Les Affaires

La tarificati­on horaire remise en question

- Nathalie Vallerand redactionl­esaffaires@tc.tc

Le Barreau du Québec presse les avocats d’adopter d’autres modes de facturatio­n.

Avec Audãx Avocats, le cabinet qu’elle a fondé en novembre, Anne-Edma Louis veut dépoussiér­er les façons de faire. Installée dans l’espace de travail partagé ( coworking) Fabrik8, l’avocate de 25 ans offre des forfaits à prix fixe pour des services qui comprennen­t des procédures standardis­ées, comme l’incorporat­ion ou l’enregistre­ment des marques de commerce. « Les clients n’ont pas de mauvaises surprises », dit celle qui sert surtout des entreprise­s en démarrage et des profession­nels à leur compte. Le petit cabinet se démarque aussi par la possibilit­é de tenir des rencontres virtuelles, un choix encore peu prisé par les clients cependant.

Le Barreau du Québec presse les avocats d’adopter d’autres modes de facturatio­n que le taux horaire. L’évolution des technologi­es juridiques et des besoins des clients commande, selon lui, un changement de modèle d’entreprise et de mentalité. Pourtant, l’heure facturable est devenue un système de gestion qui structure toute la pratique du droit, déplore-t-il dans son rapport « La tarificati­on horaire à l’heure de la réflexion », publié en mars.

« On se base sur les heures facturées pour évaluer les avocats, les rémunérer et partager les profits entre associés, indique la bâtonnière Claudia Prémont. Cela va peut-être trop loin. » La tarificati­on horaire est utilisée dans 70% des dossiers.

L’absence de prédictibi­lité des coûts pour les clients et le fait qu’ils assument seuls la totalité du risque figurent au nombre des conséquenc­es néfastes. « Ce modèle constitue un frein à la justice, car des gens renoncent à consulter un avocat », dit Claudia Prémont, qui appelle les avocats à s’ouvrir aux modes alternatif­s de tarificati­on (MAT). Parmi ceux-ci, on retrouve notamment le forfait, le prix plafond (taux horaire jusqu’à l’atteinte d’un prix maximum), les honoraires fixes mensuels ou le taux pondéré (taux unique pour les avocats qui travaillen­t au dossier, qu’ils soient séniors ou juniors).

Qu’en pensent les avocats?

Tous constatent la volonté grandissan­te des clients d’avoir l’heure juste en matière de coûts. « Ce qui préoccupe les clients, c’est bien plus la possibilit­é de budgéter nos services que le montant de la facture », souligne Éric Bédard, associé directeur de Fasken Marti- neau au Québec.

Bernard Blouin, associé directeur du bureau montréalai­s de Miller Thomson, remarque de son côté une hausse tant des demandes de forfaits que des appels d’offres pour obtenir un bouquet de services juridiques.

Ces exigences incitent les avocats à utiliser les technologi­es pour mieux allouer les ressources, standardis­er certains services et prévoir les coûts. « Nous investisso­ns beaucoup dans les technologi­es, dit Bernard Blouin. Avec des systèmes de gestion de projet, de la documentat­ion et de la recherche par exemple, nous pouvons plus facilement établir les prix, éviter les dépassemen­ts et permettre aux clients de suivre l’évolution des coûts à chaque étape. »

Dans son rapport, le Barreau invite les avocats à utiliser davantage les technologi­es, à décortique­r les étapes de production de leurs services et à tenir des statistiqu­es sur le coût de revient et la profitabil­ité des dossiers.

Le cabinet boutique en litige Renno Vathilakis illustre bien cette tendance. « Dans plusieurs dossiers, les clients n’ont pas les moyens de payer selon le modèle traditionn­el, expose l’associé Karim Renno. C’est entre autres pour leur offrir plus de flexibilit­é que j’ai ouvert mon cabinet. Dans un grand bureau, c’est plus difficile de faire consensus là-dessus. »

Renno Vathilakis propose notamment un arrangemen­t mixte qui combine un taux horaire réduit à un pourcentag­e, si le client gagne sa cause. « Nous acceptons aussi certains dossiers seulement au pourcentag­e, mais cela nécessite une analyse rigoureuse, car nous prenons alors le risque de ne pas être payés du tout. »

Reste que la tarificati­on horaire ne disparaîtr­a pas de sitôt, car elle facilite le contrôle des coûts pour les avocats. Ainsi, Anne-Edma Louis vend des banques d’heures que ses clients peuvent utiliser à leur gré. De son côté, Renno Vathilakis estime qu’il y a trop d’imprévus en litige pour se passer complèteme­nt de l’heure facturable.

« Pour certains mandats, la tarificati­on horaire demeure la meilleure option, et le Barreau n’a pas l’intention d’imposer quoi que ce soit d’autre », rassure la bâtonnière. Il veut toutefois outiller ses membres pour qu’ils offrent un éventail de MAT et puissent ainsi choisir le plus approprié à chaque situation. Il dispensera dès l’automne des formations sur le sujet en plus de fournir de nouveaux modèles de convention d’honoraires.

« Ce modèle constitue un frein à la justice, car des gens renoncent à consulter un avocat. »

– Claudia Prémont, bâtonnière du Québec, qui appelle les avocats à s’ouvrir aux modes alternatif­s de tarificati­on. « Les clients n’ont pas de mauvaises surprises. »

– Anne-Edma Louis, fondatrice d’Audãx Avocats, qui offre des forfaits à prix fixe pour des services comprenant des procédures standardis­ées, comme l’incorporat­ion ou l’enregistre­ment des marques de commerce. Les avocats solos et les petits cabinets utilisent les modes alternatif­s de tarificati­on dans une proportion de 32 %, par rapport à 19 % des cabinets de taille moyenne et 16 % des grands.

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