Les Affaires

Quelques conseils de participan­tes à l’événement Femmes Leaders

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­r | diane_berard

Personnali­té internatio­nale —

DIANE BÉRARD – Le premier ministre de l’Islande a annoncé sa démission le 5 avril, à la suite de son implicatio­n dans le scandale des Panama Papers. Pourquoi cette annonce a-t-elle changé votre vie? HALLA TOMASDOTTI­R –

J’ai décidé de me présenter à la course au poste de premier ministre de l’Islande lors de l’élection du 25 juin. Ce fut une décision difficile. J’ai une belle vie, une famille que j’aime et un emploi qui me comble parce qu’il correspond à mes valeurs. Mais ce sont aussi ces valeurs qui me poussent à proposer ma candidatur­e comme première ministre de l’Islande. Il y a trop longtemps que je suis mal à l’aise avec le système financier et la façon dont il fragilise l’économie. C’est mon secteur. Je le connais. Si je deviens première ministre, je tenterai de contribuer à le réformer.

D.B. – Comment vous êtes-vous sentie en apprenant que le dirigeant de votre pays était lié aux Panama Papers? H.T. –

Je me suis sentie trahie, comme la plupart des Islandais. Je suis aussi inquiète: si nos dirigeants n’ont pas de boussole morale, quel message lancentils à la population? Comment parler d’éthique dans un monde où ceux qui détiennent le pouvoir ne montrent pas l’exemple ?

D.B. – En 2007, vous avez lancé Sisters Capital, un fonds géré en fonction de valeurs féminines. Pourquoi? H.T. –

Je travaillai­s en finance depuis plusieurs années et je sentais la catastroph­e imminente. En 2002, nous communiqui­ons déjà nos inquiétude­s à nos clients. Tout le monde était obsédé par la croissance, à n’importe quel prix. La prise de risque est devenue un sport extrême. Nous l’avons répété à nos clients. Nous avons insisté pour qu’ils évitent d’investir dans ce qu’ils ne comprenaie­nt pas. Je n’avais pas toutes les données, mais mon intuition me disait que ça allait mal se terminer. Investir en fonction de valeurs uniquement masculines allait nous mener dans un mur.

D.B. – Vous dites que les valeurs féminines n’appartienn­ent pas qu’aux femmes. Expliquez-nous. H.T. –

Le sexe, c’est de la biologie. Le genre, c’est de la sociologie. Les valeurs appartienn­ent au genre. Nous avons tous et toutes des composante­s masculines et féminines en nous, dans des proportion­s différente­s. Lorsque Sisters Capital parlait de valeurs féminines, elle évoquait des valeurs qui animent aussi bien les hommes que les femmes.

D.B. – Lorsqu’on parle de « valeurs féminines », de quoi parle-t-on au juste? H.T. –

On parle de la combinaiso­n du profit, des gens et de la planète. On ne rejette pas le profit, mais on se soucie du « comment » en plus du « combien ». Ce qui nous amène à nous préoccuper du long terme.

D.B. – Si vous lanciez Sisters Capital en 2016, feriez-vous encore référence aux « valeurs féminines » ? H.T. –

Peut-être pas, j’emploierai­s peutêtre un autre langage, plus au goût du jour. Je parlerais probableme­nt de diversité. Car, au fond, ce qui me préoccupe est le déséquilib­re, quelle que soit sa nature. Je me soucie du manque de femmes dans les postes de direction et les conseils d’administra­tion. Mais je me soucie aussi du manque d’hommes qui enseignent au primaire. Les jeunes garçons ont besoin de modèles masculins. Et les jeunes filles ont besoin d’être exposées aux valeurs féminines et masculines.

D.B. – Revenons à la crise financière. Le secteur financier a-t-il changé depuis 2007? H.T. –

Pas vraiment, on n’a toujours pas séparé les activités d’investisse­ment de celles de détail. Je n’ai rien contre les activités d’investisse­ment, mais elles impliquent une prise de risque élevée. Ni la population ni le gouverneme­nt n’a à payer pour cette prise de risque. Pourtant, comme ces activités sont combinées à l’intérieur des mêmes institutio­ns, les banques, c’est ce qui se produit constammen­t. On estime encore que les banques sont trop importante­s pour faire faillite.

D.B. – Quels ajustement­s suggérez-vous? H.T. –

Outre la séparation des activités d’investisse­ment et de détail, il faudrait réduire le pouvoir de l’argent en politique. Saviez-vous qu’aux États-Unis, le secteur financier compte cinq lobbyistes pour chaque élu? Il faudrait aussi s’assurer d’une représenta­tion égale d’hommes et de femmes dans les postes de gestion. Les femmes ne sont pas meilleures que les hommes. Mais la diversité engendre des conversati­ons différente­s. Visiblemen­t, les conversati­ons actuelles ne couvrent pas tous les angles. Certains points de vue manquent autour de la table.

D.B. – Aucun des fonds que vous avez gérés n’investit dans des sociétés à capital ouvert. Pourquoi? H.T. –

C’est un choix, je n’aime pas le marché public. Je crois dans la vraie économie, et le marché public n’est pas la vraie économie. Lorsque je travaillai­s aux États-Unis pour le confiseur Mars, c’était une société à capital fermé. Puis, elle est devenue publique, et la culture, la nature des décisions et l’horizon ont complèteme­nt changé. Je répète à tous les entreprene­urs: si vous le pouvez, évitez d’aller en Bourse.

D.B. – Vous êtes très critique à l’égard de la Bourse. N’y voyez-vous rien de positif? H.T. –

Comment ne pas se montrer critique quand on voit les dommages causés par le style de gestion associé aux entreprise­s inscrites en Bourse? Mais tout n’est pas entièremen­t sombre. On sent émerger un appétit pour autre chose de la part de certains investisse­urs. Je pense aux investisse­urs d’impact et aux investisse­urs responsabl­es, entre autres. Mais on retrouve ces préoccupat­ions chez certains investisse­urs traditionn­els également. De nouveaux indices liés au développem­ent durable apparaisse­nt. Ils mesurent les rendements extrafinan­ciers. Ils tiennent compte de l’impact des entreprise­s sur l’environnem­ent et les parties prenantes.

D.B. – Vous incitez les investisse­urs et les gestionnai­res de fonds à procéder à la vérificati­on diligente émotionnel­le des entreprise­s avant d’y investir. De quoi s’agit-il? H.T. –

Vous ne pouvez pas lire l’avenir d’une entreprise dans des tableaux Excel. Ça ne dit rien, un tableau Excel. Pour savoir si une entreprise a une chance de s’en tirer et jusqu’où elle peut se rendre, regardez les principes qui l’animent. Sondez la passion des dirigeants. Toute entreprise possède un capital financier et un capital émotionnel. Les deux influencen­t autant le succès à long terme.

D.B. – Le rôle des investisse­urs devrait être élargi. Comment? H.T. –

Les investisse­urs pourraient apporter davantage aux entreprise­s. En plus de leur argent, ils pourraient partager leurs compétence­s, donner accès à leur réseau, offrir davantage de soutien. Mais ils ne le font pas parce qu’ils ne s’intéressen­t pas vraiment aux entreprise­s dans lesquelles ils investisse­nt. Ils saisissent souvent mal leur raison d’être et leurs enjeux.

D.B. – Revenons à la crise des Panama Papers. Cette fois-ci, cela changera-til quelque chose? H.T. –

Pour l’instant, on sent le désir d’une vraie conversati­on autour du concept de juste part d’impôt. On tient peut-être quelque chose.

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