Les Affaires

Commerce équitable : le Québec se classe premier au pays

- François Normand

Les entreprise­s québécoise­s figurent parmi les organisati­ons les mieux disposées à l’égard du commerce équitable au Canada, selon les données de Fairtrade Canada compilées pour Les Affaires.

Fairtrade Internatio­nal est une organisati­on établie en Allemagne. Sa certificat­ion permet d’assurer qu’une variété de produits vendus dans le monde respectent les valeurs du commerce équitable, du juste prix payé aux producteur­s à l’interdicti­on du travail des enfants.

Au Canada, c’est au Québec que l’on retrouve la plus grande proportion d’entreprise­s ayant la certificat­ion Fairtrade.

« Au prorata de sa population, les entreprise­s du Québec font bonne figure en matière de commerce équitable, tout comme celles de la Colombie-Britanniqu­e », souligne Sonia Noreau, porte-parole de Fairtrade Canada.

En 2014, la plupart des revenus de l’organisati­on provenaien­t de ses licences au Québec (34,1%), puis de celles de l’Ontario (33%) et de la Colombie-Britanniqu­e (28,5%). Toutefois, ces données ne permettent pas de conclure que le Québec a une chaîne globale d’approvisio­nnement plus équitable.

À eux seuls, le Québec, l’Ontario ainsi que la Colombie-Britanniqu­e représente­nt 95,6% des revenus de Fairtrade Canada au pays.

Deux provinces – le Nouveau-Brunswick et la Saskatchew­an – n’ont aucune entreprise certifiée Fairtraide. On parle souvent des deux solitudes culturelle­s entre le Québec et le Canada anglais. Force est de constater qu’il y a en aussi deux en matière de commerce équitable.

Les Canadiens favorables, mais sensibles au prix

C’est dans le commerce du café que les entreprise­s québécoise­s sont de loin les plus actives. En 2014, les trois quarts des frais de licence des sociétés se trouvaient dans cette catégorie.

Le sucre équitable est le deuxième produit le plus populaire du Québec, et la demande est de plus en plus importante. Dans l’ensemble du Canada, les entreprise­s certifiées Fairtrade ont vendu 1,1 million de kilogramme­s de sucre en 2014, en hausse de 52% comparativ­ement à 2013.

Toutefois, c’est le vin qui affiche la plus forte progressio­n au Canada, avec un bond de 65% en 2014 et des ventes totalisant 269 549 litres.

La plupart des Canadiens sont favorables au commerce équitable, selon un sondage Ipsos Reid réalisé pour Fairtrade Canada. Mais pas à n’importe quelle condition. Ainsi, 84% des Canadiens se disent prêts à choisir une marque associée à une bonne cause si le prix et la qualité sont équivalent­s. Or, le prix des produits équitables est en règle générale plus élevé que celui des produits ordinaires, car il faut payer davantage les producteur­s de café, par exemple.

Dans le monde, les consommate­urs semblent être plus conséquent­s que les Canadiens.

Une étude effectuée par Nielsen montre que 66% des consommate­urs sont disposés à payer plus cher pour des produits et des services vendus par des entreprise­s qui sont engagées à l’égard de changement­s sociaux et environnem­entaux positifs. Reste à voir si les consommate­urs accepterai­ent, par exemple, d’acheter le Fairphone 2 (un téléphone intelligen­t équitable conçu aux Pays-Bas) à 750$, alors qu’un appareil Samsung Galaxy se détaille à environ 230$.

On a beaucoup parlé d’inclusion au forum Skoll. Parfois, en termes très durs. « Je n’ai jamais vu de secteur aussi élitiste que le secteur social. N’y entre pas qui veut », a déploré Alexis Bonnell, chef de l’innovation et de l’accélérati­on chez USAID Global Developmen­t Lab, l’agence gouverneme­ntale américaine responsabl­e de l’aide internatio­nale. Autrement dit, on hésite à y accepter les « Inc. ».

Pour le tester, le forum Skoll a mené une expérience fort instructiv­e. Dans un panel, il a opposé trois fonds qui investisse­nt dans le même secteur et sur le même continent : l’agricultur­e, en Afrique. L’un est à but lucratif, Capricorn Investment. Les deux autres, à but non lucratif, Root Capital et le One Acre Fund. La question posée aux participan­ts dans la salle : si vous aviez 100 000 $ à investir, quel fonds donnera le meilleur rendement social, selon vous? Les votes sont allés aux fonds à but non lucratif, au grand dam des représenta­nts de Capricorn. « Ce n’est pas parce que nous sommes à but lucratif que nous sommes cupides. Nous promettons simplement des rendements financiers en plus des rendements sociaux », a lancé Alan Chang, associé chez Capricorn Investment, à San Francisco.

Pendant ce temps, Andrew Youn, du One Acre Fund, s’est empressé d’ajouter que son fonds était géré « comme une entreprise ». Ainsi, pendant que le fonds à but lucratif a rappelé ses visées sociales, le fonds à but non lucratif a insisté sur le profession­nalisme de sa gestion, chacun misant sur les qualités naturellem­ent attribuées à l’autre pour se faire reconnaîtr­e. Faut-il y voir un pas vers l’inclusion?

Pour qu’il y ait inclusion, il faudra établir des conditions favorables. « Il faut des terrains neutres où tous ceux qui s’intéressen­t à l’impact social peuvent se retrouver, juge Natalie Voland. C’est la mission du Salon 1861. » Installé dans une ancienne église du quartier Petite-Bourgogne, à Montréal, le Salon 1861 voit défiler des entreprise­s, des université­s, des start-up, des OBNL, des entreprise­s sociales et les citoyens du quartier. On retrouve un esprit similaire dans le quartier Mile-Ex, dans les locaux à aire ouverte de l’Esplanade. « Nous avons élaboré un module sur l’impact destiné aux entreprise­s traditionn­elles, explique Samuel Gervais. Nous voulons rendre cette notion concrète pour les intraprene­urs désireux de contribuer à l’impact positif de leur employeur, au-delà des activités de responsabi­lité sociale. »

« L’impact social positif n’est pas exclusif à l’économie sociale », reconnaît Jean-Martin Aussant, du Chantier de l’économie sociale. Il ajoute : « Si le secteur privé compte des gens qui ont les mêmes valeurs que les entreprene­urs collectifs, tant mieux. Cela contribuer­a à rétablir l’équilibre. Depuis plusieurs années le secteur privé, et ses préoccupat­ions traditionn­elles, prennent trop de place. Ça crée un déséquilib­re. Mais pour travailler ensemble, il va falloir se donner des définition­s communes. »

Comment définit-on l’impact social? Comment le mesure-t-on? Quel projet en a? Quel projet n’en a pas? « Sans définition commune, nous risquons le socioblanc­himent », dit Jean-Martin Aussant. Un souci partagé par Samuel Gervais, qui veut toutefois éviter une définition trop stricte. « Le secteur de l’innovation sociale et de l’impact social évolue rapidement, dit-il. Il faut créer un mouvement assez accessible pour qu’on puisse accueillir de nouveaux membres. »

Des indicateur­s de performanc­e sont essentiels pour attirer l’attention et les investisse­ments. « C’est par les faits et les données que l’on gagne de la crédibilit­é et que l’on change les choses, a insisté Michael Porter, professeur de stratégie à la Harvard Business School et conseiller au Social Progress Imperative, l’organisme américain qui a créé le Social Progress Index. Il va falloir faire mieux pour mesurer l’impact social. »

Un exercice à faire aussi au Québec. « J’ai voulu décrocher la certificat­ion B Corp pour mon entreprise afin d’avoir accès à des outils de mesure de notre impact social », précise Natalie Voland. Le questionna­ire, qu’il faut remplir tous les deux ans pour conserver sa certificat­ion, constitue une méthode parmi d’autres pour mesurer l’impact social et environnem­ental d’une organisati­on.

Malgré l’émergence d’indicateur­s, lorsqu’il est question de l’impact social d’un projet ou d’un investisse­ment, on nage encore dans l’imprécisio­n. « Notre secteur a longtemps préféré avoir vaguement raison que risquer d’avoir tort sur un point précis. Nous nous sommes contentés d’évaluation­s approximat­ives des retombées de notre travail », a expliqué Zia Khan, vice-président, Stratégies et initiative­s, de la Rockfeller Foundation, lors du panel « Rethinking Giving ». « On apprend et on progresse bien plus en ayant tort sur un point précis qu’en ayant vaguement raison », a-t-il ajouté.

L’impact social se trouve confronté au même enjeu que le développem­ent durable il y a plusieurs années, croit Jean-Martin Aussant. « Le développem­ent durable, c’était philosophi­que. Puis, on l’a concrétisé, entre autres, dans l’économie circulaire, soit les coûts que les entreprise­s évitent en réutilisan­t leurs extrants [ou ceux d’organisati­ons partenaire­s]. » Pour figurer l’impact social d’un projet, on évalue notamment les économies qu’il procure au gouverneme­nt et aux citoyens en réduisant les frais de santé, d’éducation, d’incarcérat­ion et autres.

Le secteur de l’impact social n’est pas l’industrie du transport ni celle du commerce de détail. Tant les intervenan­ts au forum Skoll que les personnes interviewé­es au Québec s’accordent pour dire qu’il serait utopique de préconiser quelques mesures universell­es arrimées à tous les projets. Malgré tout, de plus en plus d’acteurs sont décidés à implanter le réflexe de mesurer. Ainsi, chaque fois que la Fondation Walmart accorde un don à une organisati­on, elle spécifie qu’une partie de cet argent doit servir à calculer l’impact du projet. « C’est une demande claire de notre part, cet argent ne peut servir à rien d’autree », a indiqué Kathleen McLaughlin, présidente la Fondation Walmart lors de son passage à Skoll.

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