 40 stations. Elle reliera l’aéroport Heathrow au centre financier de Londres (Canary Wharf).

La population de la capitale britanniqu­e est de 8,4 millions d’habitants, mais la densité (5 354 hab./km²) y est beaucoup moins élevée qu’à Hong Kong, l’une des plus élevées du monde, d’où la pertinence de son modèle pour Montréal.

Le projet Oerstadt à Copenhague, au Danemark, est un autre exemple de captation de la plus-value foncière. Il reliera l’aéroport au centre-ville et le tiers du projet devrait s’autofinanc­er. Les caractéris­tiques et la culture politique de cette ville ont plusieurs similitude­s avec celles de Montréal, selon Vincent Joli-Coeur.

« Copenhague a un climat nordique, une petite population [mais une densité de 6 800 hab./km², plus élevée qu’à Londres] et favorise les projets contrôlés par des sociétés d’État. »

Né au Guatémala au milieu d’une guerre civile qui a duré 30 ans, Gabriel Bran Lopez est arrivé au Québec en 1986. Il a trois ans. « La transition n’a pas été facile, confie-t-il. Mon frère et moi, nous avons grandi dans des arrondisse­ments difficiles: Hochelaga, Côte-des-Neiges, Saint-Michel. Tout ce qui m’a gardé à l’école, c’est le soutien moral de mes parents. Ils ne pouvaient pas m’aider dans mes devoirs. Ils ne parlaient pas français à notre arrivée. Et puis j’ai eu la chance de croiser des adultes significat­ifs qui m’ont permis de croire en moi et en mes possibilit­és. » Il découvre aussi une passion qui le garde à l’école: le théâtre. Inconsciem­ment, l’influence de cette passion sur sa réussite scolaire inspirera plus tard le modèle d’affaires de Fusion Jeunesse.

À l’Université Concordia, où il étudie en communicat­ion, Gabriel Bran Lopez remporte le prix Force Avenir qui le mène à raconter son parcours d’immigrant aux étudiants de l2 écoles secondaire­s québécoise­s. Les commentair­es d’un élève ramènent le jeune universita­ire à sa propre adolescenc­e. « Vous voulez nous empêcher de décrocher? Arrêtez de venir nous faire la leçon pendant une heure, dit le jeune étudiant. Venez plutôt dans nos écoles toute l’année pour nous aider à réaliser des projets qui nous tiennent à coeur. Ça, ça va nous donner envie de venir à l’école et d’y rester. » Ces paroles hantent Gabriel Bran Lopez pendant des années. Elles mèneront à la création de Fusion Jeunesse, un OBNL dont la mission consiste à lutter contre le décrochage scolaire en permettant à des jeunes de réaliser des projets à long terme – en science, en design ou autre – sous la direction d’étudiants universita­ires spécialist­es de ces matières. « Plutôt que de les envoyer comme conférenci­ers d’une heure ou mentors d’un jour dans les écoles, on embauche [et rémunère] ces étudiants pour leur expertise de 10 à 15 heures par semaine de septembre à juin. Ils coordonnen­t des projets concrets qui gardent les jeunes à risque à l’école », explique le cofondateu­r. Fusion Jeunesse est présente dans 77 écoles. Elle intervient chaque semaine auprès de 10 500 jeunes.

N« Quêter, c’est épuisant »

Le modèle de Fusion Jeunesse repose sur des partenaria­ts avec des commission­s scolaires, des maisons d’enseigneme­nt et des entreprise­s. Ces partenaire­s fournissen­t soit de l’argent, soit de l’expertise. Gabriel Bran Lopez insiste sur la réciprocit­é de chaque partenaria­t. « Je ne voulais pas quêter, c’est épuisant. Et pas très gratifiant. Je veux que chacun de mes partenaire­s ait autant besoin de Fusion Jeunesse que nous avons besoin de lui. Et pas pour soulager sa conscience ou faire le bien. Il y a tant de causes valables. Et puis, il suffit d’un changement de pdg pour que l’entreprise revoie sa stratégie de dons. Je veux que Fusion Jeunesse aide chacun de ses partenaire­s à atteindre sa mission d’entreprise. »

Pour convaincre les université­s de collaborer, il parle leur langue. « Chaque institutio­n cherche à bonifier l’expérience d’apprentiss­age de ses étudiants ainsi qu’à améliorer son engagement dans la collectivi­té. Collaborer avec nous leur permet d’atteindre ces deux objectifs. » Ainsi naît un projet-pilote dans deux des écoles les plus défavorisé­es du Québec: Pierre-Dupuy et James-Lyng. Les sept projets réalisés appartienn­ent à des domaines aussi variés que l’entreprene­uriat, l’environnem­ent, les sciences et les arts.

Les commission­s scolaires s’engagent, parce qu’il en va de leur raison d’être: l’obtention de leur diplôme par les jeunes.

Les entreprise­s partenaire­s (Aldo, Bombardier, CAE, GE, etc.), quant à elles, fournissen­t de l’expertise humaine et technique par l’intermédia­ire de leurs employés. Et elles donnent de l’argent pour l’achat de matériel. Qu’y gagnentell­es? Bombardier s’est récemment posé la question. Étaitil sage d’investir dans ce partenaria­t alors qu’il a fallu procéder à de nombreux licencieme­nts? « La direction a effectué un sondage auprès des 80 ingénieurs qui collaboren­t à notre projet de robotique. Ils ont répondu unanimemen­t que ce projet fait partie de l’ADN de Bombardier. Pour eux, c’est une source importante de motivation. »

L’entreprene­ur de 32 ans a autant d’entregent que de culot. « Très jeune, je me suis senti à l’aise d’aborder les adultes pour leur demander de l’aide ou des conseils. » À Concordia, il s’engage dans l’associatio­n étudiante. Ce qui le met en contact avec la direction de l’université. La vicerectri­ce Kathy Assayag sera d’ailleurs la première partenaire de Fusion Jeunesse. Encore aujourd’hui, elle siège au conseil d’administra­tion. Et le directeur de l’école primaire de Gabriel Bran Lopez est directeur des services profession­nels de l’organisme. « Quand on veut bien faire les choses, vendre un produit ou une cause, il ne faut pas être complexé. Sinon, cela mène au sous-financemen­t chronique des OBNL. »

Quantifier l’impact

Être sans complexes et savoir mesurer. Fusion Jeunesse a demandé à plusieurs organismes de quantifier son impact. « Lorsqu’un partenaire nous donne 100 000$, on ne peut pas se contenter de lui présenter des anecdotes touchantes en retour. » L’organisme américain Success Market estime que chaque dollar investi dans Fusion Jeunesse en rapportera­it 11 à la société. L’évaluation ne sert pas qu’aux partenaire­s, elle permet aussi aux OBNL de valider leur stratégie, ajoute Gabriel Bran Lopez. L’Université Laval s’est penchée pendant deux ans sur les méthodes d’interventi­on de Fusion Jeunesse. Elle a conclu que la combinaiso­n de projets en classe et en parascolai­re assure un impact maximum sur les élèves fragiles. Les premiers projets développen­t l’aspect scolaire. Les seconds, le sentiment d’appartenan­ce, les liens avec les pairs, la confiance en soi, etc. Maintenant, l’Université de Montréal évalue l’impact de chaque projet, domaine par domaine.

Peut-on tout quantifier? Tous les OBNL peuvent-ils suivre la voie de Fusion Jeunesse? « Non, tout n’est pas quantifiab­le. Mais tant d’OBNL québécois se trouvent dans un vide absolu à la suite du désengagem­ent majeur de l’État. Il va falloir être créatif et audacieux pour s’en tirer dans la jungle sociale, dit Gabriel Bran Lopez. Montrer aux entreprise­s que nous ne les aidons pas seulement à assumer leur responsabi­lité sociale, mais aussi à atteindre leurs objectifs stratégiqu­es et à retenir leurs employés. L’ère des chèques pour les chèques tire à sa fin. »

Centraide, prévient Lili-Anna Peresa. « Les donateurs veulent le choix, cette tendance ne disparaîtr­a pas. »

Pendant des années, les Montréalai­s ont dit à Centraide: « Nous vous faisons confiance, attribuez notre don au bon endroit. » Cela ne tient plus. Centraide proposera toujours le don solidaire générique. Mais elle offrira aussi quatre champs d’action: soutenir la réussite des jeunes, assurer l’essentiel, briser l’isolement social et bâtir des milieux de vie rassembleu­rs. Cette ventilatio­n remplit deux objectifs: donner le choix aux donateurs, mais aussi les éduquer (le don par champs d’action est déjà offert par Centraide à Toronto et à Vancouver.) « Centraide est connue, mais méconnue, dit Lili-Anna Peresa. Les gens ne comprennen­t pas ce que nous faisons. Nous avons un défi de communicat­ion. Offrir quatre champs d’action aux donateurs permet de clarifier notre interventi­on. »

Le défi de clarté dépasse l’interventi­on de Centraide. Il s’étend aussi à sa mission, poursuit Lili-Anna Peresa. La plupart des Montréalai­s considèren­t cet organisme comme un intermédia­ire qui recueille des dons et les redistribu­e. « C’est une fausse perception, poursuit la dirigeante. Centraide est un investisse­ur social. Nous établisson­s les besoins de chaque quartier et nous répartisso­ns les ressources en fonction de ceux-ci. Je vais m’employer à expliquer notre valeur ajoutée comme investisse­ur. » Elle s’appuiera sur les résultats de l’étude KPMG/Secor qui révèle que le taux de survie des organismes que Centraide appuie est de 98%; il n’est que de 80% pour ceux qu’elle n’appuie pas. Et sans Centraide, il en coûterait 9 millions de dollars de plus pour amasser les 55 M$ que l’organisme recueille chaque année.

Somme toute, Centraide compte se positionne­r comme un expert social. « Je vais m’assurer que l’on soit proactifs avec les médias, par exemple, conclut la pdg. Nous détenons une expertise inestimabl­e des enjeux sociaux, il est temps de la mettre à profit. »

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