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Une acquisitio­n remplie de leçons pour Jean-Marc Léger La première fois que...

- Série 5 de 9 Anne-Marie Tremblay redactionl­esaffaires@tc.tc Bien communique­r sa vision

Depuis sa fondation en 1986, la firme de recherche et de marketing Léger a procédé à pas moins de neuf acquisitio­ns. Mais Jean-Marc Léger se souvient particuliè­rement de la première. « J’ai fait toutes les erreurs possibles et imaginable­s », lance avec franchise le président et cofondateu­r de l’entreprise.

C’était en 2000. À l’époque, Léger cherchait à conquérir de nouveaux territoire­s. Objectif : Toronto. « Le marché québécois de la recherche, c’est 50 millions de dollars, tandis que celui de Toronto est d’environ 400 M$ », précise JeanMarc Léger. Cependant, l’homme d’affaires voyait plus grand. « Toronto, c’était un moyen d’accéder au marché américain. Mais il fallait d’abord que nous soyons capables de travailler dans les deux langues et à plus grande échelle pour y parvenir. »

Réaliser cette acquisitio­n permettait à la fois à Léger de pénétrer le marché ontarien avec une entreprise qui était déjà en activité et d’accompagne­r ses clients québécois sur le marché ontarien. Une étape cruciale pour l’avenir de la PME, qui comptait alors 285 employés. M. Léger n’a donc rien laissé au hasard. En plus de demander conseil à certains entreprene­urs dont il était proche, comme Alain Bouchard, d’Alimentati­on Couche-Tard, Serge Godin, de Groupe CGI, et Pierre Karl Péladeau, de Québecor, il s’est rendu en Ontario à plusieurs reprises. Au total, le président a rencontré 44 firmes. Il en a sélectionn­é quatre et a arrêté son choix sur Criterion Research, de Toronto, une société d’une quinzaine d’employés spécialisé­e dans le domaine agricole et l’analyse média.

Clarifier le rôle de chacun

Cette difficulté à trouver la perle rare a rendu Léger vulnérable, selon son cofondateu­r. « La première leçon que j’ai apprise, c’est que le vendeur doit vouloir davantage réaliser la transactio­n que l’acheteur. Sinon, on risque de payer trop cher, et surtout, de laisser des zones d’ombre. » En effet, de peur de laisser passer la transactio­n, il n’a pas osé préciser certaines questions. « On se dit qu’on réglera les détails plus tard, mais ce n’est pas plus facile une fois qu’on est propriétai­re. Au contraire! »

« Par exemple, j’aurais dû mieux clarifier le rôle du vendeur [l’ancien propriétai­re de Criterion] au lendemain de la transactio­n. Après six mois, j’ai dû le mettre à la porte. » Alors qu’ils devaient bâtir un partenaria­t ensemble pour développer les marchés du Québec et de l’Ontario, M. Léger s’est vite rendu compte que ce n’était que du vent. « Dans le fond, il ne travaillai­t pas du tout », se souvient-il. Heureuseme­nt, il a pu compter sur le numéro deux de la firme, encore en poste aujourd’hui, pour prendre le relais.

« Quand une personne devient millionnai­re du jour au lendemain, cette situation peut la démotiver », explique Robert Deshaies, président de G4 Solutions et Stratégies d’entreprise, une firme de consultant­s de Laval. Pour éviter les mauvaises surprises, il vaut donc mieux aborder franchemen­t les rôles de chacun avant d’effectuer la transactio­n. « Il faut voir comment cette transition se déroulera, sur quelle période, etc. » Il faut aussi dresser la cartograph­ie des connaissan­ces à transférer.

« Il faut savoir si la valeur de l’entreprise repose dans les processus ou seulement entre les deux oreilles du dirigeant », ajoute Robert Deshaies. En effet, certaines entreprise­s sont des one man show, ce qui rend le changement de mains plus difficile et plus risqué. Un facteur qui peut faire diminuer la valeur de la société convoitée.

Pour réussir, il faut tenter de négocier une entente gagnante pour toutes les parties, précise Robert Deshaies. Une conclusion à laquelle est aussi arrivé Jean-Marc Léger… Pour éviter cet écueil, il ne néglige plus cet aspect humain de la transactio­n. Il tente maintenant de comprendre les motivation­s réelles du vendeur. « Si je vois que je ne peux pas rendre le vendeur heureux, je préfère passer mon tour. » En effet, s’il n’est pas aussi enthousias­te que l’acheteur, cela se répercute sur toute l’entreprise. « S’il est heureux, les employés, les fournisseu­rs et les clients le seront aussi. Toute la dynamique va faire que c’est lui qui va vendre l’acquisitio­n à ses troupes. S’il est malheureux, tout s’effondre », dit M. Deshaies. Autre difficulté : Jean-Marc Léger n’avait dépêché aucune équipe permanente sur place. Faute d’effectif, il s’est plutôt contenté de voyages réguliers entre Montréal et Toronto. « Si on achète une entreprise parce qu’on considère qu’elle est performant­e, on ne peut pas arriver avec ses gros sabots et vouloir changer toute la culture. Mais en même temps, si on laisse les gens en place réaliser les changement­s et qu’on ne les encadre pas, ça ne fonctionne­ra pas non plus. Il faut donc trouver un équilibre entre le respect de la culture locale et la culture d’entreprise qu’on veut implanter. »

D’où l’importance d’avoir une équipe sur place, qui devient les yeux et les oreilles du siège social. Et d’avoir un plan et une stratégie de communicat­ion. « Aujourd’hui, quand je fais une acquisitio­n, j’explique ma vision des choses dès le départ. J’indique clairement quelles sont les personnes sur lesquelles je mise, ce que je prévois faire durant les six premiers mois, etc. » Une étape qu’il avait sautée la première fois, parce que ce n’était pas tout à fait clair dans son esprit. « Quand ce n’est pas clair, tu perds des revenus et du temps, et tu insécurise­s les employés. »

L’expérience lui a aussi appris que la transition a un prix, qu’elle se passe bien ou non. Pour calculer cette marge entre la théorie et la pratique, Jean-Marc Léger applique la règle du 2-2-2 : « Deux fois moins de revenus, deux fois moins de profits et deux fois plus de temps » que ce qui est prévu. Si l’achat vaut toujours la peine à la suite de cet exercice, il va de l’avant.

« Cette première acquisitio­n a été un des moments clés du développem­ent de l’entreprise. Et même si ça a été difficile, ça a été une réussite », analyse-t-il. Aujourd’hui, Léger a réussi son incursion en sol américain, où elle possède des bureaux à Philadelph­ie, en plus d’être la plus importante firme de recherche marketing de propriété canadienne. « En affaires, soit tu gagnes, soit tu apprends », dit-il, philosophe.

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