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L’affaire Poëti soulève de sérieux problèmes de gouvernanc­e

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L’étonnant cafouillag­e dans la gestion des différents aspects de l’affaire Poëti a levé le voile sur de graves problèmes de gouvernanc­e politique et administra­tive au sein du gouverneme­nt Couillard.

Pour y voir plus clair, commençons par un regard sur les principaux acteurs de cette saga.

Robert Poëti est un policier à la réputation sans tache. En avril 2014, il est nommé ministre des Transports (MTQ), l’un des plus importants ministères en raison de l’ampleur des contrats qu’il accorde à des entreprene­urs de l’industrie de la constructi­on. Cette nomination n’est pas innocente, car plusieurs rapports et enquêtes (vérificate­ur général, Unité anticollus­ion, commission Charbonnea­u, reportages médiatique­s) ont repéré maintes irrégulari­tés dans l’adjudicati­on des contrats et le suivi des travaux. Au fil des mois, Robert Poëti fait des constats qui le préoccupen­t sur le « plan éthique, administra­tif ou criminel ».

Annie Trudel a travaillé avec Jacques Duchesneau, qui a dirigé l’Unité anticollus­ion, laquelle a révélé plusieurs irrégulari­tés dans la gestion du MTQ. Elle est recrutée en juillet 2014 à la demande de M. Poëti, mais est placée sous l’autorité bicéphale du ministre et de la sousminist­re, Dominique Savoie. Elle dérange. On lui refuse « l’accès à des bases de données, à des documents, à des employés ».

À la suite de la rétrograda­tion de M. Poëti lors du remaniemen­t ministérie­l du 28 janvier dernier, elle tombe quasiment dans le vide. Elle s’en plaint dans une rencontre avec Pierre Ouellet, chef de cabinet du nouveau ministre des Transports, Jacques Daoust, le 23 février. On ne veut plus la voir dans les bureaux du cabinet du ministre. Mme Trudel tente de se faire reloger au cabinet de la sous-ministre, mais en vain. Puisqu’elle se sent inutile, elle annonce sa démission le 4 avril dans une lettre destinée à Pierre Ouellet. Elle lui indique où elle laisse ses dossiers et une clé USB contenant des informatio­ns sur ses travaux. Cette clé sera transmise à la sousminist­re, qui l’a remettra à l’Unité permanente anticorrup­tion (UPAC). Selon certaines sources, l’UPAC ne semble pas vouloir enquêter sur le MTQ, qu’elle voit plutôt comme un « partenaire » pour d’autres enquêtes. Or, on apprenait le 19 mai que l’UPAC enquêtera sur des pistes fournies par Annie Trudel.

Pierre Ouellet a laissé la lettre de démission incriminan­te d’Annie Trudel dans un tiroir de son bureau. À titre de chef de cabinet, celui-ci travaille étroitemen­t avec le ministre et la sousminist­re du MTQ, ainsi qu’avec le chef de cabinet du premier ministre, Jean-Louis Dufresne. Si cette lettre est restée dans un tiroir, c’est sans doute parce qu’on a voulu la cacher. À la suite de la révélation de la lettre de démission de Mme Trudel, Pierre Ouellet est congédié pour son manque de vigilance. Il serait étonnant qu’il soit le seul à avoir commis cette faute.

Dominique Savoie était sous-ministre jusqu’à sa rétrograda­tion le 19 mai, au lendemain de sa comparutio­n à une commission parlementa­ire où elle a dit qu’elle n’avait pas d’ordre à recevoir d’un ministre sur le plan administra­tif. Dominique Savoie travaillai­t en liaison avec le secrétaire général du gouverneme­nt, Roberto Iglesias, lui-même en liaison constante avec le chef de cabinet du premier ministre.

En raison de l’importance des contrats accordés par son ministère, Mme Savoie occupait un des plus importants postes de sous-ministre. Le travail d’enquête d’Annie Trudel – que soutenait M. Poëti et qui agaçait au plus au haut point Mme Savoie – a créé une tension qui était probableme­nt connue du bureau du premier ministre lorsque ce dernier a fait le remaniemen­t ministérie­l. La sous-ministre a-t-elle eu la tête de M. Poëti ? On ne peut pas répondre par l’affirmativ­e, mais cette question est légitime. Quelle que soit la réponse, cela indique que le gouverneme­nt a eu tort de ne pas prendre au sérieux les irrégulari­tés soulevées par Annie Trudel et les préoccupat­ions de Robert Poëti.

Après avoir écrit au ministre Daoust pour savoir ce qu’il advenait de ses préoccupat­ions sur certaines pratiques du MTQ, M. Poëti a rencontré, le 28 avril, Jean-Louis Dufresne, qui participe à toutes les décisions du premier ministre. M. Dufresne n’aurait pas prévenu Philippe Couillard de ce qui bouillonna­it, même si le journalist­e Louis Lacroix, auteur du dossier de L’actualité qui a déclenché cette crise, soutient avoir informé le bureau du premier ministre il y a quelques semaines de l’enquête qu’il menait.

De toutes les questions soulevées dans cet article sur la gestion du MTQ, la plus étrange est le fait d’avoir confié la vérificati­on des projets qui sont sous la responsabi­lité des directeurs de territoire à des subalterne­s de ceux-ci, plutôt qu’à une autorité centrale. C’est une erreur de gouvernanc­e majeure.

Maintenant que ce gâchis a été mis au jour, on apprend que d’autres enquêtes seront lancées et qu’on créera un poste d’inspecteur permanent au MTQ. On n’avait donc rien appris ?

Il est probable que M. Poëti aurait réussi à améliorer la gestion du MTQ. Sa rétrograda­tion a été une erreur.

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