Les Affaires

Les épiciers mettent la main à la pâte

- Étienne Plamondon Emond

Trois types de pots de sauce pour fondue sont apparus sur les tablettes des supermarch­és Metro, en janvier 2014, sous la marque Produits de nos Grands-Mères. C’est le détaillant qui en a fait la demande à la PME de 45 employés située à Proulxvill­e, en Mauricie. Il distribuai­t déjà les sauces Canton, propriété de Lassonde, dans ses magasins. Toutefois, il voulait offrir à ses clients plus de choix en introduisa­nt une gamme de produits à base de mayonnaise. Après des discussion­s entre le détaillant et le fournisseu­r, une entente libre a été conclue et trois saveurs ont été déterminée­s : cajun, thaï et rustique. Le contenu des petits pots, dans lesquels Produits de nos GrandsMère­s a investi plus de 10 000 $, a ensuite été élaboré en collaborat­ion avec l’épicier.

La tendance des détaillant­s de prendre les devants dans l’offre alimentair­e s’intensifie. Chez Sobeys Québec, on affirme réaliser ce type de démarche depuis une décennie, mais avoir accéléré la cadence dans les cinq dernières années. « On essaie d’être extrêmemen­t rapide sur la gâchette. L’alimentair­e, c’est une guerre de tous les instants, et on se doit de se démarquer », dit Yvan Ouellet, vice-président aux achats et à la mise en marché, produits périssable­s, chez Sobeys Québec.

Chez Metro, l’équipe de l’innovation, composée d’employés de chaque départemen­t alimentair­e, a été mise en place il y a moins de cinq ans pour développer des produits de niche, main dans la main avec des fournisseu­rs. « Ce sont les équipes sur le terrain, qui sont en contact avec les clients, qui sont les plus à même de découvrir les occasions d’affaires à partir de créneaux mal desservis », dit Jean-François Ouellet, professeur au Départemen­t d’entreprene­uriat et innovation à HEC Montréal.

Francine Rodier, professeur de marketing à l’ESG UQAM, note que plusieurs nouvelles variables ont probableme­nt amplifié cette tendance : la concurrenc­e féroce entre les détaillant­s, la mobilité des consommate­urs, l’accès plus facile à l’informatio­n grâce à Internet et la clientèle immigrante. « Le marchand cherche à avoir un assortimen­t qui va empêcher le consommate­ur d’aller butiner ailleurs et d’en prendre l’habitude », observe-t-elle.

S’inspirer des fournisseu­rs locaux

D’où viennent les idées ? Chez Sobeys, on affirme surtout s’inspirer lors de visites dans des salons alimentair­es ou des supermarch­és à l’étranger. Chez Metro, on évoque aussi d’autres sources, dont l’analyse des informatio­ns collectées grâce à la carte de fidélité Metro & moi pour déceler des tendances.

Coup d’oeil dans les coulisses d’un marché où les détaillant­s prennent de plus en plus les devants dans la conception de nouveaux produits.

Le principal défi pour les chaînes reste de trouver un fournisseu­r capable de matérialis­er un projet. Kim Bédard, directrice des achats nationaux en épicerie chez Metro, dit s’appuyer pour ce faire sur la politique d’achat local, lancée en 2013. L’enseigne s’est alors engagée à ce que ses magasins deviennent une vitrine pour les produits de la région où ils sont installés. Elle a également pris des mesures pour accroître ses relations avec des « fournisseu­rs innovants ».

« Ce programme m’a permis de mieux connaître nos fournisseu­rs locaux et de mesurer leur flexibilit­é et leur capacité de production, explique Kim Bédard. Désormais, j’ai un bassin de transforma­teurs vers qui je peux me tourner lorsque j’ai une idée de nouveau produit à développer. » C’est notamment le cas de l’Érablière les Sucreries d’Or, qui a fourni à la demande de Metro un format différent de son sirop biologique Érabl’Or, après que la chaîne l’eut découvert par l’intermédia­ire du programme d’achat local en Estrie.

Un intermédia­ire à la rescousse

Parfois, dans des cas plus complexes, le détaillant décide de faire affaire avec un intermédia­ire. « Certaines chaînes nous approchent pour nous donner des mandats spécifique­s d’accompagne­ment dans le développem­ent ou la recherche de produit », explique Yvanko Cech, président de Food Momentum, un courtier alimentair­e spécialisé. Il écoute la vision du détaillant, puis cherche des entreprise­s qui auraient les capacités de la concrétise­r. Il offre ensuite un soutien au transforma­teur dans la création, la production et la mise en marché du produit pour recevoir une commission de ce dernier. Il a notamment travaillé avec le charcutier artisanal Pork Shop, de Montréal. Puis, il l’a mis en contact avec des sous-traitants pour la production industriel­le et le design de l’emballage afin qu’il distribue mieux ses saucissons ayant des saveurs originales. La petite entre- prise travaille actuelleme­nt à développer un autre type de charcuteri­e demandé par Sobeys Québec.

« Nous décidons d’avoir recours à un intermédia­ire lorsqu’on part de très loin, que le fournisseu­r a besoin de beaucoup d’accompagne­ment dans le développem­ent du produit et qu’on n’a pas le temps ou les ressources pour le faire », précise M. Ouellet.

Exclusivit­é ou pas ?

En général, les détaillant­s n’investisse­nt pas d’argent dans le développem­ent du nouveau produit par le fournisseu­r. Costco signe plutôt une entente commercial­e avec une garantie de temps et de volume pour les ventes, afin que le transforma­teur puisse amortir son investisse­ment dans un nouvel équipement, si nécessaire. Chez Sobeys, des employés des activités de détail et du marketing ainsi que des nutritionn­istes apportent leur aide aux fournisseu­rs lors de la création d’un produit.

Sobeys exige habituelle­ment l’exclusivit­é du produit. « Dans la plupart des cas, les fournisseu­rs sont d’accord, dit Yvan Ouellet, car on a mis beaucoup d’effort à élaborer le produit ensemble. » Metro, pour sa part, décide au cas par cas. « On dit qu’on aimerait être le premier pendant une certaine période, mais l’objectif n’est surtout pas de fermer la porte aux fournisseu­rs par la suite », indique Mme Bédard.

Pour Costco, la question ne se pose pas. « Souvent, le produit devient exclusif à cause du format dans lequel on le vend », dit Pietro Nenci, vice-président, alimentati­on, chez Costco pour l’Est du Canada.

Le détaillant a récolté les commentair­es de ses clients sur sa page Facebook. « Il manquait un peu de pommes de terre selon certains, donc on a augmenté la quantité l’année suivante », souligne Janick Martin.

Une autre version de la dinde, pour l’Action de grâce cette fois, a été conçue pour les magasins Sobeys du reste du Canada. Satisfaite de l’expérience, Sobeys a par la suite demandé à ICG et à ses 28 employés s’ils étaient en mesure de produire en exclusivit­é pour la chaîne, par l’intermédia­ire du même concept, un gigot d’agneau et une porchetta italienne. Ces deux produits ont commencé à être vendus respective­ment avant Pâques et Noël 2014. Les ventes des boîtes festives ont augmenté de 30 % au cours de la dernière année. – ÉTIENNE PLAMONDON EMOND

Adapté librement d’une idée d’abord lancée par un détaillant, le gâteau au saumon et au fromage à la crème de Bleumer connaît un succès qui dépasse les espérances de l’entreprise qui l’a créé. La PME de l’arrondisse­ment Beauport, à Québec, a investi 130000$ dans l’achat d’un nouvel équipement pour soutenir sa production en vue du prochain temps des fêtes.

Les ventes de ce produit, arrivé sur les rayons de produits surgelés des supermarch­és appartenan­t à Sobeys et Metro à l’automne 2015, ont dépassé de 30% les prévisions de Bleumer, dont le nombre d’employés oscille entre 25 et 50, selon la période de l’année.

La conception du gâteau a d’abord été motivée par les ventes de la couronne de saumon fumé de Bleumer, qui diminuaien­t d’année en année. Le transforma­teur, tout comme le détaillant Sobeys, cherchait des solutions pour remplacer ou renouveler cette propositio­n d’amusegueul­es. Sobeys, par l’entremise du courtier alimentair­e Yvanko Cech, a montré à la PME l’image d’un gâteau haut de gamme composé de crêpes au saumon fumé, réalisé par un traiteur européen. « On l’a décortiqué, analysé, on a fait un lien avec ce que l’on avait comme équipement­s ou comme sous-produits déjà utilisable­s », explique Marin Letenneur, président de Bleumer.

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