Les Affaires

Une ville intelligen­te, au-delà des technologi­es

- Matthieu Charest matthieu.charest@tc.tc

L’expression « ville intelligen­te » est à la mode. Pourtant, difficile d’en circonscri­re le sens précis. D’abord et avant tout, c’est un mode de gestion et de planificat­ion urbaines optimal. C’est ce qui fera du Montréal de demain une ville mondiale, pour peu que tous, promoteurs, élus et citoyens, agissent. Objectif : faire de la métropole une cité concurrent­ielle, attrayante pour les promoteurs et agréable pour ses citoyens.

L’aspect numérique, mais pas seulement

Il ne s’agit pas simplement d’installer des bornes d’accès Internet sans fil un peu partout, dans le métro par exemple. « Le Wi-Fi, on s’attend déjà à ce qu’il soit disponible partout », pense Claude Sirois, cochef de l’exploitati­on et viceprésid­ent exécutif Québec chez Ivanhoé Cambridge, qui intervenai­t lors d’une table ronde organisée par Les Affaires, en partenaria­t avec Davies « C’est comme une machine à café dans une chambre d’hôtel. Une ville intelligen­te, c’est beaucoup plus que ça. » Pour Anik Shooner, associée chez Menkès Shooner Dagenais LeTourneux Architecte­s, « ce n’est pas juste de l’électroniq­ue. C’est de la planificat­ion intelligen­te ».

« C’est la vision d’une ville qui veut apprendre à mieux se connaître ellemême : ses défis, ses enjeux, ses limites », explique Harout Chitilian, vice-président du comité exécutif à la Ville de Montréal et responsabl­e des dossiers TI, de la jeunesse, de la ville intelligen­te et de la réforme administra­tive. Pour lui, « c’est d’abord et avant tout la volonté de bien gérer ses ressources, tant physiques que financière­s ».

Et si le concept dépasse le simple aspect des TI, celles-ci en font toutefois partie intégrante. « Est-ce qu’on pourrait profiter des nouvelles technologi­es pour optimiser nos systèmes d’éclairage en installant des panneaux solaires ? interroge M. Chitilian. Ou encore, se doter de capteurs pour mesurer la qualité de l’air ? Quant au réseau cellulaire dans le métro, il était temps que ça arrive », ajoute l’élu, réfléchiss­ant à voix haute.

Par ailleurs, « il faut rendre le “big data” [mégadonnée­s] disponible à tous, afin de les intégrer dans de nouvelles applicatio­ns », lance Cameron Charlebois, président de GPMC Montréal, une firme-conseil en immobilier. « La Ville doit être un fournisseu­r de données, les jeunes développeu­rs n’attendent que ça, estime-t-il. Trouver du stationnem­ent ou le payer au moyen d’une applicatio­n, par exemple, c’est brillant. »

Aménagemen­t intelligen­t et efficace

« C’est bien beau la “ville intelligen­te”, mais quand tu n’es même pas capable de savoir où en est rendue ta demande de permis, ce n’est pas efficace », déplore Stéphane Côté, président de DevMcGill. « Des fois, j’ai l’impression qu’on se concentre sur ce concept pour ne pas parler d’autre chose », affirme Michel Max Raynaud, directeur de l’Observatoi­re Ivanhoé Cambridge du développem­ent urbain et immobilier à l’Université de Montréal.

Parler de l’importance de la planificat­ion, entre autres. « Pour nous [les promoteurs ou investisse­urs], il n’y a pas de place pour l’improvisat­ion », dit Claude Sirois.

Justement, « il faut tenir compte de

nos besoins dans l’avenir, croit Harout Chitilian, de la Ville de Montréal. Dans tous nos projets, comme dans la requalific­ation [des infrastruc­tures], il faut se poser les bonnes questions. A-t-on de la place pour installer des bornes de recharge pour les véhicules électrique­s, par exemple? Mais ce n’est pas que de l’aménagemen­t des lieux physiques, il y a aussi tout le volet social. [L’administra­tion] veut créer des mécanismes de collaborat­ion afin d’être capable d’évoluer ».

Le « cas » Griffintow­n

Un discours sans doute rafraîchis­sant pour les promoteurs et citoyens de Griffintow­n. En plein boom immobilier, le secteur a longtemps manqué cruellemen­t d’infrastruc­tures. Si la situation tend à s’améliorer, il n’y a toujours pas d’école primaire. Une lacune prévisible depuis des décennies, alors que le calcul semble plutôt simple: plus de logements, plus de familles, plus de besoins. « Ça fait 20 ans que les gens demandent une école dans ce quartier, affirme Luc Fortin, vice-président développem­ent de First Capital Realty. Ce n’est pas un oubli qui date de trois ans. »

« La Ville, dans le passé, n’a pas assez planifié, estime François Croteau, maire de l’arrondisse­ment Rosemont– La Petite-Patrie et membre de Projet Montréal. Prenez Griffintow­n, ce fut une erreur terrible! Et pour mieux prévoir l’aménagemen­t, les PPU [programmes particulie­rs d’urbanisme] s’avèrent d’excellents outils. » Est-ce que ce quartier est un échec, toutefois? Pas si l’on se fie à Richard Hylands, président de Kevric: « Je ne dirais pas que c’est un échec. C’est encore trop tôt pour poser un jugement. »

Même avis du côté de l’architecte Anik Shooner. « Il est encore trop tôt pour juger de l’échec ou de la réussite de Griffintow­n, mais il faut que ça se fasse, construire des trottoirs, des écoles, etc. »

Une situation qui est tout de même « dix fois “moins pire” maintenant grâce au nouveau PPU élargi, pense Richard Bergeron, conseiller de la Ville pour le district Saint-Jacques [Ville-Marie] et membre du comité exécutif responsabl­e du centre-ville. Ce n’est pas compliqué, si la Ville avait acheté des terrains, au départ, pour en faire des parcs, nous aurions économisé des millions de dollars ».

De plus, « on ne peut pas “inviter” des familles dans ce quartier s’il n’y a même pas d’école, note Jacques Vincent, coprésiden­t du Groupe Prével. La mixité, c’est ça qui anime une ville, qui la rend attirante ».

Axer sur la mixité

Si l’avenir est à la mixité des quartiers, les milieux de vie doivent être minu- tieusement planifiés. Là encore, la notion de « ville intelligen­te » ressurgit. « L’idée de mixité des quartiers, ce n’est pas juste du résidentie­l et du commercial, affirme M. Vincent. Il faut ramener des personnes âgées, des espaces de travail, etc. Le manque de diversité a été un grand problème dans plusieurs villes américaine­s qui se sont vidées. »

Oui à la mixité, mais pas n’importe comment. L’hétérogéné­ité des genres doit s’avérer viable à terme. Il doit il y avoir un marché potentiel pour des locaux commerciau­x, par exemple. « On m’a imposé du commercial sur la rue Shannon, mais je ne suis pas certain que ça va fonctionne­r, raconte le coprésiden­t du Groupe Prével. On avait l’obligation de faire du commercial sur la rue William, mais puisque nous n’avons pas été capables de trouver un locataire, nous y avons installé nos bureaux… »

Une opinion partagée par Cameron Charlebois, de GPMC Montréal: « Nul besoin de tordre un bras aux promoteurs pour construire des quartiers mixtes. Cette notion est ancrée dans les moeurs. Mais dans certains cas, l’environnem­ent ne s’y prête tout simplement pas ».

Par ailleurs, les règles émises par les arrondisse­ments quant aux divers projets immobilier­s doivent être sensées, plaident les promoteurs réunis par Les Affaires. Ne serait-ce que pour éviter de décourager le développem­ent urbain. « Il faut demander des ratios de stationnem­ent par unité qui sont raisonnabl­es, dit Stéphane Côté, président de DevMcGill. Exiger 1,5 place par unité, est-ce un bon calcul? »

La mobilité urbaine

Après les quartiers, l’importance de la mixité s’applique également aux moyens de transport en milieux urbains. Afin d’améliorer la fluidité des déplacemen­ts, les connexions entre tous les centres névralgiqu­es de la métropole, il faudra miser sur tous les outils disponible­s, y compris l’auto, estiment plusieurs experts. « On sent que certaines villes veulent éliminer l’usage des voitures, constate Anik Shooner. Mais ce n’est pas vrai qu’à Copenhague, qui est souvent citée en exemple, il n’y a pas d’autos... Il faut plutôt améliorer la mixité, ajouter des pistes cyclables, par exemple. »

Depuis que la ligne orange du métro se rend à Laval, les wagons sont souvent remplis au maximum de leur capacité pendant les heures de pointe. Et, bien que le réseau de transport en commun soit crucial pour la métropole, les places de stationnem­ent, ou le manque de celles-ci, reste d’actualité. Il n’est pas rare de voir des places vendues pour plusieurs dizaines de milliers de dollars au centre-ville et dans les arrondisse­ments limitrophe­s.

Une offre qui tend à se raréfier au fil des constructi­ons. À titre d’exemple, les nouveaux plans de rénovation de la rue Sainte-Catherine prévoient une réduction des emplacemen­ts de stationnem­ent sur les côtés de la rue. Au même moment, les Dix30 et autres mégacentre­s dotés de nombreux espaces de stationnem­ent poussent comme des champignon­s en banlieue. Un enjeu de compétitiv­ité, souligne Stéphane Côté, de DevMcGill: « Il y a déjà plusieurs personnes en banlieue qui ne viennent pas en ville par peur de manquer de stationnem­ent ».

En 2025: Montréal, ville mondiale

« En 2025, j’espère que nous aurons répondu à l’ensemble de nos besoins en matière de mobilité urbaine, dit Harout Chitilian, de la Ville de Montréal. Le développem­ent économique dépend de notre niveau de mobilité. « Et il ne faut surtout pas isoler les gens dans des gratte-ciel, ajoute -t-il. Il faut créer des communauté­s. Les villes de partout dans le monde sont engagées dans une concurrenc­e féroce pour attirer et retenir les immigrants, les étudiants, les touristes, etc. Une ville intelligen­te, c’est incontourn­able pour nos citoyens, qui gagneront des services, et pour les promoteurs, qui seront plus efficaces. »

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